SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXVIII- Suite des particularités et anecdotes - Partie 7

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SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXVIII- Suite des particularités et anecdotes - Partie 7

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

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- Partie 7 -

 

 

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CHAPITRE XXVIII.

 

 

 

Suite des Anecdotes et des particularités.

 

 

 

 

 

 

          Louis XIV dévorait sa douleur en public ; il se laissa voir à l’ordinaire ; mais en secret les ressentiments de tant de malheurs le pénétraient, et lui donnaient des convulsions. Il éprouvait toutes ces pertes domestiques à la suite d’une guerre malheureuse, avant qu’il fût assuré de la paix, et dans un temps où la misère désolait le royaume. On ne le vit pas succomber un moment à ses afflictions.

 

          Le reste de sa vie fut triste. Le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les cœurs. Sa confiance entière pour le jésuite Le Tellier, homme trop violent, acheva de les révolter. C’est une chose très remarquable que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur. Il perdit, les trois dernières années de sa vie, dans l’esprit de la plupart de ses sujets, tout ce qu’il avait fait de grand et de mémorable.

 

          Privé de presque tous ses enfants, sa tendresse, qui redoublait pour le duc du Maine et pour le comte de Toulouse, ses fils légitimés, le porta à les déclarer héritiers de la couronne, eux et leurs descendants, au défaut des princes du sang, par un édit qui fut enregistré sans aucune remontrance, en 1714. Il tempérait ainsi, par la loi naturelle, la sévérité des lois de convention qui privent les enfants nés hors du mariage de tous droits à la succession paternelle. Les rois dispensent de cette loi. Il crut pouvoir faire pour son sang ce qu’il avait fait en faveur de plusieurs de ses sujets. Il crut surtout pouvoir établir pour deux de ses enfants ce qu’il avait fait au parlement, sans opposition, pour les princes de la maison de Lorraine. Il égala ensuite le rang de ses bâtards à celui des princes du sang, en 1715. Le procès que les princes du sang intentèrent depuis aux princes légitimés est connu (1). Ceux-ci ont conservé, pour leurs personnes et pour leurs enfants, les honneurs donnés par Louis XIV. Ce qui regarde leur postérité dépendra du temps, du mérite, et de la fortune (2).

 

          Louis XIV fut attaqué, vers le milieu du mois d’août 1715, au retour de Marly, de la maladie qui termina ses jours. Ses jambes enflèrent ; la gangrène commença à se manifester. Le comte de Stair, ambassadeur d’Angleterre, paria, selon le génie de sa nation, que le roi ne passerait pas le mois de septembre. Le duc d’Orléans, qui, au voyage de Marly, avait été absolument seul, eut alors toute la cour auprès de sa personne. Un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima ses forces. Il mangea, et l’empirique assura qu’il guérirait. La foule qui entourait le duc d’Orléans diminua dans le moment. « Si le roi mange une seconde fois, dit le duc d’Orléans, nous n’aurons plus personne. » Mais la maladie était mortelle. Les mesures étaient prises pour donner la régence absolue au duc d’Orléans. Le roi ne la lui avait laissée que très limitée par son testament, déposé au parlement ; ou plutôt il ne l’avait établi que chef d’un conseil de régence, dans lequel il n’aurait eu que la voix prépondérante. Cependant il lui dit : « Je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance (3). » C’est qu’il ne croyait pas qu’il y eût de loi fondamentale qui donnât, dans une minorité, un pouvoir sans bornes à l’héritier présomptif du royaume (4). Cette autorité suprême, dont on peut abuser, est dangereuse ; mais l’autorité partagée l’est encore davantage. Il crut qu’ayant été si bien obéi pendant sa vie, il le serait après sa mort, et ne se souvenait pas qu’on avait cassé le testament de son père (5).

 

          (1er septembre 1715). D’ailleurs personne n’ignore avec quelle grandeur d’âme il vit approcher la mort, disant à madame de Maintenon : « J’avais cru qu’il était plus difficile de mourir ; » et à ses domestiques : « Pourquoi pleurez-vous ? M’avez-vous cru immortel ? » donnant tranquillement ses ordres sur beaucoup de choses, et même sur sa pompe funèbre. Quiconque a beaucoup de témoins de sa mort meurt toujours avec courage. Louis XIII, dans sa dernière maladie, avait mis en musique le De profundis qu’on devait chanter pour lui. Le courage d’esprit avec lequel Louis XIV vit sa fin fut dépouillé de cette ostentation répandue sur toute sa vie. Ce courage alla jusqu’à avouer ses fautes. Son successeur a toujours conservé écrites au chevet de son lit les paroles remarquables que ce monarque lui dit, en le tenant sur son lit entre ses bras : ces paroles ne sont point telles qu’elles sont rapportées dans toutes les histoires. Les voici fidèlement copiées :

 

« Vous allez être bientôt roi d’un grand royaume. Ce que je vous recommande plus fortement est de n’oublier jamais les obligations que vous avez à Dieu. Souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes. Tâchez de conserver la paix avec vos voisins. J’ai trop aimé la guerre ; ne m’imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses que j’ai faites. Prenez conseil en toutes choses, et cherchez à connaître le meilleur pour le suivre toujours. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous le pourrez, et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même, etc. »

 

          (6) Ce discours est très éloigné de la petitesse d’esprit qu’on lui impute dans quelques Mémoires.

 

          On lui a reproché d’avoir porté sur lui des reliques, les dernières années de sa vie. Ses sentiments étaient grands ; mais son confesseur, qui ne l’était pas, l’avait assujetti à ces pratiques peu convenables, et aujourd’hui désusitées, pour l’assujettir plus pleinement à ses insinuations ; et d’ailleurs ces reliques, qu’il avait la faiblesse de porter, lui avaient été données par madame de Maintenon.

 

          Quoique la vie et la mort de Louis XIV eussent été glorieuses, il ne fut pas aussi regretté qu’il le méritait. L’amour de la nouveauté, l’approche d’un temps de minorité, où chacun se figurait une fortune, la querelle de la Constitution qui aigrissait les esprits, tout fit recevoir la nouvelle de sa mort avec un sentiment qui allait plus loin que l’indifférence. Nous avons vu ce même peuple qui, en 1686, avait demandé au ciel avec larmes la guérison de son roi malade, suivre son convoi funèbre avec des démonstrations bien différentes. On prétend que la reine sa mère lui avait dit un jour dans sa grande jeunesse : « Mon fils, ressemblez à votre grand-père, et non pas à votre père. » Le roi en ayant demandé la raison : « C’est, dit-elle, qu’à la mort de Henri IV on pleurait, et qu’on a ri à celle de Louis XIII (7). »

 

          Quoiqu’on lui ait reproché des petitesses, des duretés dans son zèle contre le jansénisme, trop de hauteur avec les étrangers dans ses succès, de la faiblesse pour plusieurs femmes, de trop grandes sévérités dans des choses personnelles, des guerres légèrement entreprises, l’embrasement du Palatinat, les persécutions contre les réformés, cependant ses grandes qualités et ses actions, mises enfin dans la balance, l’on emporté sur ses fautes. Le temps, qui mûrit les opinions des hommes, a mis le sceau à sa réputation ; et malgré tout ce qu’on a écrit contre lui, on ne prononcera point son nom sans respect, et sans concevoir à ce nom l’idée d’un siècle éternellement mémorable. Si l’on considère ce prince dans sa vie privée, on le voit à la vérité trop plein de sa grandeur, mais affable, ne donnant point à sa mère de part au gouvernement, mais remplissant avec tous les devoirs d’un fils, et observant avec son épouse tous les dehors de la bienséance : bon père, bon maître, toujours décent en public, laborieux dans le cabinet, exact dans les affaires, pensant juste, parlant bien, et aimable avec dignité.

 

          J’ai déjà remarqué ailleurs (8) qu’il ne prononça jamais les paroles qu’on lui fait dire, lorsque le premier gentilhomme de la chambre et le grand-maître de la garde-robe se disputaient l’honneur de le servir : « Qu’importe lequel de mes valets me serve ? » Un discours si grossier ne pouvait partir d’un homme aussi poli et aussi attentif qu’il l’était, et ne s’accordait guère avec ce qu’il dit un jour au duc de La Rochefoucauld au sujet de ses dettes : « Que ne parlez-vous pas à vos amis ? » Mot bien différent, qui, par lui-même, valait beaucoup, et qui fut accompagné d’un don de cinquante mille écus.

 

          Il n’est pas même vrai qu’il ait écrit au duc de La Rochefoucauld : « Je vous fait mon compliment, comme votre ami, sur la charge de grand-maître de la garde-robe, que je vous donne comme votre roi. » Les historiens lui font honneur de cette lettre. C’est ne pas sentir combien il est peu délicat, combien même il est dur de dire à celui dont on est le maître, qu’on est son maître. Cela serait à sa place, si on écrivait à un sujet qui aurait été rebelle : c’est ce que Henri IV aurait pu dire au duc de Mayenne avant l’entière réconciliation. Le secrétaire de cabinet, Rose, écrivit cette lettre ; et le roi avait trop de bon goût pour l’envoyer. C’est ce bon goût qui lui fit supprimer les inscriptions fastueuses dont Charpentier, de l’Académie française, avait chargé les tableaux de Lebrun, dans la galerie de Versailles : L’incroyable passage du Rhin, la merveilleuse prise de Valenciennes, etc. Le roi sentit que La prise de Valenciennes, le passage du Rhin, disaient davantage. Charpentier avait eu raison d’orner d’inscriptions en notre langue les monuments de sa patrie ; la flatterie seule avait nui à l’exécution.

 

          On a recueilli quelques réponses, quelques mots de ce prince, qui se réduisent à très peu de choses. On prétend que, quand il résolut d’abolir en France le calvinisme, il dit : « Mon grand-père aimait les huguenots, et ne les craignait pas ; mon père ne les aimait point, et les craignait ; moi je ne les aime, ni ne les crains. »

 

          Ayant donné, en 1658, la place de premier président du parlement de Paris à M. de Lamoignon, alors maître des requêtes, il lui dit : « Si j’avais connu un plus homme de bien et un plus digne sujet, je l’aurais choisi. » Il usa à peu près des mêmes termes avec le cardinal de Noailles, lorsqu’il lui donna l’archevêché de Paris. Ce qui fait le mérite de ces paroles, c’est qu’elles étaient vraies, et qu’elles inspiraient la vertu.

 

          On prétend qu’un prédicateur indiscret le désigna un jour à Versailles : témérité qui n’est pas permise envers un particulier, encore moins envers un roi. On assure que Louis XIV se contenta de lui dire : « Mon père, j’aime bien à prendre ma part d’un sermon ; mais je n’aime pas qu’on me la fasse. » Que ce mot ait été dit ou non, il peut servir de leçon.

 

          Il s’exprimait toujours noblement et avec précision, s’étudiant en public à parler comme à agir en souverain. Lorsque le duc d’Anjou partit pour aller régner en Espagne, il lui dit, pour marquer l’union qui allait désormais joindre les deux nations : « Il n’y a plus de Pyrénées (9). »

 

 

 

 

 

1 – Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre LIX. (G.A.)

 

2 – Voltaire écrit tout cela par reconnaissance envers la cour de Sceaux, dont il fut un des favoris. (G.A.)

 

3 – Les Mémoires de madame de Maintenon, tome V, page 194, disent que Louis XIV voulut faire le duc du Maine lieutenant général du royaume. Il faut avoir des garants authentiques pour avancer une chose aussi extraordinaire et aussi importante. Le duc du Maine eût été au-dessus du duc d’Orléans : c’eût été tout bouleverser ; aussi le fait est-il faux.

 

4 – Voltaire a beau tâcher d’expliquer la parole du roi au duc d’Orléans, il ne peut ôter de l’idée que le roi a menti in articulo mortis. M. Michelet raconte que Louis XIV s’était fait affilier aux jésuites, et qu’il put participer au privilège de mentir sans pécher. (G.A.)

 

5 – Le maréchal de Berwick dit, dans ses Mémoires, qu’il tient de la reine d’Angleterre que cette princesse ayant félicité Louis XIV sur la sagesse de son testament : « On a voulu absolument que je le fisse, répondit-il ; mais dès que je serai mort, il n’en sera ni plus ni moins. » (K.)

 

6 – Au lieu des deux alinéas suivants, on lisait dans les premières éditions

 

« Il est à croire que ces paroles n’ont pas peu contribué, trente ans après, à cette paix que Louis XV a donnée à ses ennemis, dans laquelle on a vu un roi victorieux rendre toutes ses conquêtes pour tenir sa parole, rétablir tous ses alliés, et devenir l’arbitre de l’Europe par son désintéressement plus encore que par ses victoires. »

 

Voyez le Supplément au Siècle de Louis XIV, deuxième partie. (G.A.)

 

 

7 – J’ai vu de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On y buvait, on y chantait, on riait. Les sentiments des citoyens de Paris avaient passé jusqu’à la populace. Le jésuite Le Tellier était la principale cause de cette joie universelle. J’entendis plusieurs spectateurs dire qu’il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux qui éclairaient la pompe funèbre.

 

8 - Anecdotes sur Louis XIV, publiées en 1748. (G.A.)

 

9 – Ce mot ne se trouve pas dans les Mémoires antérieurs à Voltaire. On ne le croit pas authentique. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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