SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXVII - Suite des particularités et anecdotes - Partie 6

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SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXVII - Suite des particularités et anecdotes - Partie 6

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

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- Partie 6 -

 

 

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CHAPITRE XXVII.

 

 

 

Suite des Anecdotes et des particularités.

 

 

 

 

 

          La cour fut moins vive et plus sérieuse, depuis que le roi commença à mener avec madame de Maintenon une vie plus retirée ; et la maladie considérable qu’il eut en 1686 contribua encore à lui ôter le goût de ces fêtes galantes qui avaient jusque-là signalé presque toutes ses années. Il fut attaqué d’une fistule dans le dernier des intestins. L’art de la chirurgie, qui fit sous ce règne plus de progrès en France que dans tout le reste de l’Europe, n’était pas encore familiarisé avec cette maladie. Le cardinal de Richelieu en était mort, faute d’avoir été bien traité. Le danger du roi émut toute la France. Les églises furent remplies d’un peuple innombrable, qui demandait la guérison de son roi, les larmes aux yeux. Ce mouvement d’un attendrissement général fut presque semblable à ce que nous avons vu, lorsque son successeur fut en danger de mort à Metz, en 1744 (1). Ces deux époques apprendront à jamais aux rois ce qu’ils doivent à une nation qui sait aimer ainsi.

 

          Dès que Louis XIV ressentit les premières atteintes de ce mal, son premier chirurgien Félix alla dans les hôpitaux chercher des malades qui fussent dans le même péril : il consulta les meilleurs chirurgiens ; il inventa avec eux des instruments qui abrégeaient l’opération, et qui la rendaient moins douloureuse. Le roi la souffrît sans se plaindre. Il fit travailler ses ministres auprès de son lit le jour même ; et, afin que la nouvelle de son danger ne fît aucun changement dans les cours de l’Europe, il donna audience le lendemain aux ambassadeurs.

 

          A ce courage d’esprit se joignait la magnanimité avec laquelle il récompensa Félix ; il lui donna une terre qui valait alors plus de cinquante mille écus (2).

 

          Depuis ce temps le roi n’alla plus aux spectacles. La dauphine de Bavière, devenue mélancolique et attaquée d’une maladie de langueur qui la fit enfin mourir en 1690, se refusa à tous les plaisirs, et resta obstinément dans son appartement. Elle aimait les lettres ; elle avait même fait des vers ; mais dans sa mélancolie ; elle n’aimait plus que la solitude.

 

          Ce fut le couvent de Saint-Cyr qui ranima le goût des choses d’esprit. Madame de Maintenon pria Racine, qui avait renoncé au théâtre pour le jansénisme et pour la cour, de faire une tragédie qui pût être représentée par ses élèves (3). Elle voulut un sujet tiré de la Bible. Racine composa Esther. Cette pièce, ayant d’abord été jouée dans la maison de Saint-Cyr, le fut ensuite plusieurs fois à Versailles devant le roi, dans l’hiver de 1689. Des prélats, des jésuites, s’empressaient d’obtenir la permission de voir ce singulier spectacle. Il paraît remarquable que cette pièce eut alors un succès universel, et que deux ans après, Athalie, jouée par les mêmes personnes, n’en eut aucun. Ce fut tout le contraire quand on joua ces pièces à Paris, longtemps après la mort de l’auteur, et après le temps des partialités. Athalie, représentée en 1717, fut reçue comme elle devait l’être, avec transport ; et Esther, en 1721, n’inspira que de la froideur, et ne reparut plus. Mais alors il n’y avait plus de courtisans qui reconnussent avec flatterie Esther dans madame de Maintenon, et avec malignité Vasthi dans madame de Montespan, Aman dans M. de Louvois, et surtout les huguenots persécutés par ce ministre dans la proscription des Hébreux (4). Le public impartial ne vit qu’une aventure sans intérêt et sans invraisemblance ; un roi insensé, qui a passé six mois avec sa femme sans savoir, sans s’informer même qui elle est ; un ministre assez ridiculement barbare pour demander au roi qu’il extermine toute une nation, vieillards, femmes, enfants, parce qu’on ne lui a pas fait la révérence ; ce même ministre assez bête pour signifier l’ordre de tuer tous les Juifs dans onze mois, afin de leur donner apparemment le temps d’échapper ou de se défendre ; un roi imbécile qui sans prétexte signe cet ordre ridicule, et qui, sans prétexte, fait pendre subitement son favori : tout cela, sans intrigue, sans action, sans intérêt, déplut beaucoup à quiconque avait du sens et du goût (5). Mais, malgré le vice du sujet, trente vers d’Esther valent mieux que beaucoup de tragédies qui ont eu de grands succès.

 

          Ces amusements ingénieux recommencèrent pour l’éducation d’Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, amenée en France à l’âge de onze ans.

 

          C’est une des contradictions de nos mœurs, que, d’un côté, on ait laissé un reste d’infamie attaché aux spectacles publics, et que, de l’autre, on ait regardé ces représentations comme l’exercice le plus noble et le plus digne des personnes royales. On éleva un petit théâtre dans l’appartement de madame de Maintenon. La duchesse de Bourgogne, le duc d’Orléans, y jouaient avec les personnes de la cour qui avaient le plus de talent. Le fameux acteur Baron leur donnait des leçons, et jouait avec eux. La plupart des tragédies de Duché, valet de chambre du roi, furent composées pour ce théâtre ; et l’abbé Genest, aumônier de la duchesse d’Orléans, en faisait pour la duchesse du Maine, que cette princesse et sa cour représentaient.

 

          Ces occupations formaient l’esprit, et animaient la société (6).

 

 

 

 

 

 

1 – Voir au chapitre XII du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

2 – Il faut lire M. Michelet sur la fistule du roi : « Tel le roi, telle la France. Elle subit toutes les variations de sa santé. La proscription (protestante) s’aigrit avec le mal du roi. L’opération amène une pétente subite, une faiblesse, une énervation générale. Résultat pitoyable qui n’eut point d’amélioration. La Révocation, en 86, est une fureur ; en 87, une affaire. On surseoit aux martyres, on se rue sur les biens. » (G.A.)

 

3 - Elle avait déjà fait jouer Andromaque. (G.A.)

 

4 – Les Hébreux figurent aux yeux de M. Michelet, non pas les protestants, mais les réfugiés anglais, ces martyrs de la foi catholique, que Louvois ne voulait pas soutenir dans leurs projets. (G.A.)

 

5 – Il est dit, dans les Mémoires de Maintenon, que Racine voyant le mauvais succès d’Esther dans le public, s’écria : « Pourquoi m’y suis-je exposé ? Pourquoi m’a-t-on détourné de me faire chartreux ? Mille louis le consolèrent. »

 

1°/ Il est faux qu’Esther fût alors mal reçue.

 

2°/ Il est faux et impossible que Racine ait dit qu’on l’avait empêché alors de se faire chartreux, puisque sa femme vivait. L’auteur, qui a tout écrit au hasard et tout confondu, devait consulter les Mémoires sur la vie de Jean Racine, par Louis Racine, son fils ; il y aurait vu que Jean Racine voulait se faire chartreux avant son mariage.

 

3°/ Il est faux que le roi lui eût donné alors mille louis. Cette fausseté est encore prouvée par les mêmes Mémoires. Le roi lui fit présent d’une charge de gentilhomme ordinaire de sa chambre, en 1690, après la représentation d’Athalie, à Versailles. Ces minuties acquièrent quelque importance quand il s’agit d’un aussi grand homme que Racine. Les fausses anecdotes sur ceux qui illustrèrent le beau siècle de Louis XIV sont répétées dans tant de livres ridicules, et ces livres sont en si grand nombre, tant de lecteurs oisifs et mal instruits prennent ces contes pour des vérités, qu’on ne peut trop les prémunir contre tous ces mensonges. Et si l’on dément souvent l’auteur des Mémoires de Maintenon, c’est que jamais auteur n’a plus menti que lui. (Voltaire)

 

6 – Comment le marquis de La Fare peut-il dire dans ses Mémoires que « depuis la mort de Madame ce ne fut que jeu, confusion et impolitesse ? » On jouait beaucoup dans les voyages de Marly et de Fontainebleau, mais jamais chez madame de Maintenon ; et la cour fut en tout temps le modèle de la plus parfaite politesse. La duchesse d’Orléans, alors duchesse de Chartres, la princesse de Conti, madame la Duchesse, démentaient bien ce que le marquis de La Fare avance. Cet homme, qui dans le commerce était de la plus grande indulgence, n’a presque écrit qu’une satire. Il était mécontent du gouvernement : il passait sa vie dans une société qui se faisait un mérite de condamner la cour, et cette société fit d’un homme très aimable un historien quelquefois injuste. (Voltaire)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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