THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 9

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THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 9

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IRÈNE.

 

 

 

 

- Partie 9 -

 

 

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ACTE CINQUIÈME.

 

 

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SCÈNE I.

 

 

 

 

ALEXIS, MEMNON.

 

 

 

MEMNON.

 

Oui, quelquefois sans doute il est plus difficile

De s’assurer chez soi d’un sort pur et tranquille,

Que de trouver la gloire au milieu des combats

Qui dépendent de nous moins que de nos soldats.

Je vous l’ai dit : Irène, en sa juste colère.

Ne pardonnera point l’attentat sur son père.

 

ALEXIS.

 

Mais quoi ! laissez près d’elle un maître impérieux

Qui lui reprochera le pouvoir de ses yeux ;

Qui, lui faisant surtout un crime de me plaire,

Et tournant à son gré ce cœur souple et sincère,

Gouvernant sa faiblesse, et trompant sa candeur,

Va changer par degrés sa tendresse en horreur !

Je veux régner sur elle ainsi que sur Byzance,

La couvrir des rayons de ma toute-puissance ;

Et que ce maître altier, qui veut donner la loi,

Soit aux pieds de sa fille, et la serve avec moi.

 

MEMNON.

 

Vous vous trompiez, César ; j’ai prévu vos alarmes ;

Vous avez contre vous tourné vos propres armes.

C’en est fait ; je vous plains.

 

ALEXIS.

 

Tu m’as donc obéi ?

 

MEMNON.

 

C’était avec regret, mais je vous ai servi :

J’ai saisi ce vieillard ; et César qui soupire

Des faiblesses d’amour m’apprend quel est l’empire.

Mais, après cette injure, auriez-vous espéré

De ramener à vous un esprit ulcéré,

Eh ! pourquoi consulter, dans de telles alarmes,

Un vieux soldat blanchi dans les horreurs des armes ?

 

ALEXIS.

 

Ah ! cher et sage ami, que les yeux éclairés

Ont bien prévu l’effet de mes vœux égarés !

Que tu connais ce cœur si contraire à soi-même,

Esclave révolté qui perd tout ce qu’il aime,

Aveugle en son courroux, prompte à se démentir,

Né pour les passions, et pour le repentir !

 

(Memnon sort.)

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

 

 

 

ALEXIS, ZOÉ.

 

 

 

 

 

ALEXIS.

 

Venez, venez, Zoé, vous que chérit Irène ;

Jugez si mon amour a mérité sa haine.

Si je voulais en maître, en vainqueur, en césar,

Montrer l’auguste Irène enchaînée à mon char.

Je n’ordonnerai point qu’une odieuse fête

Au temple du Bosphore avec éclat s’apprête ;

Je n’insulterai point à ces préventions

Que le temps enracine au cœur des nations.

Je prétends préparer cet hymen où j’aspire

Loin d’un peuple importun qu’un vain spectacle attire.

Vous connaissez l’autel qu’éleva dans ces lieux

Avec simplicité la main de nos aïeux :

N’admettant pour garants de la foi qu’on se donne

Que deux amis, un prêtre, et le ciel qui pardonne,

C’est là que devant Dieu je promettrai mon cœur.

Est-il indigne d’elle ? inspire-t-il l’horreur ?

Dites-moi par pitié si son âme agitée

Aux offres que je fais recule épouvantée,

Si mon profond respect ne peut que l’indigner,

Enfin si je l’offense en la faisant régner.

 

ZOÉ.

 

Ce matin, je l’avoue, en proie à ses alarmes,

Votre nom prononcé faisait couler ses larmes :

Mais depuis que Léonce ici vous a parlé,

L’œil fixe, le front pâle, et l’esprit accablé,

Elle garde avec nous un farouche silence ;

Son cœur ne nous fait plus la triste confidence

De ce remords puissant qui combat ses désirs :

Ses yeux n’ont plus de pleurs, et sa voix de soupirs.

De son dernier affront profondément frappée,

De Léonce et de vous tout entière occupée,

A nos empressements elle n’a répondu

Que d’un regard mourant, d’un visage éperdu ;

Ne pouvant repousser de sa sombre pensée

Le douloureux fardeau qui la tient oppressée.

 

ALEXIS.

 

Hélas ! elle vous aime, et sans doute me craint.

Si dans mon désespoir votre amitié me plaint,

Si vous pouvez beaucoup sur ce cœur noble et tendre,

Résolvez-là du moins à me voir, à m’entendre,

A ne point rejeter les vœux humiliés

D’un empereur soumis et tremblant à ses pieds.

Le vainqueur de César est l’esclave d’Irène ;

Elle étend à son choix, ou resserre sa chaîne :

Qu’elle dise un seul mot.

 

ZOÉ.

 

Jusques en ce séjour

Je la voix avancer par ce secret détour.

 

ALEXIS.

 

C’est elle-même, ô ciel !

 

ZOÉ.

 

A la terre attachée,

Sa vue à notre aspect s’égare effarouchée :

Elle avance vers vous, mais sans vous regarder ;

Je ne sais quelle horreur semble la posséder.

 

ALEXIS.

 

Irène, est-ce bien vous ? Quoi ! loin de me répondre,

A peine d’un regard elle veut me confondre !

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

 

 

 

ALEXIS, IRÈNE, ZOÉ.

 

 

 

 

 

 

IRÈNE.

 

(Un des soldats qui l’accompagnent lui approche un fauteuil.)

 

Un siège… je succombe. En ces lieux écartés

Attendez-moi, soldats… Alexis, écoutez.

 

(D’une voix inégale, entrecoupée, mais ferme autant que douloureuse.)

 

Sachant ce que je souffre, et voyant ce que j’ose,

D’un pareil entretien vous pénétrez la cause,

Et l’on saura bientôt si j’ai dû vous parler :

D’un reproche assez grand je puis vous accabler ;

Mais l’excès du malheur affaiblit la colère.

Teint du sang d’un époux, vous m’enlevez un père ;

Vous cherchez contre vous encore à soulever

Cet empire et ce ciel que vous osez braver.

Je vois l’emportement de votre affreux délire

Avec cette pitié qu’un frénétique inspire,

Et je ne viens à vous que pour vous retirer

Du fond de cet abîme où je vous vois entrer.

Je plaignais de vos sens l’aveuglement funeste :

On ne peut le guérir… un seul parti me reste.

Allez trouver mon père, implorez son pardon ;

Revenez avec lui : peut-être la raison,

Le devoir, l’amitié, l’intérêt qui nous lie,

La voix du sang qui parle à son âme attendrie,

Rapprocheront trois cœurs qui ne s’accordaient pas.

Un moment peut finir tant de tristes combats.

Allez : ramenez-moi le vertueux Léonce ;

Sur mon sort avec vous que sa bouche prononce :

Puis-je y compter ?

 

 

ALEXIS.

 

J’y cours, sans rien examiner.

Ah ! si j’osais penser qu’on pût me pardonner,

Je mourrais à vos pieds de l’excès de ma joie.

Je vole aveuglément où votre ordre m’envoie ;

Je vais tout réparer ; oui, malgré ses rigueurs,

Je veux qu’avec ma main sa main sèche vos pleurs.

Irène, croyez-moi ; ma vie est destinée

A vous faire oublier cette affreuse journée :

Votre père adouci ne reverra dans moi

Qu’un fils tendre et soumis, digne de votre foi.

Si trop de sang pour vous fut versé dans la Thrace,

Mes bienfaits répandus en couvriront la trace ;

Si j’offensai Léonce, il verra tout l’Etat

Expier avec moi cet indigne attentat.

Vous régnerez tous deux : ma tendresse n’aspire

Qu’à laisser dans ses mains les rênes de l’empire.

J’en jure les héros dont nous tenons le jour,

Et le ciel qui m’entend, et vous, et mon amour.

 

IRÈNE, en s’attendrissant et en retenant ses larmes.

 

Allez ; ayez pitié de cette infortunée :

Le ciel vous l’arracha ; pour vous elle était née.

Allez, prince.

 

ALEXIS.

 

Ah ! grand Dieu, témoin de ses bontés,

Je serai digne enfin de mon bonheur !

 

IRÈNE.

 

Partez.

(en pleurant.) (Il sort.)

 

Suivez ses pas, Zoé, si fidèle et si chère.

 

 

 

 

 

 

 

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