LE SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre VII - 2 - Louis XIV gouverne par lui-même

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LE SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre VII - 2 - Louis XIV gouverne par lui-même

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

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(Partie 2)

 

 

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CHAPITRE VII.

 

Louis XIV gouverne par lui-même. Il force la branche d’Autriche espagnole à lui céder partout la préséance, et la cour de Rome à lui faire satisfaction. Il achète Dunkerque. Il donne des secours à l’empereur, au Portugal, aux états généraux, et rend son royaume florissant et redoutable.

 

 

 

 

 

          (1663) Louis fit travailler trente mille hommes à fortifier Dunkerque du côté de la terre et de la mer. On creusa entre la ville et la citadelle un bassin capable de contenir trente vaisseaux de guerre, de sorte qu’à peine les Anglais eurent vendu cette ville, qu’elle devint l’objet de leur terreur.

 

          (30 août 1663) Quelque temps après le roi força le duc de Lorraine à lui donner la forte ville de Marsal. Ce malheureux Charles IV, guerrier assez illustre, mais prince faible, inconstant, et imprudent, venait de faire un traité par lequel il donnait la Lorraine à la France après sa mort, à condition que le roi lui permettrait de lever un million sur l’Etat qu’il abandonnait, et que les princes du sang de Lorraine seraient réputés princes du sang de France. Ce traité, vainement vérifié au parlement de Paris, ne servit qu’à produire de nouvelles inconstances dans le duc de Lorraine, trop heureux ensuite de donner Maral, et de se remettre à la clémence du roi.

 

          Louis augmentait ses Etats même pendant la paix, et se tenait toujours prêt pour la guerre, faisant fortifier ses frontières, tenant ses troupes dans la discipline, augmentant leur nombre, faisant des revues fréquentes.

 

          Les Turcs étaient alors très redoutables en Europe ; ils attaquaient à la fois l’empereur d’Allemagne et les Vénitiens. La politique des rois de France a toujours été, depuis François Ier, d’être alliés des empereurs turcs, non-seulement pour les avantages du commerce, mais pour empêcher la maison d’Autriche de trop prévaloir. Cependant, un roi chrétien ne pouvait refuser du secours à l’empereur, trop en danger ; et l’intérêt de la France était bien que les Turcs inquiétassent la Hongrie, mais non pas qu’ils l’envahissent ; enfin ses traités avec l’empire lui faisaient un devoir de cette démarche honorable. Il envoya donc six mille hommes en Hongrie, sous les ordres du comte de Coligny, seul reste de la maison de ce Coligny, autrefois si célèbre dans nos guerres civiles, et qui mérite peut-être une aussi grande renommée que cet amiral, par son courage et par sa vertu. L’amitié l’avait attaché au grand Condé, et toutes les offres du cardinal Mazarin n’avaient jamais pu l’engager à manquer à son ami. Il mena avec lui l’élite de la noblesse de France, et entre autres le jeune La Feuillade, homme entreprenant et avide de gloire et de fortune. (1664) Ces Français allèrent servir en Hongrie sous le général Montecuculli, qui tenait tête alors au grand vizir Kiuperli ou Kouprogli, et qui depuis, en servant contre la France, balança la réputation de Turenne. Il y eut un grand combat à Saint-Gothard, au bord du Raab, entre les Turcs et l’armée de l’empereur. Les Français y firent des prodiges de valeur ; les Allemands mêmes, qui ne les aimaient point, furent obligés de leur rendre justice ; mais ce n’est pas la rendre aux Allemands, de dire, comme on a fait dans tant de livres, que les Français eurent seuls l’honneur de la victoire.

 

          Le roi, en mettant sa grandeur à secourir ouvertement l’empereur, et à donner de l’éclat aux armes françaises, mettait sa politique à soutenir secrètement le Portugal contre l’Espagne. Le cardinal Mazarin avait abandonné formellement les Portugais, par le traité des Pyrénées ; mais l’Espagnol avait fait plusieurs petites infractions tacites à la paix. Le Français en fit une hardie et décisive : le maréchal de Schomberg, étranger et huguenot, passa en Portugal avec quatre mille soldats français, qu’il payait de l’argent de Louis XIV, et qu’il feignait de soudoyer au nom du roi de Portugal. Ces quatre mille soldats français, joints aux troupes portugaises, remportèrent à Villa-Viciosa (17 juin 1665) une victoire complète, qui affermit le trône dans la maison de Bragance. Ainsi Louis XIV passait déjà pour un prince guerrier et politique, et l’Europe le redoutait même avant qu’il eût encore fait la guerre.

 

          Ce fut par cette politique qu’il évita, malgré ses promesses, de joindre le peu de vaisseaux qu’il avait alors aux flottes hollandaises. Il s’était allié avec la Hollande en 1662. Cette république, environ vers ce temps-là, recommença la guerre contre l’Angleterre, au sujet du bain et bizarre honneur du pavillon, et des intérêts réels de son commerce dans les Indes. Louis voyait avec plaisir ces deux puissances maritimes mettre en mer tous les ans, l’une contre l’autre, des flottes de plus de cent vaisseaux, et se détruire mutuellement par les batailles les plus opiniâtres qui se soient jamais données, dont tout le fruit était l’affaiblissement ds deux partis. Il s’en donna une qui dura trois jours entiers (11, 12, et 13 juin 1666). Ce fut dans ces combats que le Hollandais Ruyter acquit la réputation du plus grand homme de mer qu’on eût vu encore. Ce fut lui qui alla brûler les plus beaux vaisseaux d’Angleterre jusque dans ses ports, à quatre lieues de Londres. Il fit triompher la Hollande sur les mers, dont les Anglais avaient toujours eu l’empire, et où Louis XIV n’était rien encore.

 

          La domination de l’Océan était partagée, depuis quelque temps, entre ces deux nations. L’art de construire les vaisseaux, et de s’en servir pour le commerce et pour la guerre, n’était bien connu que d’elles. La France, sous le ministère de Richelieu, se croyait puissante sur mer, parce que d’environ soixante vaisseaux ronds que l’on comptait dans ses ports, elle pouvait en mettre en mer environ trente, dont un seul portait soixante et dix canons. Sous Mazarin, on acheta des Hollandais le peu de vaisseaux que l’on avait. On manquait de matelots, d’officiers, de manufactures pour la construction et pour l’équipement. Le roi entreprit de réparer les ruines de la marine, et de donner à la France tout ce qui lui manquait, avec une diligence incroyable : mais, en 1664 et 1665, tandis que les Anglais et les Hollandais couvraient l’Océan de près de trois cents gros vaisseaux de guerre, il n’en avait encore que quinze ou seize du dernier rang, que le duc de Beaufort occupait contre les pirates de Barbarie ; et lorsque les états généraux pressèrent Louis XIV de joindre sa flotte à la leur, il ne se trouva dans le port de Brest qu’un seul brûlot qu’on eut honte de faire partir, et qu’il fallut pourtant leur envoyer sur leurs instances réitérées. Ce fut une honte que Louis XIV s’empressa bien vite d’effacer.

 

          (1665) Il donna aux états un secours de ses forces de terres plus essentiel et plus honorable. Il leur envoya six mille Français pour les défendre contre l’évêque de Munster, Christophe-Bernard van Galen, prélat guerrier et ennemi implacable, soudoyé par l’Angleterre pour désoler la Hollande ; mais il leur fit payer chèrement ce secours, et les traita comme un homme puissant qui vend sa protection à des marchands opulents. Colbert mit sur leur compte non-seulement la solde de ses troupes, mais jusqu’aux frais d’une ambassade envoyée en Angleterre pour conclure leur paix avec Charles II. Jamais secours ne fut donné de si mauvaise grâce, ni reçu avec moins de reconnaissance.

 

          Le roi ayant ainsi aguerri ses troupes, et formé de nouveaux officiers en Hongrie, en Hollande, en Portugal, respecté et vengé dans Rome, ne voyait pas un seul potentat qu’il dût craindre. L’Angleterre ravagée par la peste ; Londres réduite en cendres par un incendie attribué injustement aux catholiques ; la prodigalité et l’indigence continuelle de Charles II, aussi dangereuse pour ses affaires que la contagion et l’incendie, mettaient la France en sûreté du côté des Anglais. L’empereur réparait à peine l’épuisement d’une guerre contre les Turcs. Le roi d’Espagne, Philippe IV, mourant, et sa monarchie aussi faible que lui, laissaient Louis XIV le seul puissant et le seul redoutable. Il était jeune, riche, bien servi, obéi aveuglément, et marquait l’impatience de se signaler et d’être conquérant (1).

 

 

 

 

 

1 – M. Michelet, loin d’admirer les débuts de Louis XIV, trouve que cela n’est pas une continuation de la politique antérieure. Il y voit une déviation subite, étourdie, violente. C’est un défi qu’un roi de théâtre lance à toute l’Europe, jetant partout des germes profonds de haine, créant d’infinis obstacles pour l’avenir, et préparant, de bravade en bravade, la honte, la banqueroute, et un tel amaigrissement de la France qu’un siècle ne put l’en relever. (G.A.)

 

 

 

 

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