THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 2

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THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 2

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IRÈNE.

 

 

 

 

 

- Partie 2 -

 

___________

 

 

SCÈNE II.

 

 

 

IRÈNE, ZOÉ, MEMNON.

 

 

 

 

IRÈNE.

 

Eh bien ! en liberté puis-je voir votre maître ?

Memnon, puis-je à mon tour être admise aujourd’hui

Parmi les courtisans qu’il approche de lui ?

 

MEMNON.

 

Madame, j’avouerai qu’il veut à votre vue

Dérober les chagrins de son âme abattue.

Je ne suis point compté parmi les courtisans,

De ses desseins secrets superbes confidents.

Du conseil de César on me ferme l’entrée.

Commandant de sa garde à la porte Sacrée,

Militaire oublié par ses maîtres altiers,

Relégué dans mon poste ainsi que mes guerriers,

J’ai seulement appris que le brave Comnène,

A quitté dès longtemps les bords du Borysthène

Qu’il vogue vers Byzance, et que César troublé

Ecoute en frémissant son conseil assemblé.

 

IRÈNE.

 

Alexis ? dites-vous ?

 

MEMNON.

 

Il revole au Bosphore.

 

IRÈNE.

 

Il pourrait à ce point offenser Nicéphore ?

Revenir sans son ordre !

 

MEMNON.

 

On l’assure, et la cour

S’alarme, se divise, et tremble à son retour.

Il a brisé, dit-on, l’honorable esclavage

Où l’empereur jaloux retenait son courage ;

Il vient jouir ici des honneurs et des droits

Que lui donnent son rang, sa naissance, et nos lois.

C’est tout ce que j’apprends par ces rumeurs soudaines

Qui font naître en ces lieux tant d’espérances vaines,

Et qui, de bouche en bouche armant les factions,

Vont préparer Byzance aux révolutions.

Pour moi, je sais assez quel parti je dois prendre,

Quel maître je dois suivre, et qui je dois défendre :

Je ne consulte point nos ministres, nos grands,

Leurs intérêts cachés, leurs partis différents,

Leurs fausses amitiés, leurs indiscrètes haines.

Attaché sans réserve au pur sang des Comnènes,

Je le sers, et surtout dans ces extrémités,

Memnon sera fidèle au sang dont vous sortez.

Le temps ne permet pas d’en dire davantage…

Souffrez que je revole où mon devoir m’engage.

 

(Il sort.)

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

 

IRÈNE, ZOÉ.

 

 

 

 

 

IRÈNE.

 

Qu’a-t-il osé me dire ? et quel nouveau danger,

Quel malheur imprévu vient encor m’affliger !

Il ne s’explique point : je crains de le comprendre.

 

ZOÉ.

 

Memnon n’est qu’un guerrier prompt à tout entreprendre :

Je le connais ; le sang d’assez près nous unit.

Contre nos courtisans exhalant son dépit,

Il détesta toujours leur frivole insolence,

Leurs animosités qui partagent Byzance,

Leurs tristes vanités que suit le déshonneur ;

Mais son esprit altier hait surtout l’empereur.

D’Alexis, en secret, son cœur est idolâtre ;

Et, s’il en était cru, Byzance est un théâtre

Qui produirait bientôt quelqu’un de ces revers

Dont le sanglant spectacle ébranla l’univers.

Ne vous étonnez point quand sa sombre colère

S’échappe en vous parlant, et peint son caractère.

 

IRÈNE.

 

Mais Alexis revient… César est irrité :

Le courtisan surpris murmure épouvanté.

Les états convoqués dans Byzance incertaine,

Fatiguant dès longtemps la grandeur souveraine,

Troublent l’empire entier par leurs divisions.

Tout un peuple s’enflamme au feu des factions…

Des discours de Memnon que veux-tu que j’espère ?

Il commande au palais une garde étrangère :

D’Alexis, en secret, est-il le confident ?

Que je crains d’Alexis le retour imprudent,

Les desseins du sénat, des peuples le délire,

Et l’orage naissant qui gronde sur l’empire !

Que je me crains surtout dans ma juste douleur !

Je consulte en tremblant le secret de mon cœur :

Peut-être il me prépare un avenir terrible ;

Le ciel, en le formant, l’a rendu trop sensible.

Si jamais Alexis, en ce funeste lieu,

Trahissant ses serments… Que vois-je ? juste Dieu !

 

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

 

 

IRÈNE, ALEXIS, ZOÉ.

 

 

 

 

 

ALEXIS.

 

Daignez souffrir ma vue, et bannissez vos craintes…

Je ne viens point troubler par d’inutiles plaintes

Un cœur à qui le mien se doit sacrifier,

Et rappeler des temps qu’il nous faut oublier.

Le destin me ravit la grandeur souveraine ;

Il m’a fait plus d’outrage, il m’a privé d’Irène…

Dans l’Orient soumis mes services rendus

M’auraient pu mériter les biens que j’ai perdus ;

Mais lorsque sur le trône on plaça Nicéphore,

La gloire en ma faveur ne parlait point encore ;

Et n’ayant pour appui que nos communs aïeux,

Je n’avais rien tenté qui pût m’approcher d’eux.

Aujourd’hui Trébizonde entre nos mains remise,

Les Scythes repoussés, la Tauride conquise,

Sont les droits qui vers vous m’ont enfin rappelé.

Le prix de mes travaux était d’être exilé !

Le suis-je encor par vous ? N’osez-vous reconnaître

Dans le sang dont je suis le sang qui vous fit naître ?

 

IRÈNE.

 

Prince, que dites-vous ! dans quel temps, dans quels lieux,

Par ce retour fatal étonnez-vous mes yeux ?

Vous connaissez trop bien quel joug m’a captivée,

La barrière éternelle entre nous élevée,

Nos devoirs, nos serments, et surtout cette loi

Qui ne vous permet plus de vous montrer à moi.

Pour calmer de César la juste défiance,

Il vous aurait suffi d’éviter ma présence.

Vous n’avez pas prévu ce que vous hasardez.

Vous me faites frémir : seigneur, vous vous perdez.

 

ALEXIS.

 

Si je craignais pour vous je serais plus coupable ;

Ma présence à César serait plus redoutable.

Quoi donc ! suis-je à Byzance ? est-ce vous que je vois ?

Est-ce un sultan jaloux qui vous tient sous ses lois ?

Etes-vous dans la Grèce une esclave d’Asie,

Qu’un despote, un barbare achète en Circassie,

Qu’on rejette en prison sous des monstres cruels,

A jamais invisible au reste des mortels ?

César a-t-il changé, dans sa sombre rudesse,

L’esprit de l’Occident et les mœurs de la Grèce ?

 

 

IRÈNE.

 

Du jour où Nicéphore ici reçut ma foi,

Vous le savez assez, tout est changé pour moi.

 

ALEXIS.

 

Hors mon cœur ; le destin le forma pour Irène :

Il brave des césars la puissance et la haine.

Il ne craindrait que vous ! Quoi ! vos derniers sujets

Vers leur impératrice auront un libre accès !

Tout mortel jouira du bonheur de sa vue !

Nicéphore à moi seul l’aurait-il défendue ?

Et suis-je criminel à ses regards jaloux,

Dès qu’on l’a fait césar et qu’il est votre époux ?

Enorgueilli surtout de cet hymen auguste,

L’excès de son bonheur le rend-il plus injuste ?

 

IRÈNE.

 

Il est mon souverain.

 

ALEXIS.

 

Non, il n’était pas né

Pour me ravir le bien qui m’était destiné :

Il n’en était pas digne ; et le sang des Comnènes

Ne nous fut point transmis pour servir dans ses chaînes.

Qu’il gouverne s’il peut de ses sévères mains

Cet empire, autrefois l’empire des Romains,

Qu’aux campagnes de Thrace, aux mers de Trébizonde,

Transporta Constantin pour le malheur du monde (1),

Et que j’ai défendu moins pour lui que pour vous.

Qu’il règne, s’il le faut ; je n’en suis point jaloux :

Je le suis de vous seule, et jamais mon courage

Ne lui pardonnera votre indigne esclavage.

Vous cachez des malheurs dont vos pleurs sont garants ;

Et les usurpateurs sont toujours des tyrans.

Mais si le ciel est juste, il se souvient peut-être

Qu’il devait à l’empire un moins barbare maître.

 

IRÈNE.

 

Trop vains regrets ! je suis esclave de ma foi.

Seigneur, je l’ai donnée, elle n’est plus à moi.

 

ALEXIS.

 

Ah ! vous me la deviez.

 

 

IRÈNE.

 

Et c’est à vous de croire

Qu’il ne m’est pas permis d’en garder la mémoire.

Je fais des vœux pour vous, et vous m’épouvantez.

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

 

IRÈNE, ALEXIS, ZOÉ, UN GARDE.

 

 

 

 

 

LE GARDE.

 

 

Seigneur, César vous mande.

 

ALEXIS.

 

Il me verra : sortez.

 

(A Irène.)

 

Il me verra, madame ; une telle entrevue

Ne doit point alarmer votre âme combattue.

Ne craignez rien pour lui, ne craignez rien de moi,

A son rang comme au mien je sais ce que je doi.

Rentrez dans vos foyers, tranquille et rassurée.

 

(Il sort.)

 

 

1 – Le malheur du monde, c’est l’établissement de la papauté à Rome. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

 

 

IRÈNE, ZOÉ.

 

 

 

 

 

 

IRÈNE.

 

De quel saisissement mon âme est pénétrée !

Que je sens à la fois de faiblesse et d’horreur !

Chaque mot qu’il m’a dit me remplit de terreur.

Que veut-il ? Va, Zoé, commande que sur l’heure

On parcoure en secret cette triste demeure,

Ces sept affreuses tours qui, depuis Constantin,

Ont de tant de héros vu l’horrible destin.

Interroge Memnon ; prends pitié de ma crainte.

 

ZOÉ.

 

J’irai, j’observerai cette terrible enceinte.

Mais je tremble pour vous : un maître soupçonneux

Vous condamne peut-être et vous proscrit tous deux.

Parmi tant de dangers, que prétendez-vous faire ?

 

IRÈNE.

 

Garder à mon époux ma foi pure et sincère ;

Vaincre un fatal amour, si son feu rallumé

Renaissait dans ce cœur autrefois enflammé ;

Demeurer de mes sens maîtresse souveraine,

Si la force est possible à la faiblesse humaine ;

Ne point combattre en vain mon devoir et mon sort,

Et ne déshonorer ni mes jours, ni ma mort.

 

 

 

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