THÉÂTRE - IRÈNE - Partie 1
Photo de PAPAPOUSS
IRÈNE.
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PERSONNAGES.
NICÉPHORE empereur de Constantinople.
IRÈNE femme de Nicéphore.
ALEXIS COMNÈNE prince de Grèce.
LÉONCE père d’Irène.
MEMNON attaché à Alexis.
ZOÉ favorite, suivante d’Irène.
UN OFFICIER DE L’EMPEREUR.
GARDES.
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La scène est dans un salon de l’ancien palais de Constantin.
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ACTE PREMIER.
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SCÈNE I.
IRÈNE, ZOÉ.
IRÈNE.
Quel changement nouveau, quelle sombre terreur,
Ont écarté de nous la cour et l’empereur ?
Au palais des Sept-Tours une garde inconnue
Dans un silence morne étonne ici ma vue ;
En un vaste désert on a changé la cour.
ZOÉ.
Aux murs de Constantin trop souvent un beau jour
Est suivi des horreurs du plus funeste orage.
La cour n’est pas longtemps le bruyant assemblage
De tous nos vains plaisirs l’un à l’autre enchaînés,
Trompeurs soulagements des cœurs infortunés ;
De la foule importune il faut qu’on se retire.
Nos états assemblés pour corriger l’empire,
Pour le perdre peut-être, et ces fiers musulmans,
Ces Scythes vagabonds débordés dans nos champs,
Mille ennemis cachés qu’on nous fait craindre encore,
Sans doute en ce moment occupent Nicéphore.
IRÈNE.
De ses chagrins secrets, qu’il veut dissimuler,
Je connais trop la cause ; elle va m’accabler.
Je sais par quels soupçons sa dureté jalouse
Dans son inquiétude outrage son épouse.
Il écoute en secret ces obscurs imposteurs,
D’un esprit défiant détestables flatteurs,
Trafiquant du mensonge et de la calomnie,
Et couvrant la vertu de leur ignominie.
Quel emploi pour César ! et quels soins douloureux !
Je le plains, je gémis… Il fait deux malheureux…
Ah ! que n’ai-je embrassé cette retraite austère
Où depuis mon hymen s’est enfermé mon père !
Il a fui pour jamais l’illusion des cours.
L’espoir qui nous séduit, qui nous trompe toujours,
La crainte qui nous glace, et la peine cruelle
De se faire à soi-même une guerre éternelle.
Que ne foulai-je aux pieds ma funeste grandeur !
Je montai sur le trône au faîte du malheur,
Aux yeux des nations victime couronnée ;
Je pleure devant toi ma haute destinée,
Et je pleure surtout ce fatal souvenir
Que mon devoir condamne, et qu’il me faut bannir.
Ici l’air qu’on respire empoisonne ma vie.
ZOÉ.
De Nicéphore au moins la sombre jalousie
Par d’indiscrets éclats n’a point manifesté
Le sentiment honteux dont il est tourmenté :
Il le cache au vulgaire, à sa cour, à lui-même ;
Il sait vous respecter, et peut-être il vous aime.
Vous cherchez à nourrir une injuste douleur.
Que craignez-vous ?
IRÈNE.
Le ciel, Alexis, et mon cœur.
ZOÉ.
Mais Alexis Comnène aux champs de la Tauride,
Tout entier à la gloire, au devoir qui le guide,
Sert l’empereur et vous sans vous inquiéter,
Fidèle à ses serments jusqu’à vous éviter.
IRÈNE.
Je sais que ce héros ne cherche que la gloire :
Je ne saurais m’en plaindre.
ZOÉ.
Il a par la victoire
Raffermi cet empire ébranlé dès longtemps.
IRÈNE.
Ah ! j’ai trop admiré ses exploits éclatants :
Sa gloire de si loin m’a trop intéressée.
César aura surpris au fond de ma pensée
Quelques vœux indiscrets que je n’ai pu cacher,
Et qu’un époux, un maître, a droit de reprocher.
C’était pour Alexis que le ciel me fit naître :
Des antiques césars nous avons reçu l’être ;
Et dès notre berceau l’un à l’autre promis,
C’est dans ces mêmes lieux que nous fûmes unis :
C’est avec Alexis que je fus élevée ;
L’intérêt de l’Etat, ce prétexte inventé
Pour trahir sa promesse avec impunité,
Ce fantôme effrayant subjugua ma famille ;
Ma mère à son orgueil sacrifia sa fille.
Du bandeau des césars on crut cacher mes pleurs ;
On para mes chagrins de l’éclat des grandeurs.
Il me fallut éteindre, en ma douleur profonde,
Un feu plus cher pour moi que l’empire du monde ;
Au maître de mon cœur il fallut m’arracher,
De moi-même en pleurant j’osai me détacher.
De la religion le pouvoir invincible
Secourut ma faiblesse en ce combat pénible ;
Et de ce grand secours apprenant à m’armer,
Je fis l’affreux serment de ne jamais aimer.
Je le tiendrai. Ce mot te fait assez comprendre
A quels déchirements ce cœur devait s’attendre.
Mon père à cet orage ayant pu m’exposer,
M’aurait par ses vertus appris à l’apaiser ;
Il a quitté la cour, il a fui Nicéphore ;
Il m’abandonne en proie au monde qu’il abhorre :
Et je n’ai que toi seule à qui je puis ouvrir
Ce cœur faible et blessé que rien ne peut guérir.
Mais on ouvre au palais… je vois Memnon paraître.