CORRESPONDANCE - Année 1778 - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1778 - Partie 6

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à Madame d’Épinay.

 

1778.

 

 

          Le vieux malade oubliera tous ses maux pour venir jouir de toutes les consolations qu’on trouve dans la société de la respectable philosophe. Il est bien affligé qu’elle ressente comme lui des misères attachées à la condition humaine.

 

 

 

 

 

à M. le docteur Maret.

 

A Paris, 20 Février 1778.

 

 

          Monsieur, le vieillard de quatre-vingt-quatre ans qui passa par Dijon (1) n’eut que le temps de voir le rapporteur d’un procès qui est presque le sien, étant celui de sa nièce. Il fut obligé de partir immédiatement après avoir rempli ce triste devoir. Si j’avais été le maître d’un moment, je l’aurais employé à me mettre aux pieds de l’Académie (2). Ce n’est pas en courant la poste que je dois la remercier de toutes ses bontés. J’espère d’être en vie jusqu’à la mi-carême, et que M. Tronchin daignera prolonger mes jours jusqu’à ce temps. Alors je viendrai mourir à mon aise entre mes honorés confrères, à qui je présente mon respect ainsi qu’à vous, monsieur. Votre très humble et très obéissant serviteur. LE VIEUX MALADE.

 

 

1 – Dans la nuit du 7 au 8 février. (G.A.)

2 – Maret était secrétaire de l’Académie de Dijon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Clairon.

 

Paris, 21 Février 1778 (1).

 

 

          Le vieux malade de Ferney a entendu dire que mademoiselle Clairon avait été fort incommodée ces jours passés ; il voudrait bien lui dire combien il s’intéresse à elle et à quel point il lui est dévoué, s’il n’était pas lui-même dans le plus triste état.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Gaultier.

 

Paris, 21 Février 1778.

 

 

          Votre lettre, monsieur (1) me paraît celle d’un honnête homme ; et cela me suffit pour me déterminer à recevoir l’honneur de votre visite le jour et les moments qu’il vous plaira de me la faire. Je vous dirai la même chose que j’ai dite en donnant la bénédiction au petit-fils de l’illustre et sage Franklin, l’homme le plus respectable de l’Amérique ; je ne prononçai que ces mots : Dieu et la liberté. Tous les assistants versèrent des larmes d’attendrissement. Je me flatte que vous êtes dans les mêmes principes.

 

          J’ai quatre-vingt-quatre ans ; je vais bientôt paraître devant Dieu, créateur de tous les mondes. Si vous avez quelque chose à me communiquer, je me ferai un devoir et un honneur de recevoir votre visite, malgré les souffrances qui m’accablent. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Ce prêtre, aumônier des Incurables, avait écrit à Voltaire pour le confesser. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la présidente de Meynières.

 

Paris, 22 Février (1).

 

 

          Vous avez écrit, madame, à un homme de quatre-vingt-quatre ans mourant, et peu s’en est fallu que vous ayez écrit à un mort. Vous avez bien mal adressé les choses pleines d’esprit et de grâce que vous m’écrivez. Je ne puis y répondre, dans le cruel état où je suis, que par les sentiments de reconnaissance et de respect avec lesquels je serai jusqu’au dernier moment que j’attends, madame, votre très humble et très obéissant serviteur, et celui de M. de Meynières.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé du Vernet.

 

Paris, 25 Février 1778 (1).

 

 

          Le vieillard, arrivé à Paris excessivement malade, est bien consolé par la lettre que M. l’abbé du Vernet lui fait l’honneur de lui écrire ; il le sera encore plus si M. l’abbé veut lui faire l’honneur de venir chez lui. Tous les jours seront bons et toutes les heures. Je le remercie de son petit mémoire sur Lekain (2) ; c’est un ouvrage nécessaire à la littérature.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Mort le 8 Février. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Gaultier.

 

Paris, 26 Février 1778.

 

 

          Vous m’avez promis, monsieur, de venir pour m’entendre : je vous prie de venir le plus tôt que vous pourrez. VOLTAIRE.

 

 

 

 

 

à M. le docteur Tronchin.

 

27 Février 1778 (1).

 

 

          Le vieux malade du palais Villette demande à son sauveur du Palais-Royal si l’enflure aux jambes qui continue toujours, avec un reste de strangurie, ne pourrait pas produire, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, une hydropisie que ledit malade regarde comme un mal de famille. Il ne serait pas fâché d’être rassuré par un petit mot d’Esculape Tr. Son très humble et très obligé serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Mars 1778.

 

 

          Pardon, mon cher ange, ma tête de quatre-vingt-quatre ans n’en a que quinze ; mais vous devez avoir pitié d’un homme blessé qui crie, ne pouvant parler. Songez que je meurs, songez qu’en mourant j’ai achevé Irène, Agathocie, le Droit du Seigneur, et fait quatre actes d’Altrée (1). Songez que Molé m’a mutilé indignement, sottement, et insolemment ; qu’il ne veut point jouer son rôle dans le Droit du Seigneur, etc. Je suis mort, et il faut que je coure chez les premiers gentilshommes de la chambre ; voyez s’il ne m’est pas permis de crier : cependant j’avoue que je ne devrais pas crier si fort.

 

          Je suis à vous, mon ange, à toute heure.

 

 

1 – Il retouchait le Droit du Seigneur et les Pélopides. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Dionis.

 

Mars 1778.

 

 

          Mademoiselle, vous avez eu la bonté de m’envoyer un livre (1) qui contient, à ce que je présume, l’origine de votre maison. Mais, en ajoutant à ce bienfait celui de m’écrire, vous ne m’avez point instruit de votre demeure. Je n’ai pu, même après avoir lu votre origine avec tant de plaisir, trouver le nom du libraire qui la débite ; ainsi il m’a été impossible d’avoir un moyen de vous écrire et de vous remercier. M. de La Harpe, qui se connaît en grâces et en style, vient de me dire qu’il était assez heureux pour vous connaître, et qu’il se chargerait de mettre à vos pieds la reconnaissance de votre très humble, etc.

 

 

1 – L’Origine des Grâces, poème en prose. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le curé de Saint-Sulpice. (1)

 

.

 

 

          M. le marquis de Villette m’a assuré que si j’avais pris la liberté de m’adresser à vous-même, monsieur, pour la démarche nécessaire que j’ai faite, vous auriez eu la bonté de quitter vos importantes occupations pour venir, et daigner remplir auprès de moi des fonctions que je n’ai cru convenable qu’à des subalternes auprès des passagers qui se trouvent dans votre département.

 

          M. l’abbé Gaultier avait commencé par m’écrire sur le bruit seul de ma maladie ; il était venu ensuite s’offrir de lui-même, et j’étais fondé à croire que, demeurant sur votre paroisse, il venait de votre part. Je vous regarde, monsieur, comme un homme du premier ordre de l’Etat. Je sais que vous soulagez les pauvres en apôtre, et que vous faites travailler en ministre. Plus je respecte votre personne et votre état, plus je crains d’abuser de vos extrêmes bontés. Je n’ai considéré que ce que je dois à votre naissance, à votre ministère, et à votre mérite. Vous êtes un général à qui j’ai demandé un soldat. Je vous supplie de me pardonner de n’avoir pas prévu la condescendance avec laquelle vous seriez descendu jusqu’à moi ; pardonnez aussi l’importunité de cette lettre ; elle n’exige pas l’embarras d’une réponse, votre temps est trop précieux. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Faydit de Terssac. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Gaultier. (1)

 

15 Mars 1778.

 

 

          Le maître de la maison a ordonné à son suisse de ne laisser entrer aucun ecclésiastique que M. le curé de Saint Sulpice. Quand le malade aura recouvré un peu de santé, il se fera un plaisir de recevoir M. l’abbé Gaultier. DE VOLTAIRE.

 

 

1 – Ce prêtre avait demandé à revoir Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Florian.

 

A Paris, 15 Mars 1778.

 

 

          Le vieux malade n’a pu encore écrire à monsieur et à madame de Florian. Il a été à la mort pendant plus de quinze jours, depuis son accident. Il a fallu passer par toutes les horreurs qui accompagnent cet état. Il saisit un moment où il souffre un peu moins, pour dire à monsieur et à madame de Florian qu’il serait mort en les aimant de tout son cœur, et en comptant sur leur souvenir.

 

          Vous savez que tout parle guerre à Paris ; que le roi a déclaré, par son ambassadeur à Londres, qu’il veut la paix, mais qu’il fera respecter son pavillon et le commerce de ses sujets. Le traité avec les Américains est public. J’ai vu M. Franklin chez moi, étant très malade : il a voulu que je donnasse ma bénédiction à son petit-fils. Je la lui ai donnée, en disant Dieu et la liberté, en présence de vingt personnes qui étaient dans ma chambre.

 

          L’ambassadeur d’Angleterre arriva une heure après. Tout ce que j’ai éprouvé de bontés de la cour et de la ville a été bien au-delà de mes espérances et même de mes souhaits ; mais je ne crois pas que ce temps-ci puisse être convenable pour demander des grâces pécuniaires en faveur de ma colonie. Le roi est trop endetté. Les flottes ont coûté un argent immense. Les billets de la loterie de M. Necker perdent chacun quatre-vingts sur mille. Il y en a cinq mille à prendre, dont personne ne veut. Il n’est plus question d’économie, il ne s’agit plus que de vengeance. M. d’Estaing commande une escadre formidable, M. de La Motte-Piquet une autre.

 

          Vous savez que M. Dupuits (1) est à Paris, et qu’il espère être employé. Il est à croire que, sans guerre déclarée, il y aura des coups donnés. Pour moi, qui suis très pacifique, je ne songe qu’à être défait de tous les polissons qui me parlent de Shakespeare, de Faxhall, de Rostbeef, de sauteurs anglais, et de milords anglais.

 

          Je demande bien pardon à M. de Florian d’entrer dans ces détails. J’aimerais bien mieux faire paver dans sa maison ; mais je vois qu’il est plus aisé de guérir d’un vomissement de sang que d’obtenir de l’argent d’un gouvernement obéré, qui n’a pas même le moyen de payer le pauvre Racle (2). Il y a ici un luxe révoltant et une misère affreuse. Paris est le rendez-vous de toutes les folies, de toutes les sottises, et de toutes les horreurs possibles. Quand pourrais-je revoir Ferney, et embrasser tendrement le seigneur et la dame de Bijou (3).

 

 

1 – Le mari de mademoiselle Corneille. (G.A.)

2 – L’architecte de Ferney. (G.A.)

3 – La maison de Florian était baptisée Bijou-Ferney. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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