CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 20

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 20

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à M. le baron de Constant de Rebecque.

 

Le …

 

 

          Vous combattez vaillamment pour la Vulgate, mon brave colonel ! Je ne lui connaissais point d’aimables défenseurs comme vous. On dit que Fra-Paolo ne voulut pas jeter les yeux sur le livre d’un de ses amis qui démontrait la vérité des dogmes, pour ne pas perdre le mérite de la foi : je vous lis pour rendre hommage à votre mérite, dans une affaire où la défensive est plus difficile que l’attaque.

 

          Votre esprit et vos vertus doivent vous faire estimer par les sages de tous les rires et de toutes les croyances ; mais savez-vous qu’en Sorbonne et devant le saint-office je ne répondrais pas que vous fussiez mieux traité que Socrate par les prêtres de Cérès ?

 

          Cette foi qui peut transporter les montagnes ne me paraît pas être la vôtre. Vous n’écrivez point d’injures, vous parlez raison. Hérésie ! hérésie ! si j’étais orthodoxe, comme vous le voulez, je vous dénoncerais pour la plus grande gloire de Dieu.

 

          Venez être notre missionnaire : je me suis confessé entre vos mains il y a longtemps ; je ne hais que l’intolérance et le fanatisme. Nous vous attendons à bras ouverts. Vous connaissez le tendre respect avec lequel je vous suis attaché.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

18 Septembre 1773 (1).

 

 

          J’envoie à mon cher ange le recueil des Lois de Minos. Je ne lui envoie point le Sophonisbe de Mairet pour être fidèle à mon serment (2), attendu que les parjures sont punis de Dieu.

 

          Le jeune M. Bontems, fils d’un riche banquier de Genève, a bien voulu se charger de remettre ce paquet à mon cher ange. Quand M. de Garville voudra (3), il lui remettra un autre paquet.

 

          Il n’y a rien de nouveau entre le mont Jura et les Alpes. Ce qui serait nouveau, ce serait de jouer à Fontainebleau les Lois de Minos. M. de Richelieu me l’avait promis.

 

          Je me flatte que madame de Saint-Julien voudra bien le faire ressouvenir de sa promesse. Je laisse cette grande affaire à la prudence de mon cher ange. Je le supplie de vouloir bien m’excuser auprès de M. de Thibouville. Je suis si malade et si occupé de mille riens, que je n’ai pas même le temps de dicter une plus longue lettre. Mille tendres respects à mes anges et à M. de Thibouville.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le duc de Richelieu lui avait fait promettre de n’envoyer cette tragédie qu’à lui seul, sous peine de ne pas la laisser jouer. (A. François.)

3 – Ami du duc d’Aiguillon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse du Barry.

 

A Ferney, 20 Septembre 1773 (1).

 

 

          Madame, M. le maréchal de Richelieu voulut bien m’écrire, il y a quelques mois, qu’il accepterait plusieurs montres, fabriquées dans les manufactures de Ferney, pour les présents destinés aux personnes qui accompagneraient madame la comtesse d’Artois. Il me manda, depuis, que vous aviez la bonté de vous charger de ces présents.

 

          Je prends donc la liberté, madame, de vous adresser un essai des travaux de la colonie que j’ai établie dans ma terre. Cette montre est ornée de diamants, et, ce qui vous surprendra, c’est que les sieurs Ceret et Dufour, qui l’ont faite sous mes yeux, n’en demandent que mille francs.

 

          Vous protégez tous les arts en France, j’ose espérer que vous protégerez nos efforts. Je me croirai bien récompensé d’avoir établi des artistes industrieux, d’avoir acquis à sa majesté plus de six cents nouveaux sujets des pays étrangers, et d’avoir changé un petit hameau, pauvre et malsain, en une espèce de petite ville assez jolie, si mes soins ont le bonheur de vous plaire.

 

          La montre que j’ai l’honneur de vous présenter n’est malheureusement pas à répétition ; mais si vous en vouliez, non seulement à répétition, mais à chaînes de marcassites, vous seriez étonnée qu’elles coûteraient un tiers de moins que celles de Paris. Ce serait, madame, une grande consolation pour ma vieillesse, si je pouvais jamais me flatter qu’il sortît quelque chose de Ferney qui ne fût pas indigne de vos regards et de votre protection. J’ai l’honneur d’être avec respect, madame, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 20 Septembre 1773.

 

 

          Selon ce que vous daignâtes me mander, monseigneur, par votre dernière lettre, j’envoie aujourd’hui à madame la comtesse du Barry une montre de ma colonie. Si vous en êtes content, j’espère qu’elle en sera satisfaite ; car ce n’est pas seulement dans les ouvrages d’esprit que mon héros a du goût.

 

          Il n’a pas daigné répondre à mes justes plaintes sur la partie carrée de l’Electre de Crébillon ; mais j’ose présumer que, dans le fond de son cœur, il est assez de mon avis. Je compte toujours sur ses bontés pour l’Afrique et pour la Crète pour l’impudente Sophonisbe, et pour les Lois de Minos ; car, quoique je sente parfaitement le néant de toutes ces choses, j’y suis pourtant bien attaché, attendu que je suis néant moi-même. J’ai été sur le point, ces jours passés, d’être parfaitement néant, c’est-à-dire de mourir ; il ne s’en est pas fallu l’épaisseur d’un cheveu ; et je disais : Je ne saurai pas dans un quart d’heure si mon héros a encore de la bonté pour moi.

 

          Vivez, mon héros, vivez, et vivez gaiement. Je suis très sûr que vous vivrez longtemps ; car vous êtes très bien constitué, et vous êtes votre médecin à vous-même. Daignez, dans la multitude de vos occupations ou de vos plaisirs, vous souvenir qu’il existe encore, entre les Alpes et le mont Jura, le plus ancien de vos courtisans, et le plus pénétré de respect pour vous. LE VIEUX MALADE DE FERNEY.

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

22 Septembre 1773 (1).

 

 

          Il n’y a point de nouvelle édition des Fragments sur l’Inde. Celles de Genève et de Lausanne ne sont pas encore écoulées. Si on en faisait jamais une édition nouvelle, il faudrait que ce fût à Paris, et, en ce cas, le vieux malade y retravaillerait avec grand plaisir. Quoiqu’il soit dans un état bien triste et absolument hors de combat, il ne doute pas que M. Marin n’ait eu la bonté d’envoyer des exemplaires de la quatrième lettre à M. le comte de Morangiés et à M. Linguet. Il pense que cette lettre doit suffire, et que ce n’est pas à celui qui s’est épuisé en louanges à prévenir par une lettre celui qu’il a tant loué ; ce serait plutôt au louangé à remercier le louangeur. Il se flatte d’ailleurs que M. Marin a eu la bonté de faire parvenir à M. de Morangiés un petit billet que le vieux malade mit dans un de ses derniers paquets, vers le 9 ou le 10 de ce mois. C’était une réponse à la lettre de remerciements que M. de Morangiés m’avait écrite. M. Linguet n’a pas eu pour moi la même attention Je suppose toujours que M. Marin a bien voulu faire parvenir à M. de Morangiés cette quatrième Lettre à Messieurs de la noblesse du Gévaudan. Plus n’en sait le pauvre malade. Il jette au cou de M. Marin ses deux bras languissants et décharnés.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Sauseuil.

 

Ferney, 24 Septembre 1773.

 

 

          Un octogénaire très malade, monsieur, et qui bientôt ne parlera plus aucune langue, vous remercie bien sensiblement du profond ouvrage (1) que vous avez eu la bonté de lui envoyer sur la langue française. Il paraît que ce n’est pas le seul langage que vous connaissiez à fond. Vous trouverez peu de lecteurs aussi instruits que vous. Tout le monde s’en tient à la routine et à l’usage. Votre livre ramène à des principes puisés dans la nature, et qui pourtant exigent une attention suivie. On ne peut lire votre ouvrage sans concevoir pour vous beaucoup d’estime, et sans être étonné des peines que vous avez prises.

 

          L’état où je suis ne me permet pas de donner plus d’étendue à mes réflexions, et aux sentiments avec lesquels, etc.

 

 

1 – An analysis of the french orthography. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 25 Septembre 1773.

 

 

          J’écris rarement, madame, à mon papillon philosophe, et philosophe très bienfaisant, pour qui j’ai l’attachement le plus respectueux et le plus tendre. Que pourrait vous dire d’agréable un octogénaire languissant entre les Alpes et le mont Jura ? Cependant il faut bien que je vous parle de vos bontés et de ma reconnaissance.

 

          Vous avez fait rentrer en lui-même M. le maréchal de Richelieu, au sujet de l’Afrique et de la Crète (1). Du moins vous l’avez convaincu, si vous ne l’avez pas entièrement converti. Je ne sais pas où les choses en sont ; mais je sais que je vous ai beaucoup d’obligations. Il est depuis longtemps dans la douce habitude de se moquer de toutes mes idées. Je me souviendrai toujours que mon héros me prit pour un extravagant, quand j’osai entreprendre l’affaire des Calas ; et, en dernier lieu, dans l’affaire de M. de Morangiés, il ne me regardait que comme un avocat de causes perdues. J’ignore si j’ai perdu les causes des Carthaginois et des Crétois. Mon temps est passé ; la faveur n’est plus pour moi. Il faut que je subisse le sort attaché à la vieillesse. Vos bontés me consolent. Ma colonie, que vous avez protégée, prospère et m’amuse. Mon ami Racle réussit, et vous doit tous ses succès. Vous faites du bien à cent cinquante lieues de vous. Jamais ni philosophie ni papillon n’en a fait autant.

 

          Je m’imagine que, malgré votre acharnement à tuer toutes les perdrix du roi, vous voyez quelquefois M. d’Argental. Je ne lui écris pas plus qu’à vous. Les souffrances de mon âge, ma solitude, m’ont un peu découragé. Quoique ma colonie prospère, elle a essuyé de violentes secousses. J’en essuie de même, et ne prospère guère.

 

          Madame Denis est bien plus heureuse que moi. Elle n’est point chargée des affaires de la Crète auprès de M. le maréchal de Richelieu ; elle est tranquille, elle vous est attachée comme moi ; mais elle ne vous écrit pas davantage. Nous sommes de grands paresseux l’un et l’autre. Je me mets à vos pieds, madame, avec bien du respect et la plus vive reconnaissance.

 

 

1 – Sophonisbe et les Lois de Minos. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

26 Septembre 1773.

 

 

          Et moi, mon cher ange, je me hâte de me justifier de l’obscurité que vous me reprochez par votre lettre du 20. L’obscurité est assurément dans la conduite du maître des jeux. Je lui ai toujours présenté mes humbles requêtes très nettement et très constamment. Je ne lui ai pas écrit une seule lettre où je ne l’aie fait souvenir de la parole d’honneur qu’il avait donnée au bon roi Teucer, au petit sauvage, et à son amoureuse. Je me suis même plaint douloureusement de la préférence qu’il donnait à la partie carrée d’Iphianasse avec Oreste, et d’Electre avec le petit Itys.

 

          J’ai toujours insisté sur la nécessité absolue de faire un peu valoir un ancien serviteur. Je lui ai représenté que c’était peut-être la seule manière de venir à bout d’une chose dont il m’avait flatté. Il m’a toujours répondu des choses vagues et ambiguës. Il y a deux affaires que je n’ai jamais comprises, c’est cette conduite du maître des jeux et l’édition de Valade.

 

          Il y en a une troisième que je comprends fort bien, c’est le changement d’avis du maître des choses. Je conçois que des hypocrites ont parlé à ce maître des choses, et qu’ils ont altéré ses bonnes dispositions. Les tartufes sont toujours très dangereux. A l’égard de Sophonisbe, comment puis-je distribuer les rôles, moi qui depuis trente ans ne connais d’autre acteur que Lekain ? c’est au maître des jeux à en décider.

 

          J’ai écrit ces jours-ci à madame de Saint-Julien, et je l’ai remerciée de toutes ses bontés, en comptant même qu’elle en aurait encore de nouvelles ; mais voici le voyage de Fontainebleau, et je n’ai plus le temps de rien espérer. Celle (1) qui a lu si bien ma petite lettre à mon successeur l’historiographe (2) aurait pu se mêler un peu des affaires de la Crète et de l’Afrique ; mais je n’ai pas osé seulement lui faire parvenir cette proposition, j’ai craint de faire une fausse démarche. On voit rarement les choses telles qu’elles sont, avec des lunettes de cent trente lieues.

 

          J’ai donc tout remis, en dernier lieu, entre les mains de la Providence.

 

          Vous daignez entrer, mon cher ange, dans toutes mes tribulations. Vous me parlez de ma malheureuse affaire des rescriptions : elle est très désagréable, et elle a beaucoup nui à ma colonie. C’est encore une affaire de la Providence qui demande une grande résignation.

 

          Quant à M. de Garville, qui est si lent dans ses voyages, je crois qu’il s’était chargé de deux Minos, l’un pour vous et l’autre pour M. de Thibouville.

 

          Il ne me reste plus qu’à répondre à vos semonces d’écrire à M. le duc d’Albe (3). Il me semble qu’il y a trop longtemps que j’ai laissé passer l’occasion de lui écrire. Je dois d’ailleurs ignorer la chose, et ne me point mêler de ce que des gens de lettres ont bien voulu faire pour moi, tandis que des gens d’église me persécutent un peu. Et puis il faut vous dire que je suis découragé, affligé, malade, vieux comme un chemin, que je crains les nouvelles connaissances, les nouveaux engagements, et les nouveaux fardeaux.

 

          Pardonnez-moi ; il y a des temps dans la vie où l’on ne peut rien faire, des temps morts ; et je me trouve dans cette situation. Vous me demanderez pourquoi j’écris des fariboles à mon successeur l’historiographe, et que je ne puis écrire des choses raisonnables à M. le duc d’Albe : c’est précisément parce que ce sont des fariboles ; on retombe si aisément dans son caractère ! mais je me sens bien plus à mon aise quand je vous écris, parce que c’est mon cœur qui vous parle. Je suis bien consolé par ce que vous me dites de madame d’Argental : si elle se porte bien, elle est heureuse ; il ne lui manquait que cela.

 

          Madame Denis et moi nous lui en marquons toute notre joie. Vous savez à quel point nous vous sommes attachés.

 

          Adieu, mon cher ange ; je vous aimerai jusqu’à ce que mon corps soit rendu aux quatre éléments, et l’âme à rien du tout, ou peu de chose.

 

          Pour répondre à tout, je vous dirai que le Taureau blanc est entre les mains de M. de Lisle, et qu’il faut le faire transcrire.

 

 

1 – La du Barry. (G.A.)

2 – Marmontel. (G.A.)

3 – Choiseul. Il avait envoyé à d’Alembert vingt louis pour la statue de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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