CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 23

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à M. le comte d’Argental.

 

26 octobre 1772 (1).

 

 

          Je demande pardon à mon cher ange de l’importuner d’un petit scrupule qui est venu à notre jeune avocat.

 

          M. de Thibouville lui a mandé : « J’ai porté sur la dernière copie, approuvée par Marin, tous les changements de la dernière copie présentée à M. de Sartines et approuvé par lui. »

 

          Le scrupule de notre avocat consiste à ne pouvoir comprendre que M. de Thibouville ait fait passer d’une copie à l’autre des actes entièrement bouleversés, comme s’il ne s’agissait que de trois ou quatre lignes d’écriture.

 

          Vous avez dû vous apercevoir, mon cher ange, que le premier acte est entièrement altéré, de façon qu’il faut le recopier tout entier. Ce qui était la dernière scène de cet acte est devenu la première ; et ce changement en a encore exigé d’autres. Ce bouleversement a paru nécessaire pour une raison que je trouve bien forte.

 

          La première scène était d’un appareil pompeux et d’un intérêt aussi pressant que tragique ; la dernière était tout entière en raisonnements : c’était servir le rôti avant le potage.

 

          On a donc, dans cette dernière leçon que je vous ai envoyée par Lekain, remis les choses dans l’ordre où elles doivent être. Vous avez paru approuver ce nouvel ordre, et moi j’y tiens fortement. Il me semble que le tout compose actuellement un édifice dont toutes les parties sont tellement liées, qu’il est impossible de les déranger sans défigurer toute l’architecture.

 

          Il se pourrait que M. de Thibouville n’eût pas examiné ce premier acte, qu’il eût cru que les changements n’étaient que dans les quatre autres, et en petite quantité, et qu’en conséquence il n’eût fait porter, sur sa première copie, que quelques vers de la vôtre.

 

          Je vous écris donc pour vous dire que je m’en tiens absolument à cette dernière copie à vous envoyée. Je vous prie très instamment que ce soit la seule à laquelle on ait égard ; sans quoi, je courrais grand risque de perdre mon procès. Je crains qu’on n’ait préféré l’ancien premier acte au nouveau ; cela serait désespérant. Je vous demande en grâce de me rassurer.

 

          Ne pensez-vous pas qu’il sera convenable d’attendre le retour de Fontainebleau pour représenter nos Lois de Minos ? On parle d’une pièce nouvelle, intitulée Adeline. Je laisserai passer cette Adeline très volontiers. J’étais très pressé l’année passée ; je le suis un peu moins à présent. Je sens cependant qu’il ne faut pas laisser trop refroidir l’enthousiasme où l’on est de la révolution de Suède. Si les lois de la Pologne ont quelque rapport au deuxième acte, l’aventure de la Suède fait le cinquième presque tout entier ; il n’y manque que de donner le nom de baron de Rudbeck à Mérione.

 

          Je finis, comme je finis toujours, en remettant tout entre vos mains, et en me recommandant à votre providence.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Morangiés.

 

A Ferney, 30 octobre 1772.

 

 

          Je suis toujours, monsieur, très persuadé de la justice de votre cause, et je ne le suis pas moins de la violence des préjugés contre vous, et de l’acharnement de la cabale. Un parti nombreux vous poursuit, et se déchaîne sur votre avocat (1) autant que sur vous. Je me souviens que, quand il défendit la cause de M. le duc d’Aiguillon, on m’envoya les satires les plus sanglantes contre l’avocat et contre l’accusé.

 

          Cependant il me parut très clair, par son mémoire, que M. le duc d’Aiguillon avait très bien servi l’Etat et le roi, tant dans le militaire que dans le civil. Il a triomphé à la fin, malgré ses nombreux ennemis, et malgré les plus horribles calomnies. J’espère que tôt ou tard on vous rendra la même justice.

 

          Il ne faut pas vous dissimuler un malheur que M. le duc d’Aiguillon n’avait pas, c’est celui de vous être trouvé chargé de dettes de famille très considérables, qui vous ont forcé d’en faire encore de nouvelles, et de recourir à des expédients aussi onéreux que désagréables.

 

          La saisie de vos meubles, ordonnée par le parlement en faveur de quelques créanciers pendant le cours de votre procès contre les du Jonquay, a pu vous faire très grand tort. On a mêlé malignement toutes ces affaires ensemble, on s’est élevé également contre vous et contre votre avocat.

 

          Plus le procès devient compliqué, plus il semble que les préjugés augmentent. Il peut y avoir des juges prévenus, ils peuvent se laisser entraîner à l’opinion dominante d’un certain public, puisqu’ils voient déjà par avance, dans cette opinion même, l’approbation d’une sentence qu’ils rendraient contre vous.

 

          Je ne balancerais pas, si j’étais à votre place, à faire un mémoire en mon propre et privé nom, signé de mon procureur. Je suis sûr que ce mémoire serait vrai dans tous ses points ; j’avouerais même la nécessité fatale où vous avez été de recourir quelquefois à des ressources déjà connues du public, ressources tristes, mais permises, et qui n’ont rien de commun avec la cruelle affaire de du Jonquay et de la Verron.

 

          Je crois que c’est le seul moyen que vous deviez prendre. Je vous servirai de grammairien ; je mettrai les points sur les i ; Il sera bien important que vous ne disiez rien qui ne soit dans la plus exacte vérité, et je m’en rapporte à vous. Il faudra même que vous disiez hardiment que vous faites dépendre le jugement de votre cause du moindre fait que vous auriez altéré par un mensonge.

 

          Je ne m’embarrasse pas que vous soyez condamné ou non en première instance : il serait triste sans doute de perdre, au bailliage, ce procès qui me paraît si juste ; mais ce malheur même pourrait tourner à votre avantage, en vous ramenant un public qu’on a vu changer plus d’une fois de sentiment sur les choses les plus importantes. J’oserais vous répondre que le parlement n’en aura que plus d’attention à écarter tout préjugé dans son arrêt en dernier ressort, et qu’il y mettra l’application la plus scrupuleuse, comme la justice la plus impartiale.

 

          En un mot, cette affaire est une bataille dans laquelle vous devez commander en personne. Vous me paraissez d’autant plus capable de livrer ce combat avec succès, que vous semblez tranquille dans les secousses que vous éprouvez. Vous savez qu’il faut qu’un général ait la tête froide et le cœur chaud. Je serai de loin le secrétaire du général, pourvu que j’aie son plan bien détaillé. Quand vous seriez battu par les formes, il faut vaincre par le fond ; il faut que votre réputation soit à couvert, c’est là le point essentiel pour vous et pour toute votre maison.

 

          En un mot, monsieur, je suis à vos ordres sans cérémonies.

 

          Gardez-moi le secret, ne craignez point au parlement un rapporteur prévenu.

 

          Vous ne pouviez mieux faire que d’offrir vous-même de vous constituer prisonnier ; et, si vous avez fait cette démarche, elle contribuera à faire revenir le public.

 

          Je viens de consulter sur votre affaire ; rien n’est plus nécessaire qu’une mémoire en votre propre nom, dans lequel vous fassiez bien sentir qu’on a malignement confondu le procès de la Verron avec quelques affaires désagréables, auxquelles vos dettes de famille vous ont exposé. C’est ce malheureux mélange qui vous a nui plus que vous ne pensez. Mettez-moi au fait de tout, vous serez promptement servi par un avocat qui ne fera rien imprimer sans votre approbation en marge à chaque page, et qui ne vous fera parler que convenablement.

 

 

1 – Linguet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

A Ferney, 30 Octobre 1772.

 

 

          Vous vous intéressez, mon cher ami, à M. de Morangiés : il me mande du 21 qu’il est résolu à s’aller mettre à lui-même en prison, puisqu’on y a mis le chirurgien Ménager. Vous m’écrivez du 25 qu’on le dit à la Conciergerie. Cette démarche est triste, mais elle est d’un homme sûr de son innocence. Au reste, il est bien étrange que le comte de Morangiés soit emprisonné, et que du Jonquay soit libre. Je vous supplie de lui faire parvenir sûrement cette lettre, quelque part où il soit. Je m’intéresse infiniment à cette affaire. Elle est capable de faire mourir de chagrin le père de M. de Morangiés, et père de Morangiés lui-même. Il faudrait qu’il ne me cachât rien. Cela est plus important qu’il ne pense. Je me trouve en état de le servir, et j’ai encore plus de zèle (1).

 

          Mon gros doyen n’est pas aisé à convaincre. Il commence pourtant à se convertir. Il a l’esprit et le cœur justes.

 

          Je vous prie de lire ce que j’écris à M. de Morangiés et de le cacheter.

 

          Nous parlerons une autre fois de Ninon et de Minos.

 

 

1 – Dans les éditions précédentes, plusieurs billets sont cousus à celui-ci. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la Présidente de Meynières.

 

A Ferney, 30 Octobre 1772 (1).

 

 

          Oui, madame, j’ai osé écrire à Horace, et je n’ose vous envoyer mon épître : la raison en est qu’elle n’est point finie. Ce n’est qu’une esquisse sur laquelle j’ai consulté M. d’Argental ; car il faut toujours consulter, dans les choses même où l’on croit avoir raison. Je devrais vous consulter plus que personne ; mais vous m’intimideriez par ces trois lignes que je trouve dans votre lettre. Les voici :

 

          « Je crois que l’on blasphème, lorsqu’on assure que vous avez heurté par distraction des vérités, des maximes que vous avez enseignées. »

 

          Vous m’avouerez, madame, que pour m’inspirer une pleine confiance, vous devriez bien commencer par me confier ces accusations terribles dont je ne me sens point du tout coupable. Il faut dans les traités que la bonne foi soit réciproque : dites-moi hardiment ce que vous avez sur le cœur, et je vous répondrai de même. Si je suis assez téméraire pour n’être pas de votre avis, ce sera en vous estimant et en vous respectant de toute mon âme. Il y a longtemps que ces sentiments sont gravés dans mon cœur, et rien ne les effacera. J’en dis autant à M. le président de Meynières. LE VIEUX MALADE DE FERNEY.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Ximenès.

 

A Ferney, le 31 Octobre 1772.

 

 

          Pardonnez, encore une fois, à un vieillard qui lutte contre les douleurs, de vous remercier si tard. Je n’en suis pas moins, monsieur le marquis, reconnaissant de vos faveurs (1). Il est très vrai que vous faites mieux des vers que l’homme dont vous me parlez ; mais je ne crois pas que vous augmentiez votre fortune comme il arrondit la sienne. Votre lyre est plus harmonieuse ; il a pour lui la flûte, le tambour et le coffre-fort.

 

          Je crois que l’abbé Mignot, mon neveu, mérite l’éloge dont vous l’honorez. Je suis bien loin de me croire digne des fleurs que vous jetez sur le drap mortuaire dont je vais bientôt être embéguiné. J’écrivis, il y a quelque temps, à Horace, qui est de votre connaissance ; mais je n’ai pas osé rendre ma lettre publique, attendu que je lui ai parlé un peu librement ; mais je prendrai encore plus de liberté quand je le verrai.

 

          Je prends avec vous celle de recommander à votre indulgence les Lois de Minos. Vous verrez un beau tapage le jour de l’audience. Vous êtes dans un pays où tout est cabale, et loin duquel je fais très bien de mourir en vous étant très tendrement attaché.

 

 

1 – Ximenès venait de lui envoyer ses Œuvres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

4 Novembre 1772.

 

 

          Je vous envoie, mon cher ami, cette Epître à Horace, tout informe qu’elle est : elle sera pour vous et pour nos amis. Je suis forcé de la laisser courir, parce que je sais qu’on en a dans Paris des copies très incorrectes. Je tire du moins de ce petit malheur un très grand avantage, en vous soumettant cette esquisse. Les ennemis d’Horace et les jansénistes crieront ; peu de gens seront contents. La seule chose qui me console, c’est que la fin de l’Epître est si insolente qu’on ne l’imprimera pas.

 

          J’ai lu Roméo ; je sais qu’il a réussi au théâtre, et que Cléopâtre (1) est tombée ; mais je vous avertis qu’il y a trente morceaux dans votre Cléopâtre qui valent mieux que trente pièces qui ont eu du succès. Il me semble que le public ne sait plus où il en est. J’avouerai que je ne sais plus où j’en suis. Il est trop ridicule de faire de ces pauvretés-là à mon âge ; j’en rougis : c’est barbouiller le buste que vous et la grande-prêtresse avez si merveilleusement décoré.

 

          La copie que je vous envoie est aussi pour M. d’Alembert. N’a-t-il pas un copiste ?

 

 

1 – Tragédie de Marmontel, jouée en 1750. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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