CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 18

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à M. Lekain.

 

A Ferney, 10 Auguste 1772.

 

 

          Mon cher ami, vous sentez bien que ce serait pour moi un extrême plaisir de profiter des offres très flatteuses de M. Belmont (1), de paraître sur le théâtre établi par mon héros, et d’être embelli par un homme aussi supérieur que vous l’êtes.

 

          La pièce est très différente de celle que vous avez lue, et moins indigne de vos soins ; mais comment vous l’envoyer ? J’ignore si M. le maréchal est à Bordeaux : la saison s’avance ; mais, de plus, nous avons un obstacle insurmontable ; la pièce n’est point encore approuvée par le ministère. M. le chancelier et MM. les secrétaires d’Etat me sauraient très mauvais gré d’avoir fait représenter les Lois de Minos en province avant d’y être autorisé par eux. Cette démarche même pourrait compromettre un peu M. le maréchal de Richelieu. Je suis donc forcé, mon cher ami, à mon très grand regret, de vous supplier de me priver d’une satisfaction qui me comblerait d’honneur et de joie.

 

          Madame Denis et moi, nous vous attendons à Ferney. Je vous prie de dire à M. de Belmont combien je l’estime et l’honore. Signé, le meilleur de vos amis.

 

 

1 – Directeur du théâtre de Bordeaux. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Épinay.

 

14 Auguste 1772.

 

 

          Le vieux malade de Ferney a entrevu M. le comte de Valory, qui lui a paru très digne d’être votre ami : je voudrais bien l’avoir vu un peu plus à mon aise, mais j’étais extrêmement malade : c’est à quoi je passe ma vie, qui s’en va finir. Le grand docteur Tronchin sait bien qu’il ne peut pas la prolonger, car il n’est pas venu me voir ; on dit qu’il est piqué que je n’aie pas parlé de lui à madame sa fille, que je vis un moment il y a un an. Il a raison de vouloir qu’on parle de lui ; mais je l’oubliai tout net, et je vois qu’il punit les péchés d’omission.

 

          Puissiez-vous, madame, en commettre beaucoup de commission ! On a bien peu de temps dans ce monde pour goûter de ces consolations-là.

 

          Voici un bouquet pour la Saint-Barthélemy. Une bonne âme me fait ce présent quelques jours à l’avance, et j’ai l’honneur de vous l’envoyer (1).

 

 

1 – Voyez au ODES. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

14 Auguste 1772.

 

 

          Nous touchons, mon cher ange, au grand anniversaire de la Saint-Barthélemy. C’est une belle époque.

 

          Voici un bouquet qu’on m’a envoyé pour cette fête. Il me semble qu’on ne peut tirer un parti plus honnête de cette belle époque : l’abbé de Caveyrac (1) en saura quelque gré à l’auteur.

 

          Il me semble que Lekain avait quelque envie d’essayer une promulgation des Lois de Minos à Bordeaux : il m’en a fait écrire par le directeur de la troupe. J’ai été effrayé de la proposition, et j’ai fait de fortes remontrances contre les Lois. Je me flatte toujours (car on aime à se flatter) que notre avocat, à force de limer son plaidoyer, le rendra un peu supportable pour Fontainebleau. Il commence à être moins mécontent de lui, et il ne croit pas qu’il y ait une seule ligne qui puisse alarmer la police : il la croit bien plus ébouriffée de l’aventure du procureur et du commis pousse-cul (2), qui ont été mis en prison au sujet des du Jonquay. C’est une étrange affaire que ce procès-là. Je vous prie de lire cette seconde édition de l’Essai sur les Probabilités ; elle est beaucoup plus ample que la première, et je me crois pour le moins égal à maître Petit-Jean. Mille tendres respects à mes anges.

 

          J’ai le bonheur d’avoir chez moi M. le chevalier de Buffevent, et, par malheur, c’est pour peu de temps. Je suis bien indigne de sa conversation, car je suis très malade.

 

 

1 – Apologiste de la Saint-Barthélemy. (G.A.)

2 – Lachauve et Desbrugnières. Voyez l’Affaire Morangiés. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

21 Auguste 1772 (1).

 

 

          Mon secrétaire et moi, nous vous demandons pardon du qui pro quo. Ces petites méprises arrivent quelquefois, et même dans les bureaux des ministres.

 

          Je vous demande en grâce d’envoyer cet Essai sur les Probabilités à M. de Morangiés.

 

          Nous voici à la veille de la Saint-Barthélemy ; j’espère vous envoyer incessamment un petit bouquet pour cette fête. – Salamaleken.

 

          Je ne sais ce que c’est que Lise. Vous savez qu’on met plus d’une sottise sur mon compte selon l’usage. Si Lise vaut la peine qu’on l’envoie, je vous supplie de vouloir bien me la faire voir.

 

 

1 – Editeurs, de E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

22 Auguste 1772 (1).

 

 

          Voici un petit bouquet qu’on m’a donné pour la fête de la Saint-Barthélemy (2), qui arrive incessamment. Il y a de petits ornements rouges, qui paraissent sanguinolents ; cela paraît assez convenable. Il arrivera peut-être trop tard. Il faut prendre les Français sur le temps. Que ceux qui se plaignent du présent, songent au passé ; ils se consoleront (3).

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – L’ode sur cet anniversaire. (G.A.)

3 – Une version porte encore : « Le vieux malade, très malade, recommande les incluses à vos bontés. » (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 25 Auguste 1772.

 

 

          Ce n’était pas, madame, quand je n’avais plus l’honneur de vous tenir à Ferney que mes jours devaient être filés d’or et de soie. J’ai reçu ces petits échantillons de soie blanche, façonnée en blondes, que vous avez eu la bonté de nous envoyer. Nos ouvrières de Ferney vont travailler sur ces modèles. J’aurai bientôt l’honneur de vous envoyer un essai d’une autre manufacture, car je suis aussi sûr de votre secret que de vos bontés.

 

          Vraiment je remercierai M. le duc de Duras ; mais je dois commencer par vous. Oserai-je, en vous présentant mes remerciements, vous faire encore une prière ? ce serait, madame, de vouloir bien, quand vous verrez M. d’Ogny, lui parler de la reconnaissance extrême que j’ai de toutes les facilités qu’il a accordées à ma colonie jusqu’à présent. Ma sensibilité, et surtout un petit mot de votre bouche, l’engageront peut-être à me continuer des faveurs qui me sont bien nécessaires. Si elles cessaient, mes fabriques tomberaient, mes maisons que j’ai augmentées deviendraient inutiles, les fabricants ne pourraient me rien rembourser des avances énormes que je leur ai faites sans aucun intérêt ; je me verrais ruiné. Voilà deux hommes à Ferney dont vous daigner soutenir la cause dans des genres différents, Racle et moi.

 

          Le vieux malade est trop vieux pour venir vous faire sa cour à Paris. Il faut savoir aimer la retraite ; mais, madame, il vous sera attaché jusqu’au dernier moment de sa vie avec le plus tendre respect.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

28 Auguste 1772.

 

 

          Mon cher ange m’écrit du 22 ; mais n’a-t-il point reçu le paquet des Lois de Minos que je lui avais dépêché par M. Bacon, substitut de M. le procureur général ? Il me parle de la fête de la Saint-Barthélemy, mais pas un mot de Minos. J’ai peur que messieurs de la poste ne se soient lassés de favoriser mon petit commerce de tragédies et de montres, que je faisais assez noblement. J’ai essuyé les plus grandes difficultés et les plus cruels contre-temps, dont ni tragédie, ni comédie, ni petits vers, ni brochures ne peuvent guère me consoler ; mais si Minos ne vous a point été rendu, que deviendrai-je ?

 

          J’ai toujours été persuadé que le procureur qui a joué le rôle de magistrat avec du Jonquay est punissable, et que Desbrugnières, le pousse-cul, mérite le pilori ; que M. de Morangiés a cru attraper les du Jonquay en se faisant prêter par eux cent milles écus qu’il ne pouvait rendre ; qu’il a été attrapé lui-même ; que, dans l’ivresse de l’espérance de toucher cent mille écus dans trois jours, il a signé des billets avant d’avoir l’argent  mais je tiens qu’il est impossible que les du Jonquay aient eu cent mille écus.

 

          Dieu veuille que je ne perde pas cent mille écus à mes manufactures !

 

          Minos me consolera un peu, s’il réussit  mais vraiment, pour le Dépositaire, je ne suis pas en état d’y songer : Minos a toute mon âme.

 

          On a joué, ces jours passés, Olympie sur le théâtre de Genève, qui est à quelques pas de la ville ; elle a été applaudie bien plus qu’à Paris. Une belle actrice toute neuve (1), toute simple, toute naïve, sans aucun art, a fait fondre en larmes. Ce rôle d’Olympie n’est pas fait, dit-on, pour mademoiselle Vestris ; c’est à vous d’en juger. Patrat a joué supérieurement le grand-prêtre. Je le trouve bien meilleur que Sarrazin dans plusieurs rôles ; il me parait nécessaire au tripot de Paris. Il s’offre à jouer tous les rôles. Il a beaucoup d’intelligence, un air très intéressant ; il y a là de quoi faire un acteur admirable. Il me serait très nécessaire dans les Lois de Minos. Les comédiens le refusent-ils parce qu’il est bon ? Ils ont déjà privé le public de plusieurs sujets qui auraient soutenu leur pauvre spectacle. Les intérêts particuliers nuisent au bien général dans tous les tripots.

 

          Je lirai le livre (2) dont vous me faites l’éloge ; mais j’aime mieux Molière que des réflexions sur Molière. A l’ombre de vos ailes, mes divins anges.

 

 

1 – Camille. (G.A.)

2 – De l’Art de la comédie, par Caihava. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chabanon.

 

A Ferney, 30 Auguste 1772.

 

 

          Où avais-je l’esprit, mon cher ami, lorsqu’en vous écrivant je fus assez distrait pour ne pas répondre à l’offre intéressante que vous me faisiez de m’envoyer quelques odes d’Horace traduites par M. votre frère (1) ? Je me flatte que j’aimerai Horace en français autant que Pindare. Je suis d’autant plus curieux de cette traduction, que je m’amuse actuellement à écrire à Horatius Flaccus (2), comme j’écrivis il y a un an à Nicolas Boileau. Mais j’aime bien mieux encore écrire à mon très aimable M. de Chabanon, que j’aimerai tant que je respirerai.

 

          Mes compliments à M. votre frère, notre confrère.

 

 

1 – Chabanon de Maugris, né en 1736, mort en 1780. (G.A.)

2 – Voyez aux EPÎTRES. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 30 Auguste 1772 (1).

 

 

          Je vous avais bien dit, madame, que pour vous plaire je vous écrirais dès que j’aurais des grâces à vous demander. Il ne s’agit ici ni de contrôleur général, ni d’intendant des finances ; ce sont des choses bien plus sérieuses, c’est un opéra-comique (2). Un jeune homme m’est venu apporter cette esquisse ; je l’ai trouvée très favorable à la musique, et à des sortes de musique de toute espèce. Madame Denis dit qu’il faut suivre de point en point toutes les directions de l’auteur. Il avait promis cet ouvrage à un autre musicien que M. de Montcivrey ; mais nous avons jugé qu’il fallait lui donner la préférence sur tous les autres, non seulement parce qu’il est votre protégé, mais parce qu’il mérite de l’être. Si Montcivrey est occupé ailleurs, ayez la bonté de nous renvoyer le manuscrit contre-signé soit par le grand aumônier, soit par qui il vous plaira.

 

          Pardonnez à un jeune homme qui n’a pas un moment à lui, s’il ne vous dit pas plus au long, madame, combien il vous adore et vous respecte. Madame Denis et moi, nous vous demandons le plus profond secret.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Voyez les Deux Tonneaux. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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