OPUSCULE - Sermon du Papa Nicolas Charisteski

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OPUSCULE - Sermon du Papa Nicolas Charisteski

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SERMON DU PAPA

NICOLAS CHARISTESKI,

 

Prononcé dans l’église de Sainte-Toléranski,

Village de Lithuanie, le jour de Sainte-Epiphanie.

 

 

- 1771 -

 

 

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[Cet opuscule parut en mai 1771. C’est une réponse au Manifeste de la Répubique confédérée de Pologne, du 15 novembre 1769. Voyez l’Essai sur les dissensions de Pologne, et, la Correspondance de Voltaire avec Catherine.] (G.A.)

 

 

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          MES FRÈRES,

 

 

          Nous faisons aujourd’hui la fête de trois grands rois, Melchior, Balthazar, et Gaspard, lesquels vinrent tous trois à pied des extrémités de l’Orient, conduits par une étoile épiphane, et chargés d’or, d’encens, et de myrrhe, pour les présenter à l’enfant Jésus. Où trouverons-nous aujourd’hui trois rois qui voyagent ensemble de bonne amitié avec une étoile, et qui donnent leur or à un petit garçon ?

 

          S’il y a de l’or dans le monde, ils se le disputent tous ; ils ensanglantent la terre pour avoir de l’or, et ensuite ils se font donner de l’encens par mes confrères, qui ne manquent pas de leur dire à la fin de leurs sermons qu’ils sont sur la terre les images du Dieu vivant.

 

          Nous croyons, du moins dans ma paroisse, que le Dieu vivant est doux, pacifique, qu’il est également le père de tous les hommes, que dans le fond du cœur il ne leur veut aucun mal, qu’il ne les a point formés pour être malheureux dans ce monde-ci, et damnés dans l’autre ; ainsi nous ne gardons comme images de Dieu que les rois qui font du bien aux hommes.

 

          Que Moustapha me pardonne donc si je ne puis le reconnaître pour image de Dieu. J’entends dire que cet homme, avec qui nous n’avons rien à démêler, s’est avisé d’abord de violer le droit des gens, de mettre dans les fers un ministre public (1) qu’il devait respecter, et qu’il a envoyé vers nos terres une troupe de brigands dévastateurs n’osant pas y venir de lui-même.

 

          Je n’imaginerai jamais, mes frères, que Dieu et un Turc sanguinaire et poltron se ressemble comme deux gouttes d’eau.

 

          Mais ce qui m’étonne davantage, ce qui me fait dresser à la tête le peu de cheveux qui me restent, ce qui me fait crier Heli, Heli, Lamma Samathani, ou Laba Sanathani, ce qui me fait suer sang et eau, c’est que je viens de lire dans un manifeste de confédérés ou conjurés de Pologne, comme il vous plaira, ces propres paroles (page 5) :

 

« La sublime Porte, notre bonne voisine et fidèle alliée, excitée par les traités qui la lient à la république et par l’intérêt même qui l’attache à la conservation de nos droits, a pris les armes en notre faveur. Tout nous invite donc à réunir nos forces pour nous opposer à la chute de notre sainte religion. « 

 

          Ah ! mes frères, en quoi cette Porte est-elle sublime ? C’est la Porte du palais bâti par Constantin, et ces barbares l’ont arrosée du sang du dernier des Constantins. Peut-on donner le nom de sublimes à des loups qui sont venus égorger toute la bergerie ? Quoi ! ce sont des chrétiens qui parlent, et ils osent dire qu’ils ont appelé les fidèles mahométans contre leur propre patrie, contre les chrétiens !

 

          Braves Polonais, ce n’était pas ainsi qu’on entendit parler et qu’on vit agir votre grand Sobieski, lorsque, dans les plaines de Choczim, il lava dans le sang de ces brigands la honte de votre nation qui payait un tribut à la sublime Porte, lorsque ensuite il sauva Vienne du carnage et des fers, lorsqu’il remit l’empereur chrétien sur son trône ; certes, vous n’appeliez pas alors ces ennemis du genre humain vos bons voisins et vos fidèles alliés.

 

          Quel est le but, mes chers frères, de cette alliance monstrueuse avec la Porte des Turcs ? C’est d’exterminer les chrétiens, leurs frères, qui diffèrent d’eux sur quelques dogmes, sur quelques usages, et qui ne sont pas comme eux les esclaves d’un évêque italien.

 

          Ils appellent la religion de cet Italien catholique et apostolique, oubliant que nous avons eu le nom de catholiques longtemps avant eux ; que le mot de catholique est un terme de notre langue, ainsi que tous les termes consacrés au christianisme, que nous leur avons enseigné ; que tous leurs Evangiles sont grecs, que tous les pères de l’Eglise des quatre premiers siècles ont été grecs ; que les apôtres qui ont écrit n’ont écrit qu’en grec ; et qu’enfin la religion romaine, si décriée dans la moitié de l’Europe, n’est (si notre esprit de douceur nous permet de le dire) qu’une bâtarde révoltée depuis longtemps contre sa mère.

 

          Ils nous appellent des dissidents : à la bonne heure ; nous dissiderons, nous différerons d’eux, tant qu’il s’agira de sucer le sang des peuples, d’oser se croire supérieur aux rois, de vouloir soumettre les couronnes à une triple mitre, d’excommunier les souverains, de mettre les Etats en interdit, et de prétendre disposer de tous les royaumes de la terre.

 

          Ces épouvantables extravagances n’ont jamais été reprochées, grâces au ciel, à la vraie Eglise, à l’Eglise grecque. Nous avons eu nos sottises, nos impertinences comme les autres, mes chers frères, mais jamais de telles horreurs.

 

          Dieu nous a donné un roi légitimement élu (1), un roi sage, un roi juste, à qui on ne peut reprocher la moindre prévarication depuis qu’il est sur le trône. Les confédérés ou les conjurés le persécutent ; ils lui veulent ravir la couronne, et peut-être la vie, parce qu’ils le soupçonnent de quelque condescendance pour notre paroisse de Sainte-Toléranski.

 

          L’auguste impératrice de Russie, Catherine II, l’héroïne de nos jours, la protectrice de la sainte Eglise catholique grecque, fermement convaincue que le Saint-Esprit procède du Père et non pas du Fils, et que le Fils n’a pas la paternité, a jeté sur nous des regards de compassion. C’en est assez pour que les Sarmates de l’Eglise latine se déclarent contre Catherine II.

 

          Ils publient, dans leur manifeste du 4 juillet 1769 (page 241), « qu’ils opposent aux Russes le courage et la vertu ; que les Russes ne se sont jamais rendus dignes de la gloire militaire ; que leur armée n’ose se montrer devant l’armée de la sublime Porte. »

 

          On sait comment Catherine II a répondu à ces compliments, en battant les Turcs partout où ses armées les ont trouvés, en les chassant de la Moldavie et de la Valachie entières, en leur prenant presque toute la Bessarabie, Azof et Taganrok ; en faisant poser les armes à leurs Tartares, leur prenant leurs villes sur les deux bords du Pont-Euxin en Europe et en Asie  enfin, en faisant partir des escadres du fond de la mer septentrionale pour aller détruire toute la flotte de la sublime Porte à la vue des Dardanelles. Les Russes ont donc osé se montrer. Le Dieu Sabaoth a combattu pour eux, et il a été puissamment secondé par les Gédéons appelés Orlof, Romanzoff, Gallitzin, Bauher, Showaloff, et tant d’autres, qui ont rendu saint Nicolas si respectable aux mahométans.

 

          Songez, mes chers auditeurs, que la main puissante de Catherine, qui écrase l’orgueil ottoman, est cette même main qui soutient notre Eglise catholique : c’est celle qui a signé que la première de ses lois est la tolérance ; et Dieu, dont elle est en ce point la parfaite image, a répandu sur elle ses bénédictions.

 

          Elle est ointe, mes frères. Pourquoi donc les nations ont-elles médité des pauvretés contre l’ointe, comme dit le Psalmiste ? C’est qu’il n’est plus en Europe de Godefroy de Bouillon, de Scanderbeg, de Mathias Corvin, de Morosini. Ce n’est que la Russie qui produit de tels hommes.

 

          Aujourd’hui les chrétiens latins appellent le grand-turc leur saint père. Grand saint Nicolas, descendez du ciel, où vous faites une si belle figure, et apportez dans ma paroisse l’étendard de Mahomet Conjurés de Pologne, allez baiser la main de Catherine. Nations, ne frémissez plus, mais admirez.

 

          Dieu m’est témoin que je ne hais pas les Turcs ; mais je hais l’orgueil, l’ignorance, et la cruauté. Notre impératrice a chassé ces trois monstres. Prions Dieu et saint Nicolas de seconder toujours notre auguste impératrice.

 

 

1 – D’Obreskoff, ministre de Russie. (G.A.)

 

 

 

 

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