CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 34

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 34

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à M. le comte d’Argental.

 

19 Décembre 1770.

 

 

          Que l’on fasse ou non la guerre aux Anglais, que le parlement fasse ou non des sottises, moi je fais sottises et guerre.

 

          Mes anges recevront par M. le duc de Praslin un paquet. Ce paquet est la tragédie des Pélopides, c’est-à-dire Atrée et Tyeste. Il est vrai qu’elle a été faite sous mes yeux, en onze jours, par un jeune homme. La jeunesse va vite, mais il faut l’encourager.

 

Ma sottise, - vous la voyez.

 

          Ma guerre est contre les Allogroges qui ont soutenu qu’un Visigoth, nommé Crébillon, avait fait des tragédies en vers français ; ce qui n’est pas vrai.

 

          Mes divins anges, il y va ici de la gloire de la nation.

 

          De plus, ce nasillonneur de Brosses, président, veut être de l’Académie ; c’est Foncemagne qui veut le faire entrer. Il est bon que Foncemagne sache que j’ai une consultation de neuf avocats de Paris, qui m’autorise à lui faire un procès pour dol (1).

 

          J’enverrai cette consultation si on veut. Le président, pour détourner le procès, m’a écrit pour me faire entendre que, si je lui faisais un procès, il me dénoncerait comme auteur de quelques livres contre la religion, moi qui assurément n’en ai jamais fait.

 

          J’enverrai la lettre, si on veut.

 

          Tous les gens de lettres doivent avoir de Brosses en recommandation.

 

          Mes anges diront à M. de Foncemagne ce qu’ils voudront ; je m’en remets à leur bonté, discrétion, prud’hommie, et à leur horreur contre de tels procédés.

 

 

1 – Il s’agit d’une déclaration par laquelle M. de Voltaire renonçait au titre d’académicien, si on lui donnait le président de Brosses pour confrère. (K.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, 19 Décembre 1770.

 

 

          Il n’est point dit dans l’édit (1) que le parlement rendra compte au chancelier.

 

          Le parlement n’a point envoyé de démission.

 

          Il n’est pas du tout sûr que nous ayons la guerre.

 

          Il est encore moins sûr que nous soyons payés.

 

          Je regrette bien cette pauvre madame Gaussen (2) ; je la suivrai bientôt, et vivat !

 

 

1 – Du  27 Novembre. (G.A.)

2 – Dame génevoise. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, 20 Décembre 1770.

 

 

          Quoique vous ne me disiez rien, monsieur, vous savez pourtant que le parlement a cessé ses fonctions, sans donner sa démission ; qu’il a protesté contre l’édit ; qu’il a envoyé deux fois le premier président au roi ; que le roi n’a point voulu le voir. De tout cela vous ne nous en dites mot.

 

          Mais nous vous demandons, madame Denis et moi, vos bons offices pour une chose qui nous intéresse très vivement, et qui ne demande pas même de délais.

 

          C’est de savoir s’il est vrai que la république ait affranchi madame Denis de la qualité éminente de serve de Genève. Nous avons à Gex un procès contre un seigneur, citoyen de Genève, nommé, non pas Choudens, mais de Choudens, ouvrier en montres, qui vous vendit, il y a dix ans, un petit domaine sur le chemin de Ferney à Tournay. Il le déclara libre, et quand nous eûmes signé, il se trouva qu’il était mortaillable en grande partie. Madame Denis fut donc serve de la sérénissime.

 

          Aujourd’hui M. de Choudens, seigneur ouvrier de Genève, prétend, pour se disculper, et affirme dans ses mémoires, que la sérénissime a daigné nous affranchir de la servitude. Nous n’avons jamais entendu parler de cet affranchissement. Nous savons seulement que M. de Choudens s’étant accommodé avec la république pour 500 francs, nous payâmes pour lui à M. le grand trésorier 500 livres à la décharge dudit Choudens.

 

          Ce que nous vous demandons, monsieur, c’est de savoir du grand trésorier actuellement régnant s’il est vrai que la sérénissime ait affranchi depuis la dame Denis, et en ait fait une alliée de la république, au lieu d’une servante.

 

          Nous croyons qu’il n’en est pas un mot, et nous vous supplions très vivement de vouloir bien requérir une attestation de M. le grand trésorier, par laquelle il soit constaté que nous avons payé entre ses mains, en tel jour, en telle année, la somme de 500 livres, pour la servitude dudit Choudens, et qu’il n’a jamais été question d’un affranchissement.

 

          Cela est très sérieux, quoique très ridicule. Nous vous prions de vouloir bien envoyer ce soir, chez Souchay, au Lion-d’Or, votre paquet, que nous enverrons chercher demain. Nous vous aurons la plus grande obligation, et Vivat !

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, 20 Décembre 1770.

 

 

          Nous conjurons notre cher résident de vouloir bien parler au secrétaire d’Etat : c’est lui qui doit être au fait. Il sait, comme tout le conseil, qu’il n’y a pas un mot de vrai dans l’allégation du nommé Choudens ;

 

          Que jamais le conseil n’a songé à se départir de ses droits sur la maison et sur le terrain attenant vendus par Choudens à la dame Denis. Il prétend que, le 23… 1760, le conseil supprima la taillabilité à laquelle Choudens était sujet, moyennant la somme de 507 livres que paya pour lui madame Denis.

 

          Il est bien vrai que madame Denis paya 507 livres pour Choudens au trésorier ; mais il est faux que le conseil ait levé la taillabilité attachée à cette portion de terre. Nous croyons même que le conseil n’en a pas le droit, et que c’est un bien de la république, sur lequel il n’y a que le conseil des soixante qui puisse transiger.

 

          Pourvu qu’un secrétaire d’Etat ou un syndic nous donne une attestation que la république ne s’est jamais départie de ce droit qu’elle réclame, nous sommes contents ; et c’est à nous seulement à nous pourvoir en temps et lieu contre cette prétention. Nous ne voulons être taillables de personne, pas même de l’évêque d’Annecy.

 

          Vous pourriez encore, monsieur, nous donner de votre main une attestation que les syndics de Genève vous ont assuré n’avoir jamais cédé, ni à Choudens ni à personne, le droit de mainmorte que la république prétend sur la maison et terrains vendus par le sieur Choudens à madame Denis en 1759 ; en foi de quoi vous avez signé, pour servir ce que de raison.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 21 Décembre 1770.

 

 

          Eh, mon Dieu ! je ne sais plus si j’ai demandé à mon héros sa protection auprès de l’empereur de la Chine. En tout cas, voici mon placet que je lui présente (1).

 

          Les meurtriers du chevalier de La Barre et du lieutenant-général Lally sont donc un peu humiliés ; mais le sang en est-il moins répandu, et est-ce là une satisfaction ?

 

          Je souhaite à mon héros une bonne année de 1771. Ma bonne année sera celle de sa première gentilhommerie de la chambre en exercice, supposé que je sois alors en vie, ce que je ne crois pas.

 

          On dit que l’Américain (2) de mademoiselle Clairon n’a pas extrêmement réussi ; mais on espère qu’il réussira. Je me mets aux pieds de mon héros.

 

 

1 – Epître au roi de la Chine. (G.A.)

2 – Larive. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

22 Décembre 1770.

 

 

          Monsieur, je me félicite bien de m’être rencontré avec vous : je vous avoue que j’avais écrit quatre lettres consécutives, et que j’avais toujours représenté que nous n’avions pas de quoi nourrir des troupes.

 

          Votre approvisionnement fera grand bien ; les blés que le roi de Sardaigne accorde reviennent encore aux Génevois à un prix plus cher qu’on ne les achète au marché de Gex, à cause de l’extrême rareté des voitures.

 

          Nous serons probablement obligés de nous fournir à Lyon ou à Marseille pour le printemps. Dieu veuille que les pluies et les débordements ne désolent point les provinces voisines ! Tout est à craindre.

 

          Les querelles du parlement de Paris ne feront jamais croître un épi de blé ; si nous n’avons point de guerre, nous en aurons l’obligation à M. le duc de Choiseul, qui fait tout le bien qu’il peut, et que je regarde comme le premier homme de l’Europe.

 

          Il n’est que trop vrai, monsieur, que les circonstances présentes ne sont pas plus favorables aux biens de la terre. C’est bien dommage, l’entreprise était belle ; mais la cire verte enlacée de soie rouge et verte ne s’échauffe pas aisément pendant les pluies continuelles.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Foy.

 

A Ferney, 21 Décembre 1770.

 

 

          Je réponds fort tard monsieur, à la lettre dont vous m’avez honoré, du 1er décembre : je ne l’ai reçue que le 15. J’ai soixante-dix-sept ans ; je suis très malade : ce sont là des raisons pour n’être pas fort exact.

 

          D’ailleurs, madame votre femme ayant des lettres de M. François de Sales, ferait peut-être des signes de croix en voyant une lettre de François de Voltaire. Cela pourrait mettre du trouble dans votre ménage, et j’en serais très affligé.

 

          Je vois avec douleur que toutes les personnes dont vous me parlez sont mortes ; car, sans compter madame de Chantal et son saint (1), nous avons perdu madame de Pompadour, madame la duchesse de Gotha et madame de Buchwald (2).

 

          Si M. de Pezay, qui répand tant de fleurs dans ses vers, veut une place à l’Académie, je lui offre la mienne, qui sera bientôt vacante, et qui ne vaut pas celle qu’il a dans l’état-major. Au reste, monsieur, je suis très sensible à l’honneur que vous me faites ; mais ce sont des gouttes d’Angleterre que vous envoyez à un apoplectique. Jouissez gaiement de la vie ; c’est tout ce que vous peut dire un homme qui est près de la perdre et qui ne la regrette pas beaucoup.

 

 

1 – François de Sales. (G.A.)

2 – Grande maîtresse à la cour de Saxe-Gotha. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Duclos.

 

A Ferney, 24 Décembre 1770.

 

 

          Mon vertueux et illustre confrère, vous aimez la liberté  vous avez trois places à donner (1), et je vous en fournirai bientôt une quatrième. Je vous conjure de ne jamais laisser entrer un homme (2) qui menace les gens de lettres d’être leur délateur. Les Gaillard, les Delille, les La Harpe, sont sur les rangs, et ils ont des droits véritables ; mais s’il est vrai qu’il y ait des difficultés pour l’un d’eux, je vous recommande très instamment M. Marin, qui joint à ses talents le mérite de rendre continuellement service à tous les gens de lettres. Il vaut beaucoup mieux avoir dans notre Académie un ami qu’un président ou un évêque.

 

          Conservez-moi votre amitié, dont je sens certainement tout le prix.

 

 

1 – Celles de Moncrif, de Hénault, et d’Alary. (G.A.)

2 – De Brosses. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

Le saint Noël.

 

 

          Mon charmant résident, j’ignore si madame Denis voudra présenter requête pour savoir si le MAGNIFIQUE CONSEIL s’est désisté ou non d’un prétendu droit de mainmorte.

 

        Présente ta requête

Comme tu veux dormir.

 

Les Plaid., act. I, sc. II.

 

          C’est une chose à savoir dans la conversation, et quand on la sait, on agit en conséquence à Gex  on argue un shoudan de mensonge, on instrumente.

 

          J’attendrai le retour de Joseph Turretin, qui donne du blé à sa chère patrie.

 

          Point de guerre qu’avec le parlement ; c’est toujours le ministre de la guerre qui nous donne la paix.

 

          Quoi, le grand Covelle (1) est dans la geôle ! O tempora ! ô mores ! Mille respects.

 

          Agathe accouche d’un gros garçon. Nous ne savons plus où mettre notre marmaille. Dieu nous bénit.

 

 

1 – L’horloger Robert Covelle. Voyez la Guerre civile de Genève. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse d’Argental.

 

26 Décembre 1770.

 

 

          En attendant, madame, que les metteurs en œuvre me donnent les instructions précises sur vos chaînes de montres  en attendant que je puisse vous dire pourquoi on ne monte jamais en or les chaînes qui sont entièrement de marcassites, je vous dirai un petit mot du jeune metteur en œuvre dont vous avez reçu probablement cinq pierres (1) fausses par M. le duc de Praslin.

 

          Je lui ai fait enfin comprendre que son cinquième acte ne valait rien du tout. Je lui ai dit : Vous croyez, parce que vous êtes jeune, qu’on peut faire une bonne tragédie en onze jours ; vous verrez, quand vous serez plus mûr, qu’il en faut quinze pour le moins. Il m’a cru , car il est fort docile. Il a fait sur-le-champ un nouveau cinquième acte, qu’il met sous les ailes de mes anges.

 

          Tout cela était assez difficile, car ce pauvre enfant n’avait à mettre, dans toute sa pièce, que du sentiment. Point d’aventure romanesque ; point de fils de Thyeste amoureux d’une jeune inconnue trouvée sur le sable de la mer, et qui est reconnue enfin pour sa sœur ; point de galimatias : il n’était soutenu par rien ; il fallait que, pour la première fois, une honnête femme avouât à son mari qu’elle a un enfant d’un autre, et cela sans faire rire.

 

 

1 – Les Pélopides, tragédie en cinq actes. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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