OPUSCULE - Sentiments des six conseils

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OPUSCULE - Sentiments des six conseils

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SENTIMENTS

 

DES SIX CONSEILS ÉTABLIS PAR LE ROI

ET DE TOUS LES BONS CITOYENS.

 

 

- 1769 -

 

 

(1)

 

 

_________

 

 

 

          Oui, tous les bons citoyens doivent persister à regarder l’établissement des six nouveaux conseils comme le plus signalé bienfait dont le roi veut combler la nation. Il est si beau de rendre gratuitement la justice ; il est si humain de sauver de la ruine tant de familles ; c’est une économie si sage d’épargner les frais de la translation des prisonniers du fond des provinces à Paris, qu’il faudrait avoir un esprit peu juste, et un cœur peu sensible, pour jouir d’une telle grâce sans reconnaissance.

 

          C’est un beau jour qui se lève sur nous, et on ne veut regarder que de petits nuages dont ce beau jour est encore obscurci.

 

          On s’épuise de tous côtés en déclamations pour nous empêcher d’être heureux. Il semble que tout soit perdu, parce que le ressort d’un tribunal de justice ne s’étend plus jusqu’au fond de l’Auvergne et du Poitou. Ne voilà-t-il pas en effet un grand mal qu’un Périgourdin soit jugé dans Angoulême au lieu de l’être à Paris, et que la justice soit rendue à chaque citoyen dans sa province, selon l’usage de toutes les nations !

 

          La postérité s’étonnera sans doute que nous ayons pu murmurer contre notre félicité. Nous n’avons vu en effet jusqu’ici que des déclamations sans preuves ; elles contestent au roi le pouvoir de faire du bien.

 

          Dans une de ces remontrances (2), voici comme on s’exprime

 

          « L’édit portant établissement de six conseils supérieurs renferme un vice et un danger intrinsèque que la cour doit faire connaître au seigneur roi. »

 

          Nous ne savons pas ce que c’est qu’un danger intrinsèque. Nous présumons que, lorsqu’on parle ainsi, on n’a guère de vérités intrinsèques à dire.

 

          « L’édit  du roi est une violation manifeste des règles et des formes. »

 

          Apprenez-nous donc quelles règles et quelles formes sont violées ? Fallait-il, par exemple, demander permission au tribunal de Rouen d’établir un tribunal à Blois ? et quand cette forme aurait été violée, devez-vous en bonne foi faire des reproches à votre médecin de ce qu’il vous a guéri contre les règles de la faculté ?

 

          « La commission établie pour rendre justice tant au civil qu’au criminel, ne peut en aucun temps acquérir le caractère de corps légal. »

 

          Voilà qui est bien étrange ! L’édit de Philippe-le-Bel qui établit le parlement de Paris et celui de Toulouse, était-il autre chose qu’une commission établie ? leur pouvoir n’était-il pas très légal ? les rois ne changeaient-ils pas les officiers de leurs parlements deux fois par an ? ne peuvent-ils pas faire aujourd’hui ce qu’ils ont fait si longtemps ? La création des parlements de Grenoble, de Dijon, de Bordeaux, de Rouen, n’eut aucun besoin d’enregistrement au parlement de Paris ; et le roi Charles IX vint, avec les grands officiers et plusieurs pairs, déclarer sa majorité au parlement de Rouen, parce qu’il n’y a aucune loi qui attribue cet honneur à un parlement plutôt qu’à un autre, et que même cette cérémonie est très inutile, attendu qu’on sait assez quel âge a le roi. Charles IX fut le premier qui signifia sa majorité à un parlement, et cette nouveauté fut très légale.

 

          « Les six conseils sont d’une nature inconnue dans la monarchie. »

 

          Mais les quatre grands bailliages, établis par saint Louis, n’étaient-ils pas d’une nature encore plus inconnue ?

 

          Il est souvent d’une nature très inconnue de faire le bien ; mais quand il est fait, il faut être d’une nature bien étrange pour ne le pas approuver, et pour ne pas remercier son bienfaiteur.

 

          « François Ier ne voulut jamais consentir à la proposition d’établir une cour de parlement à Bourges et à Poitiers. »

 

          Il n’est point du tout prouvé qu’on ait proposé à François Ier d’établir un parlement à Poitiers ; mais de ce que le roi aurait refusé de faire la sixième partie du bien qu’on nous fait aujourd’hui, s’ensuit-il que ce bien soit un mal ? François Ier fit une faute, et Louis XV la répare.

 

          Quand un parlement fait des reproches au souverain, il faut qu’il ait évidemment raison dans tous les points. Il semble que le parlement, auteur de ces remontrances, ait négligé ce principe.

 

          De quoi s’agit-il ici pour les peuples, qui doivent être l’objet de la législation ? De pouvoir obtenir justice le moins chèrement, le plus promptement, et le plus commodément qu’il soit possible.

 

          Or, nous demandons s’il n’est pas beaucoup plus commode d’être jugé dans sa province que dans une province étrangère ? si on n’est pas plus promptement jugé ? s’il n’en coûte pas dix fois moins ?

 

          Il est donc prouvé que toutes des déclamations qu’on prétend faites en faveur du peuple, sont réellement faites contre lui ; et que l’on confond perpétuellement l’intérêt particulier et chimérique d’un corps, avec l’intérêt général qui est très réel.

 

          Parlons de bonne foi, jeunes gens des enquêtes de Paris, à qui le grand Henri IV disait : « Ecoutez ces bons vieillards, et soyez modérés comme eux. » Vous ne pouvez avoir, dans cette affaire, d’autre intérêt que celui de la vanité. Quand vous rencontrerez un citoyen de Lyon, ou d’Arras, ou de Blois, ou de Clermont, vous pourrez lui dire : Monsieur, il est bien triste que vous ne soyez plus mon justiciable, je ne connais point votre coutume, mais j’étais essentiellement votre juge. La loi fondamentale de l’Etat est que vous quittiez votre pays natal pour venir me faire votre cour dans mon antichambre  tout est renversé puisque vous ne plaiderez plus chez nous.

 

          Le provincial vous répondra : Monsieur, je vous plains du fond de mon cœur. C’est un grand malheur, sans doute, qu’un procès champenois ne soit jugé qu’en Champagne ; votre gloire en est blessée ; mais le repos de quatre millions de citoyens est préférable à votre gloire. Vous perdez très peu de chose, et ce que la France gagne est beaucoup.

 

          Mais, monsieur, si le ressort du parlement de Paris est moins étendu, il faut donc diminuer le nombre de ses membres ?

 

          Oui, monsieur, en proportion du nombre des juges qu’on institue ailleurs. Votre ressort sera toujours assez considérable ; et les pairs, qui peuvent siéger partout où le roi les appelle, honoreront toujours votre respectable compagnie, parce qu’ils demeurent à Paris, et qu’ils ne séjournent pas à Pau en Béarn.

 

          Qu’importe à la France que le ressort d’un parlement ait plus ou moins d’étendue ? le roi qui institua ce corps, ne pouvait-il pas en instituer trente au lieu d’un ? ne démembre-t-on pas tous les jours des évêchés ? ne diminue-t-on pas, selon les besoins, le nombre des régiments ? ne vient-on pas de réduire celui des couvents ? celui des chambres du parlement de Paris n’a-t-il pas éprouvé dans tous les temps des changements considérables ? était-ce une loi fondamentale de l’Etat, qu’un tribunal de justice eût perpétuellement quatre chambre des enquêtes ? Il n’y en eut qu’une d’abord, et elle ne jugeait ni ne représentait. N’est-ce pas au roi qu’il appartient d’étendre ou de restreindre toutes ces bornes, selon les besoins de la nation ?

 

          Il n’y avait autrefois qu’un maréchal de France, on peut en avoir vingt, on peut n’en avoir que deux. Le nombre des pairs n’est point fixé, pourquoi celui des officiers d’un parlement le serait-il ?

 

          Monsieur, vous en parlez bien à votre aise. Il pourra se faire que si les membres du parlement de Paris sont réduits à un moindre nombre, je sois du nombre des réformés ; je ne pourrai plus juger.

 

          Eh bien, monsieur ! venez juger à Châlons en Champagne, ou à Blois, qui est un plus beau climat que Paris.

         

          Oh ! je ne pourrai pas, à Châlons ou à Blois, m’élever contre les abus du gouvernement.

 

          J’entends : vous craindriez de n’avoir pas assez de crédit : vous voudriez être membre du parlement d’Angleterre, à cause de l’équivoque du nom ; vous voudriez être membre de la diète de Ratisbonne, et moi aussi. Je voudrais de tout mon cœur être pair de France ou cardinal. Aristote définissait le liquide, ce qui ne se contient pas dans ses bornes ; contenons-nous, c’est le plus sûr moyen de mener honnêtement une vie heureuse : ce qui, tout bien considéré, doit être le but des rois, de la noblesse, du clergé, et du tiers-état.

 

 

1 – Ce sont les conseils supérieurs établis en vertu de l’édit de 1771. (G.A.)

2 – Arrêt du parlement de Besançon, 18 mars 1771. (G.A.)

 

 

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