FACÉTIE - Lettre

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FACÉTIE - Lettre

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LETTRE

 

DE L’ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY

A L’ARCHEVÊQUE DE PARIS.

 

 

 

- 1768 -

 

 

 

[Cette lettre est une réplique au mandement de Christophe de Beaumont contre le Bélisaire de Marmontel. Elle parut en février 1768.] (G.A.)

 

 

 

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          J’ai reçu, milord, votre mandement contre le grand Bélisaire, général d’armée de Justinien, et contre M. Marmontel, de l’Académie française, avec vos armoiries placées en deux endroits, surmontées d’un grand chapeau, et accompagnées de deux pendants de quinze houppes chacun, le tout signé, CHRISTOPHE ; par monseigneur, LATOUCHE, avec paraphe.

 

          Nous ne donnons, nous autres, de mandements que sur nos fermiers ; et je vous avoue, milord, que j’aurais désiré un peu plus d’humilité chrétienne dans votre affaire. Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi vous affectez d’annoncer, dans votre titre, que vous condamnez M. Marmontel, de l’Académie française.

 

          Si ceux qui ont rédigé votre mandement ont trouvé qu’un général d’armée de Justinien ne s’expliquait pas en théologien congru de votre communion, il me semble qu’il fallait vous contenter de le dire sans compromettre un corps respectable, composé de princes du sang, de cardinaux, de prélats comme vous, de ducs et pairs, de maréchaux de France, de magistrats et des gens de lettres les plus illustres. Je pense que l’Académie française n’a rien à démêler avec vos disputes théologiques.

 

          Permettez-moi encore de vous dire que, si nous donnions des mandements dans de pareilles occasions, nous les ferions nous-mêmes.

 

          J’ai été fâché que votre mandataire ait condamné cette proposition de ce grand capitaine Bélisaire : « Dieu est terrible aux méchants, je le crois, mais je suis bon. »

 

          Je vous assure, milord, que si notre roi, qui est le chef de notre Eglise, disait : Je suis bon, nous ne ferions point de mandements contre lui. Je suis bon veut dire, ce me semble, par tout pays, j’ai le cœur bon, j’aime le bien, j’aime la justice, je veux que mes sujets soient heureux. Je ne vois point du tout qu’on doive être damné pour avoir le cœur bon. Le roi de France (à ce que j’entends dire à tout le monde) est très bon, et si bon qu’il vous a pardonné des désobéissances réitérées qui ont troublé la France (1), et que toute l’Europe n’a pas regardées comme une marque d’un esprit bien fait. Vous êtes, sans doute, assez bon pour vous repentir.

 

          Nous ne voyons pas que Bélisaire soit digne de l’enfer pour avoir dit qu’il était un bon homme. Vous prétendez que cette bonté est une hérésie, parce que saint Pierre, dans sa première Epître, chapitre V, vers. 5, a dit que Dieu résiste aux superbes. Mais celui qui a fait votre mandement n’a guère pensé à ce qu’il écrivait. Dieu résiste, je le veux : la résistance sied bien à Dieu ; mais à qui résiste-t-il selon Pierre ? lisez de grâce ce qui précède, et vous verrez qu’il résiste aux prêtres qui paissent mal leur troupeau, et surtout aux jeunes qui ne sont pas soumis aux vieillards. « Inspirez-vous, dit-il, l’humilité les uns aux autres, car Dieu résiste aux superbes. »

 

          Or, je vous demande quel rapport il y a entre cette résistance de Dieu et la bonté de Bélisaire ? il est utile de recommander l’humilité, mais il faut aussi recommander le sens commun.

 

          On est bien étonné que votre mandataire ait critiqué cette expression humaine et naïve de Bélisaire : « Est-il besoin qu’il y ait tant de réprouvés ? » Non seulement vous ne voulez pas que Bélisaire soit bon, mais vous voulez aussi que le Dieu de miséricorde ne soit pas bon. Quel plaisir aurez-vous, s’il vous plaît, quand tout le monde sera damné ? nous ne sommes point si impitoyables dans notre île. Notre prédécesseur, le grand Tillotson, reconnu pour le prédicateur de l’Europe le plus sensé et le moins déclamateur, a parlé comme Bélisaire dans presque tous ses sermons. Vous me permettrez ici de prendre son parti. Soyez damné si vous le voulez, milord, vous et votre mandataire ; j’y consens de tout mon cœur : mais je vous avertis que je ne veux point l’être, et que je souhaiterais aussi que mes amis ne le fussent point ; il faut avoir un peu de charité.

 

          J’aurais bien d’autres choses à dire à votre mandataire, je lui recommanderais surtout d’être moins ennuyeux. L’ennui est toujours mortel pour les mandements ; c’est un point essentiel auquel on ne prend pas assez garde dans votre pays.

 

          Sur ce, mon cher confrère, je vous recommande à la Bonté divine, quoique le mot de bon vous fasse tant de peine.

 

          Votre bon confrère l’archevêque de Cantorbéry.

 

 

 

 

 

POST-SCRIPTUM.

 

 

 

          Quand vous écrirez à l’évêque de Rome, faites-lui, je vous prie, mes compliments ; j’ai toujours beaucoup de considération, pour lui, en qualité de frère. On me mande qu’il a essuyé depuis peu quelques désagréments ; qu’un cheval de Naples a donné un terrible coup de pied à sa mule ; qu’une barque de Venise a serré de près la barque de saint Pierre ; et qu’un fromage du Parmesan lui a donné une indigestion violente (2) : j’en suis fâché. On dit que c’est un bonhomme, pardonnez-moi ce mot. J’ai fort connu son père dans mon voyage d’Italie ; c’était un bon banquier ; mais il paraît que le fils n’entend pas son compte.

 

 

1 – Voyez l’Histoire du Parlement, chap. LXVI. (G.A.)

2 – Voyez le chapitre XXXIX du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

 

 

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