FACÉTIE - Épître écrite de Constantinople aux frères

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FACÉTIE - Épître écrite de Constantinople aux frères

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ÉPÎTRE ÉCRITE DE CONSTANTINOPLE

AUX FRÈRES.

 

 

 

 

[Nous ne savons non plus au juste la date de la publication de cet opuscule ; nous le laissons à son rang habituel, sans nous prononcer.] (G.A.)

 

 

 

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          Nos frères, qui êtes répandus sur la terre, et non dispersés, qui habitez les îles de Niphon et celles des Cassitérides (1), qui êtes unis dans les mêmes sentiments sans vous les être communiqués, adorateurs d’un seul Dieu, pieux sans superstition, religieux sans cérémonies, zélés sans enthousiasme, recevez ce témoignage de notre union et de notre amitié  nous aimons tous les hommes ; mais nous vous chérissons par-dessus les autres, et nous offrons avec vous nos purs hommages au Dieu de tous les globes, de tous les temps, et de tous les êtres.

 

          Nos cruels ennemis, les brames, les fakirs, les bonzes, les talapoins, les derviches, les marabouts, ne cessent d’élever contre nous leurs voix discordantes ; divisés entre eux dans leurs fables, ils semblent réunis contre notre vérité simple et auguste. Ces aveugles qui se battent à tâtons sont tous armés contre nous qui marchons paisiblement à la lumière.

 

          Ils ne savent pas quelles sont nos forces. Nous remplissons toute la terre ; les temples ne pourraient nous contenir, et notre temple est l’univers. Nous étions avant qu’aucune de ces sectes eût pris naissance. Nous sommes encore tels que furent nos premiers pères sortis des mains de l’Eternel ; nous lui offrons comme eux des vœux simples dans l’innocence et dans la paix. Notre religion réelle a vu naître et mourir mille cultes fantastiques, ceux de Zoroastre, d’Osiris, de Zamolxis, d’Orphée, de Numa, d’Odin, et de tant d’autres. Nous subsistons toujours les mêmes au milieu des sectaires de Fo, de Brama, de Xaca, de Vistnou, de Mahomet. Ils nous appellent impies, et nous leur répondons en adorant Dieu avec piété.

 

          Nous gémissons de voir que ceux qui croient que Mahomet a mis la moitié de la lune dans sa manche, soient toujours secrètement disposés à empaler ceux qui pensent que Mahomet n’y en mit que le quart.

 

          Nous n’envions point les richesses des mosquées, que les imans tremblent toujours de perdre ; au contraire, nous souhaitons qu’ils jouissent tous d’une vie douce et commode, qui leur inspire des mœurs faciles et indulgentes.

 

          Le muphti n’a que huit mille sequins de revenu, nous voudrions qu’il en eût davantage pour soutenir sa dignité, pourvu qu’il n’en abuse pas.

 

          Supposé que les Etats du grand-lama soient bien gouvernés, que les arts et le commerce y fleurissent, que la tolérance y soit établie, nous pardonnons aux peuples du Thibet de croire que le grand-lama a toujours raison, quand il dit que deux et deux font cinq. Nous leur pardonnons de le croire immortel, quand ils le voient enterrer ; mais s’il était encore sur la terre un peuple (2) ennemi de tous les peuples, qui pensât que Dieu, le père commun de tous les hommes, le tira par bonté du fertile pays de l’Inde pour le conduire dans les sables de Rohoba, et pour lui ordonner d’exterminer tous les habitants du pays voisin, nous déclarons cette nation de voleurs la nation la plus abominable du globe, et nous détestons ses superstitions sacrilèges, autant que nous plaignons les ignicoles chassés injustement de leur pays par Omar.

 

          S’il était encore un petit peuple (3) qui s’imaginât que Dieu n’a fait le soleil, la lune et les étoiles que pour lui, que les habitants des autres globes n’ont été occupés qu’à lui fournir de la lumière, du pain, du vin et de la rosée, et qu’il a été créé pour mettre de l’argent à usure, nous pourrions permettre à cette troupe de fanatiques imbéciles de nous vendre quelquefois des cafetans et des dolimans ; mais nous aurions pour lui le mépris qu’il mérite.

 

          S’il était quelque autre peuple à qui on eût fait accroire que ce qui a été vrai est devenu faux ; s’il pense que l’eau du Gange (4) est absolument nécessaire pour être réuni à l’Etre des êtres ; s’ils se prosterne devant des ossements de morts et devant quelques haillons ; si ses fakirs ont établi un tribunal (5) qui condamne à expirer dans les flammes ceux qui ont douté un moment de quelques opinions des fakirs ; si un tel peuple existe, nous verserons sur lui des larmes. Nous apprenons avec consolation que déjà plusieurs nations ont adopté un culte plus raisonnable, qu’elles adressent leurs hommages au Dieu suprême, sans adorer la jument Borak qui porta Mahomet au troisième ciel ; que ces peuples mangent hardiment du cochon et des anguilles, sans croire offenser le Créateur. Nous les exhortons à perfectionner de plus en plus la pureté de leur culte.

 

          Nous savons que nos ennemis crient, depuis des siècles, qu’il faut tromper le peuple (6) ; mais nous croyons que le plus bas peuple est capable de connaître la vérité. Pourquoi les mêmes hommes à qui on ne peut faire accroire qu’un sequin en vaut deux, croiraient-ils que le dieu Sammonocodon a coupé toute une forêt en jouant au cerf-volant ?

 

          Serait-il si difficile d’accoutumer les bachas et les charbonniers, les sultans et les fendeurs de bois, qui sont tous également hommes, à se contenter de croire un Dieu infini, éternel, juste, miséricordieux, récompensant au-delà du mérite, et punissant sévèrement le vice sans colère et sans tyrannie ?

 

          Quel est l’homme dont la raison puisse se soulever, quand on lui recommande l’adoration de l’Etre suprême, l’amour du prochain et de la justice ?

 

          Quel encouragement aura-t-on de plus à la vertu, quand on s’égorgera pour savoir si la mère du dieu Fo accoucha par l’oreille ou par le nez ? En sera-t-on meilleur père, meilleur fils, meilleur citoyen ?

 

          On distribue au peuple du Thibet les reliques de la chaise percée du dalaï-lama ; on les enchâsse dans de l’ivoire ; les saintes femmes les portent à leur cou ; ne pourrait-on pas, à toute force, se rendre agréable à Dieu par une vie pure, sans être paré de ces beaux ornements, qui après tout sont étrangers à la morale ?

 

          Nous ne prétendons point offenser les lamas, les bonzes, les talapoins, les derviches, à Dieu ne plaise ; mais nous pensons que si l’on en faisait des chaudronniers, des cardeurs de laine, des maçons, des charpentiers, ils seraient bien plus utiles au genre humain ; car enfin nous avons un besoin continuel de bons ouvriers, et nous n’avons pas un besoin si marqué d’une multitude innombrable de lamas et de fakirs.

 

 

 

Priez Dieu pour eux et pour nous.

 

Donné à Constantinople, le 10° de la lune de sheval, l’an de l’hégire 1215.

 

 

 

 

 

1 – Le Japon et l’Angleterre. (K.)

2 – Les Juifs. (G.A.)

3 – Encore les Juifs. (G.A.)

4 – Le baptême des catholiques. (G.A.)

5 – L’inquisition. (G.A.)

6 – Voyez l’opuscule intitulé : Jusqu’à quel point on doit tromper le peuple. (G.A.)

 

 

 

 

 

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