CORRESPONDANCE - Année 1768 - Partie 27

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1768 - Partie 27

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à M. le président Hénault.

 

Ferney, 28 Septembre 1768.

 

 

          Mon cher et illustre confrère, j’ai reçu vos deux lettres, dont l’une rectifie l’autre. Vivez, et portez-vous bien. Le cardinal de Fleury avait, à votre âge, une tête capable d’affaires ; Huet, Fontenelle, ont écrit à quatre-vingts ans. Il y a de très beaux soleils couchants ; mais couchez-vous très tard.

 

          Laissons là l’éloquent Bossuet et son Histoire prétendue universelle, où il rapporte tout aux Juifs, où les Perses, les Egyptiens, les Grecs, et les Romains, sont subordonnés aux Juifs, où ils n’agissent que pour les Juifs. On en rit aujourd’hui ; mais ce n’est pas des Juifs dont il est question ici, c’est de vous. J’avais déjà prévenu plusieurs de mes amis, qui m’ont pressé de leur faire parvenir cet Examen de l’histoire d’Henri IV, duquel il y a déjà trois éditions. Je l’ai envoyé chargé de mes notes, dans lesquelles je fais voir qu’il y a presque autant d’erreur dans l’Examen que dans le livre examiné. L’erreur que j’ai le plus relevée est celle où il tombe à votre égard. Vous connaissez mon amitié et mon estime également constantes. Vous pensez bien que je n’ai pas vu de sang-froid une telle injustice. J’avais même préparé une dissertation pour être envoyée à tous les journaux ; mais j’ai été arrêté par l’assurance qu’on m’a donnée que c’est un marquis de Belloste (1) qui est l’auteur de l’ouvrage. On dit qu’en effet il y a un homme de ce nom en Languedoc. Je ne connaissais que les pilules de Belloste, et point de marquis si profond et en même temps si fautif dans l’histoire de France. Si c’est lui qui est le coupable, il ne convient pas de le traiter comme un La Beaumelle ; il faut le faire rougir poliment de son tort. J’avoue que j’ai cru reconnaître le style, les phrases de ce La Beaumelle, son ton décisif, son audace à citer à tort et à travers, son tour d’esprit, ses termes favoris. Il se peut qu’il ait travaillé avec M. de Belloste. Je fais ce que je puis pour m’en éclaircir.

 

          Il y a une chose très curieuse et très importante sur laquelle vous pourriez m’instruire avant que j’ose être votre champion ; c’est à vous de me fournir des armes. Le marquis vrai ou prétendu assure qu’aux premiers états de Blois les députés des trois ordres déclarèrent, avec l’approbation du roi, de Catherine, et du duc d’Alençon, que les parlements sont des états-généraux au petit pied. Il ajoute qu’il est étrange qu’aucun historien n’ait parlé d’un fait si public. Il vous serait aisé de faire chercher dans la Bibliothèque du roi s’il reste quelque trace de cette anecdote, qui semblerait donner quelque atteinte à l’autorité royale. C’est une matière très délicate, sur laquelle il ne serait pas permis de s’expliquer sans avoir des cautions sûres.

 

          Parmi les fautes qui règnent dans cet Examen, il faut avouer qu’on trouve des recherches profondes. Il est vrai qu’il suffit d’avoir lu des anecdotes pour les copier ; mais enfin cela tient lieu de mérite auprès de la plupart des lecteurs, séduits d’ailleurs par la licence et par la satire. La plupart des gens lisent sans attention ; très peu sont en état de juger. C’est ce qui donne une assez grande vogue à ce petit ouvrage. Il me paraît nécessaire de le réfuter. J’attendrai vos instructions et vos ordres ; et si vous chargez un autre que moi de combattre sous vos drapeaux, je n’aurai point de jalousie, et je n’en aurai pas moins de zèle.

 

          Ce qui affaiblit beaucoup mes soupçons sur La Beaumelle, c’est qu’il ne dit point de mal de moi. Quel que soit l’auteur, je persiste à croire qu’une réfutation est nécessaire. Je pense qu’en fait d’ouvrage de génie il ne faut jamais répondre aux critiques, attendu qu’on ne peut disputer des goûts ; mais en fait d’histoire il faut répondre, parce que, lorsqu’on m’accuse d’avoir menti, il faut que je me lave. Le révérend père Nonnotte m’a accusé auprès du pape d’avoir menti, en soutenant que Charlemagne n’avait jamais donné Ravenne au pape. Mon bon ange a découvert une lettre par laquelle Charlemagne institue un gouverneur dans Ravenne. Me voilà lavé, mais non absous. J’espère que le révérend père Nonotte n’empêchera pas qu’on ne nomme bientôt un gouverneur dans Castro.

 

          A propos de Castro, j’ai envoyé à madame du Deffand des anecdotes très curieuses, touchant les droits de sa sainteté (2). C’est à un Vénitien que nous en sommes redevables. Cela n’est peut-être pas trop amusant pour une dame de Paris ; il n’y a point là d’esprit, point de traits saillants ; mais vous y trouverez des particularités aussi vraies qu’intéressantes. Les yeux s’ouvrent dans toute l’Europe. Il s’est fait une révolution dans l’esprit humain qui aura de grandes suites. Puissions-nous, vous et moi, en être témoins ! Comptez que rien ne peut diminuer l’estime infinie et le tendre attachement que je vous ai voués pour le reste de ma vie.

 

 

1 – Voyez la lettre à Hénault du 17 octobre. (G.A.)

2 – Les Droits des hommes et les Usurpations des papes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

28 Septembre 1768.

 

 

          Le possédé cède toujours à vos exorcismes, et voici une preuve, mon divin ange, de la docilité du jeune étourdi. Il est d’accord avec vous sur presque tous les points, et il vous prie très instamment de faire porter sur le corps de l’ouvrage les changements que vous avez eu la bonté d’indiquer. Il sera très aisé de les mettre proprement à leur place. Je vous prierai de laisser prendre une copie à madame Denis, qui est engagée au secret, et qui le gardera comme vous.

 

          Je crois que la pièce est faite pour avoir un prodigieux succès, grâce à ces illusions mêmes que je crains ; et je pense en même temps que la pièce est assez sage pour qu’on puisse la jouer, malgré les inductions qu’on en peut tirer. Cela dépendra absolument de la bonne volonté du censeur, ou du magistrat que le censeur se croira peut-être obligé de consulter.

 

          Enfin, après qu’on a joué le Tartufe et Mahomet, il ne faut désespérer de rien. On pourra mettre un jour Caïphe et Pilate sur la scène ; mais, avant que cette négociation soit consommée, il faut bien que Lekain paraisse un peu en Scythe ; cela est juste, c’est une attention qu’il me doit ; et quoique les comédiens soient presque aussi ingrats que des prêtres, ils ne peuvent me priver d’un droit que j’ai acquis par cinquante ans de travaux.

 

          Je me mets aux pieds de madame d’Argental.

 

          A propos, vraiment oui je pense comme vous sur l’Académie et sur La Harpe, sans même avoir vu l’ouvrage couronné (1).

 

 

1 – On avait couronné l’abbé de Langeac pour sa Lettre d’un fils parvenu à son père laboureur. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, samedi au soir.

 

 

          Mon très aimable et très cher résident, voici un paquet qu’on m’adresse. Il me semble que M. votre frère peut beaucoup dans cette affaire : il s’agit des vivants et des morts (1), ils vous auront tous obligation. Pour moi, tant que je serai au nombre des vivants, je vous serai bien tendrement attaché.

 

 

1 – Voyez la lettre à Pacou du 3 octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Ferney, 30 Septembre 1768.

 

 

          Si madame Papillon-Philosophe garde les secrets aussi bien que les paquets, je me confesserai à elle à Pâques. Non, madame, mon cœur n’a pas renoncé au genre humain, dont vous êtes une très aimable partie. Je suis vieux, malade, et dégoûtant, mais je ne suis point du tout dégoûté ; et vous seule, madame, me réconcilierez avec le monde.

 

          Voici le secret dont il s’agit. Madame Denis m’a mandé qu’un jeune homme a tourné en opéra-comique (1) un certain conte intitulé l’Education d’un Prince. Je n’ai point vu cette facétie, mais elle prétend qu’elle prête beaucoup à la musique. J’ai songé alors à votre protégé (2), et j’ai cru que je vous ferais ma cour en priant madame Denis d’avoir l’honneur de vous en parler. Tout ce que je crains, c’est qu’elle ne se soit déjà engagée. Ne connaissant ni la pièce ni les talents des musiciens, j’ai saisi seulement cette occasion pour vous renouveler mes hommages. L’état triste où je suis ne me permet guère de m’amuser d’un opéra-comique. Il y a loin entre la gaieté et moi ; mais mon respectueux attachement pour vous, madame, ne vieillira jamais, et rien ne contribuera plus à me faire supporter ma très languissante vie que la continuation de vos bontés.

 

          J’ignore en quel endroit M. le chevalier de Pesay prend actuellement le bain avec Zélis (3). S’il est toujours baigné depuis qu’il vous remit cette affaire entre les mains, il doit être fort affaibli.

 

          Vous tirez toujours des perdrix, sans doute, et vous n’êtes pas une personne à tirer votre poudre aux moineaux. Rassemblez le plus de plaisirs que vous pourrez, et soyez heureuse autant que vous méritez de l’être. Agréez, madame, mon tendre respect.

 

 

1 – Voyez le Baron d’Octrante. (G.A.)

2 – Grétry. (G.A.)

3 – Pesay était auteur de Zélis au bain, poème en quatre chants. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse de Saint-Point.

 

Au château de Ferney, 1er Octobre 1768.

 

 

          J’ai reçu presque en même temps, madame, la lettre dont vous m’honorez, et les fromages que M. votre fils (1) veut bien m’envoyer. Il m’accable de présents, et il me fait rougir de ne pouvoir reconnaître tant de bontés. J’habite un pays qui a l’air du paradis terrestre, mais qui, en effet, est maudit de Dieu, et qui ne produit rien d’agréable. Un des plus grands plaisirs qui m’y aient consolé a été d’y voir M. votre fils ; mais c’est un plaisir dont j’ai joui trop peu de temps. Si ma vieillesse et ma mauvaise santé me l’avaient permis, je lui aurais certainement rendu sa visite. J’aurais été charmé de vous faire ma cour. J’ai l’honneur d’être avec respect, madame, etc.

 

 

1 – Le chevalier de Rochefort. (K.)

 

 

 

 

 

à M. de Lalande.

 

1er Octobre 1768.

 

 

          Les intendants, monsieur, sont faits, à ce que je vois, pour vexer les pauvres cultivateurs ; ils vous ont enlevé à moi. Je ne peux pourtant pas blâmer M. l’intendant de Bourgogne (1). Si j’avais été à sa place, je vous assure que j’en aurais fait autant que lui. Comme il est de très bonne compagnie, il est bien juste qu’il l’aime.

 

          C’est bien dommage, monsieur, que ce qui arrive aujourd’hui en Italie ne soit pas arrivé quand vous y étiez. Vous auriez ajouté un tome bien curieux à vos huit volumes (2). La bulle In cœna Domini, proscrite par la dévote reine de Hongrie, le pape enrôlant des soldats ; les femmes poursuivent les enrôleurs à coups de pierres, et criant qu’on enrôle des jésuites, et qu’on leur rend leurs amants ; les Romains se moquant universellement de Rezzonico ; le pape s’amusant à faire des saints dans le temps qu’on lui prend ses villes (3) : tout cela forme un tableau qui méritait d’être peint par vous, puisque vous avez eu la bonté de mêler l’étude des folies de la terre à celle des phénomènes du ciel.

 

          Nous saurons donc, l’année qui vient, à quelle distance nous sommes du soleil ; j’espère que nous saurons aussi à quel point nous sommes éloignés de la superstition.

 

          Si vous voyez votre très aimable commandant (4), je vous prie de me mettre à ses pieds.

 

          Vous ne doutez pas que j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Amelot de Chaillou. (G.A.)

2 – Voyage d’un Français en Italie, fait dans les années 1765 et 1766. (G.A.)

3 – Avignon. (G.A.)

4 – M. de Jaucourt. (K.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, lundi matin, 2 Octobre 1768.

 

 

          Puisque vous mettez, monsieur, ce pauvre malade dans la nécessité de mettre un habit et des souliers, et de recevoir un duc de Bragance, il est juste que ce soit vous qui fassiez les honneurs du pays, et qui le receviez dans ma chaumière. J’avais pris le parti de le prier pour mardi ; mais comme malheureusement mardi est jour de casse, je lui demande en grâce, à lui comme à vous, que ce soit pour mercredi. Ayez la charité de réussir dans cette négociation. Je vous remercie de tout mon cœur de vos recommandations en faveur des pestiférés de Versailles (1).

 

 

1 – Voyez la lettre à Pacou du 3 Octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

Lundi soir, 2 Octobre 1768.

 

 

          Vous daignez venir sans doute, monsieur, chez le vieux malade entre une ou deux heures, mercredi. Connaissez-vous M. de Menon, le nouveau contrôleur général ? Ah ! que la Riforma d’Italia est un bon livre ! Qu’on laisse faire les Italiens, ils iront à bride abattue. Que vous êtes heureux ! vous verrez le jour de la révolution dont je n’ai vu que l’aurore, et cela sera fort plaisant.

 

 

 

 

 

 

 

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