JUGEMENT - VIE DE MOLIÈRE - Partie 7

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JUGEMENT - VIE DE MOLIÈRE - Partie 7

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JUGEMENTS SUR MOLIÈRE, CRÉBILLON, SHAKESPEARE,

BOILEAU, LA FONTAINE, MADAME DU CHÂTELET, FRÉDÉRIC II,

HELVÉTIUS, LOUIS RACINE, J.B.-ROUSSEAU, DESFONTAINES.

 

 

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VIE DE MOLIÈRE,

 

AVEC DES JUGEMENTS SUR SES OUVRAGES.

 

 

 

- Partie 7 -

 

 

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L’IMPOSTEUR, ou LE TARTUFE.

 

Joué sans interruption en public, le 5 février 1669.

 

 

 

          On sait toutes les traverses que cet admirable ouvrage essuya. On en voit le détail dans la préface de l’auteur, au devant du Tartufe.

 

          Les trois premiers actes avaient été représentés à Versailles, devant le roi, le 12 mai 1664. Ce n’était pas la première fois que Louis XIV, qui sentait le prix des ouvrages de Molière, avait voulu les avoir avant qu’ils fussent achevés : il fut fort content de ce commencement, et par conséquent la cour le fut aussi.

 

          Il fut joué le 29 novembre de la même année au Raincy, devant le grand Condé. Dès lors, les rivaux se réveillèrent ; les dévots commencèrent à faire du bruit ; les faux zélés (l’espèce d’hommes la plus dangereuse) crièrent contre Molière, et séduisirent même quelques gens de bien. Molière, voyant tant d’ennemis qui allaient attaquer sa personne encore plus que sa pièce, voulut laisser ces premières fureurs se calmer : il fut un an sans donner le Tartufe ; il le lisait seulement dans quelques maisons choisies, où la superstition ne dominait pas.

 

          Molière ayant opposé la protection et le zèle de ses amis aux cabales naissantes de ses ennemis, obtint du roi une permission verbale de jouer le Tartufe. La première représentation en fut donc faite à Paris, le 5 août 1667. Le lendemain, on allait la rejouer ; l’assemblée était la plus nombreuse qu’on eût jamais vue ; il y avait des dames de la première distinction aux troisièmes loges ; les acteurs allaient commencer, lorsqu’il arriva un ordre du premier président du parlement, portant défense de jouer la pièce.

 

          C’est à cette occasion qu’on prétend que Molière dit à l’assemblée : « Messieurs, nous allions vous donner le Tartufe ; mais M. le premier président ne veut pas qu’on le joue. »

 

          Pendant qu’on supprimait cet ouvrage, qui était l’éloge de la vertu et la satire de la seule hypocrisie, on permit qu’on jouât sur le théâtre italien Scaramouche ermite, pièce très froide, si elle n’eût été licencieuse, dans laquelle un ermite vêtu en moine monte la nuit par une échelle à la fenêtre d’une femme mariée, et y reparaît de temps en temps en disant : Questo è per mortificar la carne. On sait sur cela le mot du grand Condé : « Les comédiens italiens n’ont offensé que Dieu, mais les français ont offensé les dévots. » Au bout de quelque temps, Molière fut délivré de la persécution ; il obtint un ordre du roi par écrit de représenter le Tartufe. Les comédiens ses camarades voulurent que Molière eût toute sa vie deux parts dans le gain de la troupe, toutes les fois qu’on jouerait cette pièce ; elle fut représentée trois mois de suite, et durera autant qu’il y aura en France du goût et des hypocrites.

 

          Aujourd’hui bien des gens regardent comme une leçon de morale cette même pièce qu’on trouvait autrefois si scandaleuse. On peut hardiment avancer que les discours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie et éclairée est opposée à la dévotion imbécile d’Orgon, sont, à quelques expressions près, le plus fort et le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue ; et c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui parlaient moins bien dans la chaire de Molière au théâtre.

 

          Voyez surtout cet endroit :

 

Allez, tous vos discours ne me font point de peur ;

Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.

Il est de faux dévots ainsi que de faux braves, etc.

 

          Presque tous les caractères de cette pièce sont originaux ; il n’y en a aucun qui ne soit bon, et celui du Tartufe est parfait. On admire la conduite de la pièce jusqu’au dénouement ; on sent combien il est forcé, et combien les louanges du roi, quoique mal amenées, étaient nécessaires pour soutenir Molière contre ses ennemis.

 

          Dans les premières représentations, l’imposteur se nommait Panulphe, et ce n’était qu’à la dernière scène qu’on apprenait son véritable nom de Tartufe, sous lequel ses impostures étaient supposées être connues du roi. A cela près, la pièce était comme elle est aujourd’hui. Le changement le plus marqué qu’on y ait fait est à ce vers :

 

O ciel ! pardonne-lui la douleur qu’il me donne.

 

          Il y avait :

 

O ciel ! pardonne-moi, comme je lui pardonne.

 

          Qui croirait que le succès de cette admirable pièce eût été balancé par celui d’une comédie qu’on appelle la Femme juge et partie, qui fut jouée à l’hôtel de Bourgogne aussi longtemps que le Tartufe au Palais-Royal ? Monfleuri, comédien de l’hôtel de Bourgogne, auteur de la Femme juge et partie, se croyait égal à Molière, et la préface qu’on a mise au-devant du recueil de ce Montfleuri avertit que ce M. de Montfleuri était un grand homme. Le succès de la Femme juge et partie, et de tant d’autres pièces médiocres, dépend uniquement d’une situation que le jeu d’un acteur fait valoir. On sait qu’au théâtre il faut peu de chose pour faire réussir ce qu’on méprise à la lecture. On représenta sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, à la suite de la Femme juge et partie, la Critique du Tartufe. Voici ce qu’on trouve dans le prologue de cette critique (1) :

 

Molière plaît assez ; c’est un bouffon plaisant,

Qui divertit le monde en le contrefaisant ;

Ses grimaces souvent causent quelques surprises ;

Toutes ses pièces sont d’agréables sottises :

Il est mauvais poète et bon comédien ;

Il fait rire ; et de vrai, c’est tout ce qu’il fait bien.

 

          On imprima contre lui vingt libelles. Un curé de Paris s’avilit jusqu’à composer une de ces brochures, dans laquelle il débutait par dire qu’il fallait brûler Molière. Voilà comme ce grand homme fut traité de son vivant ; l’approbation du public éclairé lui donnait une gloire qui le vengeait assez : mais qu’il est humiliant pour une nation, et triste pour les hommes de génie, que le petit nombre leur rende justice, tandis que le nombre les néglige et les persécute (2) !

 

 

1 – Ce que Voltaire cite-là est tiré non d’un prologue, mais d’une lettre écrite à l’auteur de la Critique, par un de ses amis. Quant à la pièce elle-même, elle est perdue. (G.A.)

2 – Voltaire pense à lui-même. (G.A.)

 

 

 

 

 

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

 

Comédie-ballet en prose et en trois actes, faite et jouée

à Chambord, pour le roi, au mois de septembre 1669, et

représentée sur le théâtre du Palais-Royal le 15 Novembre

de la même année.

 

 

 

          Ce fut à la représentation de cette comédie que la troupe de Molière prit pour la première fois le titre de la troupe du roi. Pourceaugnac est une farce ; mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la haute comédie. Un homme supérieur, quand il badine, ne peut s’empêcher de badiner avec esprit. Lulli, qui n’avait point encore le privilège de l’Opéra, fit la musique du ballet de Pourceaugnac ; il y dansa, il y chanta, il y joua du violon. Tous les grands talents étaient employés aux divertissements du roi, et tout ce qui avait rapport aux beaux-arts était honorable.

 

          On n’écrivit point contre Pourceaugnac : on ne cherche à rabaisser les grands hommes que quand ils veulent s’élever. Loin d’examiner sévèrement cette farce, les gens de bon goût reprochèrent à l’auteur d’avilir trop souvent son génie à des ouvrages frivoles qui ne méritaient pas d’examen ; mais Molière leur répondait qu’il était comédien aussi bien qu’auteur, qu’il fallait réjouir la cour et attirer le peuple, et qu’il était réduit à consulter l’intérêt de ses acteurs aussi bien que sa propre gloire.

 

 

 

 

 

LES AMANTS MAGNIFIQUES.

 

Comédie-ballet en prose et en cinq actes,

représentée devant le roi, à Saint-Germain,

au mois de janvier 1670.

 

 

 

          Louis XIV lui-même donna le sujet de cette pièce à Molière. Il voulut qu’on représentât deux princes qui se disputeraient une maîtresse, en lui donnant des fêtes magnifiques et galantes. Molière servit le roi avec précipitation. Il mit dans cet ouvrage deux personnages qu’il n’avait point encore fait paraître sur son théâtre, un astrologue et un fou de cour. Le monde n’était point alors désabusé de l’astrologie judiciaire ; on y croyait d’autant plus qu’on connaissait moins la véritable astronomie. Il est rapporté dans Vittorio Siri qu’on n’avait pas manqué, à la naissance de Louis XIV, de faire tenir un astrologue dans un cabinet voisin de celui où la reine accouchait. C’est dans les cours que cette superstition règne davantage, parce que c’est là qu’on a plus d’inquiétude sur l’avenir.

 

          Les fous y étaient aussi à la mode ; chaque prince et chaque grand seigneur même avait son fou ; et les hommes n’ont quitté ce reste de barbarie qu’à mesure qu’ils ont plus connu les plaisirs de la société et ceux que donnent les beaux-arts. Le fou qui est représenté dans Molière n’est point un fou ridicule, tel que le Moron de la Princesse d’Elide ; mais un homme adroit, et qui, ayant la liberté de tout dire, s’en sert avec habileté et avec finesse. La musique est de Lulli.

 

          Cette pièce ne fut jouée qu’à la cour, et ne pouvait guère réussir que par le mérite du divertissement et par celui de l’à-propos.

 

          On ne doit pas omettre que, dans les divertissements des Amants magnifiques, il se trouve une traduction de l’ode d’Horace,

 

Donec gratus eram tibi.

 

 

 

 

 

LE BOURGOIS GENTILHOMME.

 

Comédie-ballet en prose et en cinq actes, faite et jouée

à Chambord, au mois d’octobre 1670, et représentée à

Paris le 23 (1) novembre de la même année.

 

 

 

          Le Bourgois gentilhomme est un des plus heureux sujets de comédie que le ridicule des hommes ait jamais pu fournir. La vanité, attribut de l’espèce humaine, fait que les princes prennent le titre de rois, que les grands seigneurs veulent être princes, et, comme dit La Fontaine,

 

Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.

 

          Cette faiblesse est précisément la même que celle d’un bourgeois qui veut être homme de qualité ; mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme avec les airs et les discours qu’il veut affecter qui font un ridicule plaisant. Cette espèce de ridicule ne se trouve point dans des princes, ou dans des hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevés grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. C’est ce naturel grossier qui fait le plaisant de la comédie, et voilà pourquoi ce n’est jamais que dans la vie commune qu’on prend les personnages comiques. Le Misanthrope est admirable, le Bourgeois gentilhomme est plaisant.

 

          Les quatre premiers actes de cette pièce peuvent passer pour une comédie : le cinquième est une farce qui est réjouissante, mais trop peu vraisemblable. Molière aurait pu donner moins de prise à la critique, en supposant quelque autre homme que le fils du Grand-Turc ; mais il cherchait par ce divertissement plutôt à réjouir qu’à faire un ouvrage régulier.

 

          Lulli fit aussi la musique du ballet, et il y joua comme dans Pourceaugnac.

 

 

1 – Ou plutôt le 29. (G.A.)

 

 

 

 

 

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