FACÉTIES - A Warburton
Photo de PAPAPOUSS
A WARBURTON.
[L’évêque de Glocester, Warburton, avait publié, en 1766, une Démonstration de la mission divine de Moïse où les philosophes étaient pris à partie. Non content de riposter au prêtre anglais dans le chapitre XV de la Défense de mon oncle, Voltaire lui lança encore cette ruade au mois de juillet de la même année.] (G.A.)
__________
Tu exerces ton insolence et tes fureurs sur les étrangers comme sur tes compatriotes. Tu voulais que ton nom fût partout en horreur, tu as réussi après avoir commenté Shakespeare, tu as commenté Moïse ; tu as écrit une rapsodie en quatre volumes, pour montrer que Dieu n’a jamais enseigné l’immortalité de l’âme pendant près de quatre mille ans ; et tandis qu’Homère l’annonce, tu veux qu’elle soit ignorée dans l’Ecriture sainte. Ce dogme est celui de toutes les nations policées ; et tu prétends que les Juifs ne le connaissaient pas.
Ayant mis ainsi le vrai Dieu au-dessous des faux dieux, tu feins de soutenir une religion que tu as violemment combattue ; tu crois expier ton scandale en attaquant les sages tu penses te laver en les couvrant de ton ordure ; tu crois écraser d’une main la religion chrétienne, et tous les littérateurs de l’autre : tel est ton caractère. Ce mélange d’orgueil, d’envie et de témérité, n’est pas ordinaire. Il t’a effrayé toi-même ; tu t’es enveloppé dans les nuages de l’antiquité et dans l’obscurité de ton style ; tu as couvert d’un masque ton affreux visage. Voyons si l’on peut faire tomber d’un seul coup de masque ridicule.
Tous les sages s’accordent à penser que la législation des Juifs les rendait nécessairement les ennemis des nations.
Tu contredis cette opinion si générale et si vraie, dans ton style de Billingsgate (1). Voici tes paroles : « Je ne crois pas qu’il soit aisé d’entasser, même dans le plus sale égout de l’irréligion, tant de faussetés, d’absurdités et de malice… Comment peut-il soutenir à visage découvert, et à la face du soleil, que la loi mosaïque ordonnait aux Juifs d’entreprendre de vastes conquêtes, ou qu’elle les y encourageait, puisqu’elle leur assignait un district très borné ? »
Je passe sous silence les injures aussi grossières que lâches, dignes des portefaix de Londres et de toi, et je viens à ce que tu oses appeler des raisons : elles sont moins fortes que tes injures.
Voyons d’abord s’il est vrai qu’on ait promis aux Juifs un si petit district.
« En ce jour, le Seigneur fit un pacte avec Abraham, et lui dit : Je donnerai à ta semence la terre depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve d’Euphrate. »
C’était promettre aux Juifs, par serment, l’isthme de Suez, une partie de l’Egypte, l’Arabie entière, tout ce qui fut depuis le royaume des Séleucides. Si c’est là un petit pays, il faut que les Juifs fussent difficiles : il est vrai qu’ils ne l’ont pas possédé, mais il ne leur a pas été moins promis.
Les Juifs renfermés dans le Canaan vécurent des siècles sans connaître ces vastes contrées, et ils n’eurent guère de notions de l’Euphrate et du Tigre que pour y être traînés en esclavage. Mais voici bien d’autres promesses ; voyez Isaïe au chap. XLIX.
« Le Seigneur a dit : J’étendrai mes mains sur toutes les nations : j’élèverai mon signe sur les peuples ; ils vous apporteront leurs fils dans leurs bras, et leurs filles sur leurs épaules ; les rois seront vos nourriciers, et leurs filles vos nourrices ; ils vous adoreront le visage en terre, et ils lècheront la poudre de vos pieds. »
N’est-ce pas leur promettre évidemment qu’ils seront les maîtres du monde, et que tous les rois seront leurs esclaves ? Eh bien ! Warburton, que dis-tu de ce petit district ?
Tu sais combien de passages les Juifs fondaient leur orgueil et leurs vaines espérances ; mais ceux-ci suffisent pour démontrer que tu n’as pas même entendu les livres saints contre lesquels tu as écrit. Vois si le sale égout de l’irréligion n’est pas celui dans lequel tu barbotes.
Venons maintenant à la haine invétérée que les Israélites avaient conçue contre toutes les nations. Dis-moi si on égorge les pères et les mères, les fils et les filles, les enfants à la mamelle, et les animaux même sans haïr ? Tu hais, tu calomnies ; on te déteste dans ton pays, et tu détestes ; mais si tu avais trempé dans le sang tes mains qui dégouttent de fiel et d’encre, oserais-tu dire que tu aurais assassiné sans colère et sans haine ? Relis tous les passages où il est ordonné aux Juifs de ne pas laisser une âme en vie, et dis, si tu en as le front, qu’il ne leur était pas permis de haïr. Est-il possible qu’un cœur tel que le tien se trompe si grossièrement sur la haine ? C’est un usurier qui ne sait pas compter.
Quoi ! ordonner qu’on ne mange pas dans le plat dont un étranger s’est servi, de ne pas toucher ses habits, ce n’est pas ordonner l’aversion pour les étrangers ?
On me dira qu’il y a beaucoup d’honnêtes gens qui, sans te montrer de colère, ne veulent pas dîner avec toi, par la seule raison que ton pédantisme les ennuie et que ton insolence les révolte ; mais sois sûr qu’ils te haïssent, toi et tous les pédants barbares qui te ressemblent.
Les Juifs, dis-tu, ne haïssent que l’idolâtrie et non les idolâtres : plaisante distinction !
Un jour un tigre rassasié de carnage rencontra des brebis qui prirent la fuite ; il courut après elles, et leur dit : Mes enfants, vous vous imaginez que je ne vous aime point, vous avez tort ; c’est votre bêlement que je hais ; mais j’ai du goût pour vos personnes, et je vous chéris au point que je ne veux faire qu’une chaire avec vous ; je m’unis à vous par la chair et le sang. Je bois l’un, je mange l’autre pour vous incorporer à moi : jugez si l’on peut aimer intimement.
Bonsoir, Warburton.
1 – Langage des halles. (G.A.)