THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 3

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LES SCYTHES.

 

 

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PERSONNAGES.

 

 

 

 

 

  • HERMODAN                               Père d’Indatire, habitant d’un canton scythe.

  • INDATIRE                                         

  • ATHAMARE                                Prince d’Echatane.

  • SOZAME                                    Ancien général persan, retiré en Scythie.

  • OBÉIDE                                      Fille de Sozame.

  • SULMA                                       Compagnon d’Obéide.

  • HIRCAN                                      Officier d’Athamare.

  • SCYTHES et PERSANS

     

     

     

     

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ACTE PREMIER.

 

 

 

        Le théâtre représente un bocage et un berceau, avec un banc de gazon ; on voit dans le lointain des campagnes et des cabanes.

 

 

 

 

 

SCÈNE I.

 

HERMODAN, INDATIRE, ET DEUX SCYTHES,

 

couverts de peaux de tigres ou de lions.

 

 

 

 

 

 

 

 

HERMODAN.

 

Indatire, mon fils, quelle est donc cette audace ?

Qui sont ces étrangers ? Quelle insolente race

A franchi les sommets des rochers d’Immaüs ?

Apportent-ils la guerre aux rives de l’Oxus ?

Que viennent-ils chercher dans nos forêts tranquilles ?

 

INDATIRE.

 

Mes braves compagnons, sortis de leurs asiles,

Avec rapidité se sont rejoints à moi,

Ainsi qu’on les voit tous s’attrouper sans effroi

Contre les fiers assauts des tigres d’Hyrcanie.

Notre troupe assemblée est faible, mais unie,

Instruite à défier le péril et la mort.

Elle marche aux Persans, elle avance ; et d’abord

Sur un coursier superbe à nos yeux se présente

Un jeune homme entouré d’une pompe éclatante ;

L’or et les diamants brillent sur ses habits ;

Son turban disparaît sous les feux des rubis :

Il voudrait, nous dit-il, parler à notre maître.

Nous le saluons tous, en lui faisant connaître

Que ce titre de maître, aux Persans (1), si sacré,

Dans l’antique Scythie est un titre ignoré :

« Nous sommes tous égaux sur ces rives si chères,

Sans rois et sans sujets, tous libres et tous frères.

Que veux-tu dans ces lieux ? viens-tu pour nous traiter

En hommes, en amis, ou pour nous insulter ? »

Alors il me répond, d’une voix douce et fière,

Que des Etats persans visitant la frontière,

Il veut voir à loisir ce peuple si vanté

Pour ses antiques mœurs et pour sa liberté.

Nous avons avec joie entendu ce langage :

Mais j’observais pourtant je ne sais quel nuage,

L’empreinte des ennuis ou d’un dessein profond,

Et les sombres chagrins répandus sur son front.

Nous offrons cependant à sa troupe brillante

Des hôtes de nos bois la dépouille sanglante,

Nos utiles toisons, tout ce qu’en nos climats

La nature indulgente a semé sous nos pas ;

Mais surtout des carquois, des flèches, des armures,

Ornements des guerriers, et nos seules parures.

Ils présentent alors à nos regards surpris

Des chefs-d’œuvre d’orgueil sans mesure et sans prix,

Instruments de mollesse, où sous l’or et la soie

Des inutiles arts tout l’effort se déploie.

Nous avons rejeté ces présents corrupteurs,

Trop étrangers pour nous, trop peu faits pour nos mœurs,

Superbes ennemis de la simple nature :

L’appareil des grandeurs au pauvre est une injure ;

Et recevant enfin des dons moins dangereux,

Dans notre pauvreté nous sommes plus grands qu’eux.

Nous leur donnons le droit de poursuivre en nos plaines,

Sur nos lacs, en nos bois, aux bords de nos fontaines,

Les habitants des airs, de la terre et des eaux.

Contents de notre accueil, ils nous traitent d’égaux ;

Enfin nous nous jurons une amitié sincère.

Ce jour, n’en doutez point, nous est un jour prospère.

Ils pourront voir nos jeux et nos solennités,

Les charmes d’Obéide, et mes félicités.

 

HERMODAN.

 

Ainsi donc, mon cher fils, jusqu’en notre contrée

La Perse est triomphante ; Obéide adorée

Par un charme invincible a subjugué tes sens !

Cet objet, tu le sais, naquit chez les Persans.

 

INDATIRE.

 

On le dit ; mais qu’importe où le ciel la fit naître ?

 

HERMODAN.

 

Son père jusqu’ici ne s’est point fait connaître ;

Depuis quatre ans entiers qu’il goûte dans ces lieux

La liberté, la paix, que nous donnent les dieux,

Malgré notre amitié, j’ignore quel orage

Transplanta sa famille en ce désert sauvage.

Mais dans ses entretiens j’ai souvent démêlé

Que d’une cour ingrate il était exilé.

Il est persécuté : la vertu malheureuse

Devient plus respectable, et m’est plus précieuse ;

Je vois avec plaisir que du sein des honneurs

Il s’est soumis sans peine à nos lois, à nos mœurs,

Quoiqu’il soit dans un âge où l’âme la plus pure

Peut rarement changer le pli de la nature.

 

INDATIRE.

 

Son adorable fille est encore au-dessus :

De son sexe et du nôtre elle unit les vertus.

Courageuse et modeste, elle est belle et l’ignore ;

Sans doute elle est d’un rang que chez elle on honore ;

Son âme est noble au moins, car elle est sans orgueil,

Simple dans ses discours, affable en son accueil ;

Sans avilissement à tout elle s’abaisse ;

D’un père infortuné soulage la vieillesse,

Le console, le sert, et craint d’apercevoir

Qu’elle va quelquefois par delà son devoir.

On la voit supporter la fatigue obstinée

Pour laquelle on sent trop qu’elle n’était point née ;

Elle brille surtout dans nos champêtres jeux,

Nobles amusements d’un peuple belliqueux ;

Elle est de nos beautés l’amour et le modèle ;

Le ciel la récompense en la rendant plus belle.

 

 

HERMODAN.

 

Oui, je la crois, mon fils, digne de tant d’amour :

Mais d’où vient que son père, admis dans ce séjour,

Plus formé qu’elle encore aux usages des Scythes,

Adorateur des lois que nos mœurs ont prescrites,

Notre ami, notre frère en nos cœurs adopté,

Jamais de son destin n’a rien manifesté ?

Sur son rang, sur les siens, pourquoi se taire encore ?

Rougit-on de parler de ce qui nous honore ?

Et puis-je abandonner ton cœur trop prévenu

Au sang d’un étranger qui craint d’être connu ?

 

INDATIRE.

 

Quel qu’il soit, il est libre, il est juste, intrépide ;

Il m’aime, il est enfin le père d’Obéide.

 

HERMODAN.

 

Que je lui parle au moins.

 

 

 

 

1 – Répétons que les Persans figurent les Français, et que la Scythie est la Suisse. Voltaire disait même qu’Indatire était né dans le canton de Zug. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

HERMODAN, INDATIRE, SOZAME.

 

 

 

 

 

INDATIRE, allant à Sozame.

 

O vieillard généreux !

O cher concitoyen de nos pâtres heureux !

Les Persans, en ce jour venus dans la Scythie,

Seront donc les témoins du saint nœud qui nous lie !

Je tiendrai de tes mains un don plus précieux

Que le trône où Cyrus se crut égal aux dieux.

J’en atteste les miens et le jour qui m’éclaire,

Mon cœur se donne à toi comme il est à mon père ;

Je te serre comme lui. Quoi ! tu verses des pleurs !

 

SOZAME.

 

J’en verse de tendresse ; et si dans mes malheurs

Cette heureuse alliance, où mon bonheur se fonde,

Guérit d’un cœur flétri la blessure profonde,

La cicatrice en reste, et les biens les plus chers

Rappellent quelquefois les maux qu’on a soufferts.

 

INDATIRE.

 

J’ignore tes chagrins : ta vertu m’est connue :

Qui peut donc t’affliger ? ma candeur ingénue

Mérite que ton cœur au mien daigne s’ouvrir.

 

HERMODAN.

 

A la tendre amitié tu peux tout découvrir ;

Tu le dois.

 

SOZAME.

 

O mon fils ! ô mon cher Indatire !

Ma fille est, je le sais, soumise à mon empire ;

Elle est l’unique bien que les dieux m’ont laissé.

J’ai voulu cet hymen, je l’ai déjà pressé ;

Je ne la gêne point sous la loi paternelle ;

Son choix ou son refus, tout doit dépendre d’elle.

Que ton père aujourd’hui, pour former ce lien,

Traite son digne sang comme je fais le mien ;

Et que la liberté de ta sage contrée

Préside à l’union que j’ai tant désirée.

Avec ce digne ami laisse-moi m’expliquer :

Va, ma bouche jamais ne pourra révoquer

L’arrêt qu’en ta faveur aura porté ma fille.

Va, cher et noble espoir de ma triste famille,

Mon fils, obtiens ses vœux, je te réponds des miens.

 

INDATIRE.

 

J’embrasse tes genoux, et je revole aux siens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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