CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 40

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 40

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à M. Colini.

 

Ferney, 7 Juillet 1767.

 

 

          Il est vrai, mon cher ami, que j’ai eu la faiblesse de jouer un rôle de vieillard dans la tragédie des Scythes ; mais je l’ai tellement joué d’après nature, que je n’ai pu l’achever ; j’ai été obligé d’en sauter près de la moitié, et encore ai-je été malade de l’effort. Vous savez que j’ai soixante-quatorze ans, et que ma constitution est faible. Il y a aujourd’hui quatre années révolues que je ne suis sorti de l’ermitage que j’ai bâti. Mon cœur est à Schwetzingen ; mais mon corps n’attend qu’un petit tombeau fort modeste que je me suis élevé auprès d’une petite église de ma façon. Hélas ! comment oserai-je me présenter devant leurs altesses électorales, ayant presque perdu la vue, et n’entendant que très difficilement ? Il faut savoir subir sa destinée. Nous avons à Ferney d’excellents acteurs ; leurs talents me consolent quelquefois de ma décrépitude ; le climat est dur, mais la situation est charmante ; j’achève doucement ma vie entre une nièce et mademoiselle Corneille que j’ai mariée, et quelques amis qui viennent partager ma retraite. Mais rien ne me dédommage de Schwetzingen. Je me ferai un plaisir bien vif de vous voir à Manheim, dans le sein de votre famille. J’embrasse de loin votre femme et vos enfants. Je m’intéresserai à votre bonheur jusqu’au dernier moment de ma vie.

 

          Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de leurs altesses. Plaignez-moi, et que votre amitié soit ma consolation.

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

8 Juillet 1767 (1).

 

 

          J’aurai peut-être demain jeudi de vos nouvelles, mon cher confrère, et je saurai à quoi m’en tenir avec les frères Périsse. En attendant, voici un mémoire que je vous prie de lire. Vous sentez assez que je n’ai pu me dispenser de le publier. Il faut bien à la fin confondre un pervers. Voilà le secret des lettres anonymes découvert.

 

          Je vous prie d’éclairer de vos lumières un solitaire qui ne voit les choses que de loin, qui doit toujours redouter le public, mais qui a été forcé de parler. Dites-moi ce que vous pensez, et soyez bien persuadé de tout ce que je sens pour vous.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Sartines.

 

Ferney, pays de Gex, par Genève, 8 Juillet 1767.

 

 

          Monseigneur, la vérité et moi, nous implorons votre protection contre la calomnie et contre les lettres anonymes. Vous daignerez lire, avec les yeux d’un sage et d’un ministre, cette requête en forme de mémoire (1). Il s’agit des plus horribles noirceurs imputées à toute la famille royale. Il ne m’appartient que de vous supplier d’imposer silence à La Beaumelle, qui est actuellement à Mazères, au pays de Foix, et de vous renouveler le profond respect et la reconnaissance avec lesquels je serai toute ma vie, monseigneur, votre, etc.

 

 

1 – Lisez seulement depuis la page 10 afin de ne pas perdre un temps précieux. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Ferney, par Genève, 8 Juillet 1767 (1).

 

 

          Madame, la vieillesse, la maladie et la retraite me laissent bien rarement la consolation d’écrire à votre altesse sérénissime. Les embarras causés par les troubles de Genève, des troupes de France envoyées dans notre petit pays, la longue interruption de toute communication, la disette qui est attachée à ces petites révolutions et toutes les peines journalières qui en résultent, voilà bien de tristes raisons madame, qui excusent un si long silence.

 

          A toutes ces peines s’est jointe une nouvelle horreur de La Beaumelle. Votre altesse sérénissime peut se ressouvenir qu’après avoir insulté votre auguste nom dans un mauvais livre, intitulé Mes pensées, il osa paraître dans Gotha, et qu’il en sortit précipitamment avec une fille qui avait volé sa maîtresse. Il a eu en dernier lieu la hardiesse d’imputer cette dernière action à un autre Français, qui s’est adressé à moi pour se plaindre de cette calomnie et pour demander mon témoignage. J’ai été obligé de le donner, attendu que j’ai été témoin de la vérité, et que tout Gotha avait vu La Beaumelle partir avec cette malheureuse, lorsque je vins vous faire ma cour. Il n’est pas juste en effet madame, que l’innocent pâtisse pour le coupable. Aucun autre Français que La Beaumelle ne serait capable de ce procédé. J’ai donc cru que je ne manquais pas à ce que je dois à votre altesse sérénissime en donnant un certificat authentique devant les juges du point d’honneur, qu’on appelle en France la connétablie. Ce certificat atteste que ce fut La Beaumelle, et non un autre, qui partit de Gotha avec une servante qui avait volé sa maîtresse. Cette affaire est très importante pour le gentilhomme faussement accusé. Mon devoir est de vous en rendre compte. Je me flatte que votre équité approuvera ma conduite.

 

          Je me mets aux pieds de monseigneur le duc et de toute votre auguste maison. Permettez-moi, madame, de ne point oublier la grande maîtresse des cœurs. Agréez le profond respect avec lequel je serai jusqu’au tombeau, madame, de votre altesse sérénissime, le très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

Le 10 Juillet 1767.

 

 

          Votre vieux philosophe est bien fâché de n’avoir pu voir apparaître encore dans son ermitage le philosophe militaire de Dirac. Comptez, monsieur, que je sens toute ma perte.

 

          Je ne sais si la nouvelle que vous m’avez apprise d’une émeute des calvinistes, auprès de Sainte-Foy, a eu des suites. On m’a mandé qu’on avait démoli un temple auprès de La Rochelle, et qu’il y avait eu du monde tué ; mais je me défie de tous ces bruits, et je me flatte encore qu’il n’y a pas eu de sang répandu ; il  ne faut croire le mal que quand on ne peut plus faire autrement. Notre petit pays est plus tranquille, malgré la prétendue guerre de Genève. Nous sommes entourés des troupes les plus honnêtes et les plus paisibles ; il n’y a rien eu de tragique que sur le théâtre de Ferney, où nous leur avons donné les Scythes et Sémiramis ; de grands soupers ont été tous nos exploits militaires.

 

          Le ministère a daigné jeter les yeux sur notre pays de Gex. On y fait de très beaux chemins ; on m’a même pris quatre-vingts arpents de terre pour ces nouvelles routes ; mais je sais sacrifier mon intérêt particulier au bien public.

 

          On a des copies très imparfaites de la petite plaisanterie de la Guerre de Genève : on a mis Tissot (1), au lieu d’un médecin nommé Bonnet, qui aimait un peu à boire ; le mal est médiocre. Aimez toujours un peu le vieux solitaire. J’apprends, dans ce moment, qu’il y a beaucoup de monde décrété à Bordeaux, que le curé n’est pas mort, et qu’on est fort déchaîné contre les calvinistes.

 

 

1 - Dans le chant III. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

10 Juillet 1767.

 

 

          Mon cher confrère en académie, et mon frère en philosophie, mille grâces vous soient rendues de toutes les peines que vous daignez prendre (1) ! Je n’aime pas les h aspirés, cela fait mal à la poitrine ; je suis pour l’euphonie. On disait autrefois je hésite, et à présent on dit j’hésite ; on est fou d’Henri IV, et non plus de Henri IV. On achète du linge d’Hollande, et non plus de Hollande. Ce qu’on n’adoucira jamais, c’est la canaille de la littérature. Vous en voyez une belle preuve dans ce maraud de La Beaumelle, qui m’a adressé la plupart de ses lettres par Lyon, où il faut qu’il ait quelque correspondant. La dernière était datée de Beaujeu, auprès de Lyon. Je crois que ni les ministres, ni M. le chancelier, ni la maison de Noailles, ni même la maison royale, ne seront contents de ce La Beaumelle. En vérité, ceci est plutôt un procès criminel qu’une querelle littéraire. Ce n’est pas le cas de garder le silence. On doit mépriser les critiques, mais il faut confondre les calomniateurs.

 

          On doit encore plus vous aimer.

 

          Voici une petite brochure (2) en réponse à une grosse brochure. S’il y a quelque chose de plaisant, amusez-vous-en ; passez ce qui vous ennuiera. Faites-moi votre bibliothécaire, je vous enverrai tout ce que je pourrai faire venir des pays étrangers. Bientôt nous ne pourrons plus avoir de France que des almanachs, ou des fréronades, ou du Journal chrétien. Si je suis votre bibliothécaire, soyez, je vous prie mon Aristarque. Je recommande la Scythie à vos bontés.

 

 

1 – Pour l’édition lyonnaise des Scythes. (G.A.)

2 – La Défense de mon oncle. (G.A.)

 

 

 

à M. Damilaville.

 

11 Juillet 1767.

 

 

          Il est trop certain, mon cher ami, que les protestants de Guyenne sont accusés d’avoir voulu assassiner plusieurs curés (1), et qu’il y a près de deux cents personnes en prison à Bordeaux pour cette fatale aventure, qui a retardé l’arrivée de M. le maréchal de Richelieu à Paris. C’est dans ces circonstances odieuses que l’infâme La Beaumelle m’a fait écrire des lettres anonymes. J’ai été forcé d’envoyer aux ministres le mémoire ci-joint.

 

          C’est du moins une consolation pour moi d’avoir à défendre la mémoire de Louis XIV et l’honneur de la famille royale, en prenant la juste défense de moi-même contre un scélérat audacieux, aussi ignorant qu’insensé. J’ai toujours été persuadé qu’il faut mépriser les critiques, mais que c’est un devoir de réfuter la calomnie. Au reste, j’ai mauvaise opinion de l’affaire des Sirven. Je doute toujours qu’on fasse un passe-droit au parlement de Toulouse, en faveur des protestants, tandis qu’ils se rendent si coupables, ou du moins si suspects. Tout cela est fort triste : les philosophes ont besoin de constance.

 

          Adieu, mon cher ami ; je n’ai pas un moment à moi, je fais la guerre en mourant. Aimez-moi toujours, et fortifiez-moi contre les méchants.

 

 

1 – A Sainte-Foy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

13 Juillet 1767 (1).

 

 

          Je trouve, mon cher confrère, vos critiques (2) très justes.

 

Faites-vous un ami propre à vous censurer.

 

          Je vous remercie autant que je vous aime. Que dites-vous de La Beaumelle ? Est-ce ainsi, bon Dieu, que sont faits les gens de lettres ! Voilà mes ennemis, depuis l’abbé Desfontaines.

 

          Vous y consentez tous me paraît nécessaire, et a été très bien reçu, ainsi que tout le Ve acte.

 

          Continuez-moi vos bontés.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Sur les Scythes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Wargemont.

 

A Ferney, 13 Juillet (1).

 

 

          Je suis pénétré, monsieur, des attentions et des bontés dont vous m’honorez. Il est bien rare qu’on se souvienne à Paris des solitaires qu’on a vus en passant dans des retraites ignorées. A peine ma vieillesse et mes maladies m’ont-elles permis de vous faire ma cour, lorsque vous êtes venu dans nos cabanes, et cependant vous m’avez comblé à Paris de vos bons offices, comme si je les avais mérités. Vous avez fait bien plus ; je vous dois la protection de madame de Beauharnais (2), dont l’esprit et la beauté sont connus même dans notre pays sauvage.

 

          Si je puis trouver à Genève ou à Bâle quelques nouveautés dignes de votre curiosité, je ne manquerai pas de vous les envoyer à l’adresse que vous avez bien voulu me donner. Je vous supplie, monsieur, d’agréer la très respectueuse reconnaissance de votre très humble, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Fanny de Beauharnais. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

15 Juillet 1767.

 

 

          Je reçois votre lettre angélique du 10 juillet, mon tendre et respectable ami. Vous aurez bientôt ces malheureux Scythes ; mais je crois qu’il faut mettre un intervalle entre les sauvages de l’orient et les sauvages de l’occident. Je persiste toujours à penser qu’il faut laisser le public dégorger les Illinois, je pense encore qu’une ou deux représentations suffiront avant Fontainebleau. Faisons-nous un peu désirer, et ne nous prodiguons pas.

 

          Je suis sans doute plus affligé que le petit Lavaysse ; mais comment voulez-vous que je fasse ? J’ai affaire à un d’Eon et à un Vergy (1), et je ne suis pas ambassadeur de France. Je suis persécuté, depuis longtemps, par mes chers rivaux les gens de lettres ; c’est un tissu de calomnies si long et si odieux, qu’il faut bien enfin y mettre ordre. Il y a plus de sûreté à s’attaquer à moi qu’aux princes. Si j’étais prince, je ne m’en soucierais guère ; mais je suis un pauvre homme de lettres, sans autre appui que celui de la vérité  il faut bien que je la fasse connaître, ou que je meure calomnié. Il ne s’agit pas ici de la Défense de mon oncle, qui est une pure plaisanterie ; il s’agit des plus horribles impostures dont jamais on ait été noirci.

 

          Je serai assez hardi pour écrire à M. Daguesseau, puisque vous m’encouragez, mon cher ange ; et je tâcherai de ne lui écrire que des choses qui pourront lui plaire et le toucher.

 

          La Harpe (Dieu merci) ne fait point deux tragédies, mais il a abandonné un sujet presque impraticable, pour un autre où il est plus à son aise. En un mot, mon atelier aura l’honneur de vous servir.

 

          Je vous avoue que je voudrais bien qu’on jouât Olympie une ou deux fois avant Fontainebleau, mais qu’on la jouât comme je l’ai faite, car il est assez dur de se voir mutiler. Il est vrai que je ne le vois point, mais je l’entends dire et je reçois la blessure par les oreilles : vous savez que les oreilles d’un poète sont délicates. Toute notre petite troupe vous présente ses hommages, ainsi qu’à madame d’Argental.

 

          Je crois M. de Thibouville à la campagne. S’il vient à Paris, je vous supplie de ne me pas oublier auprès de lui. Recevez toujours mon culte de dulie.

 

          Je viens d’acheter un Dictionnaire historique portatif (2), par une société de gens de lettres, en quatre gros volumes in-8°, sous le titre d’Amsterdam, qu’on dit imprimé à Paris. Je tombe sur l’article TENCIN ; madame votre tante y est indignement outragée. On y dit que La Frenaie, conseiller au grand-conseil, fut tué chez elle (3). Quels historiens ! quels Tite-Live ! Dites-moi, après cela, si je dois souffrir un La Beaumelle. Vous devriez bien demander à Marin où s’est faite cette infâme édition, et qui en sont les auteurs.

 

 

1 – Voyez la lettre à d’Argental du 10 Février 1765. (G.A.)

2 – Par de Barral et Guibaud. (G.A.)

3 – Le fait est que La Fersnaye se tua chez elle. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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