THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 18

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L’ÉCOSSAISE.

 

 

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SCÈNE II.

 

 

LORD MURRAY, ET SES GENS, dans l’enfoncement ;

LINDANE, ET LES PRÉCÉDENTS, sur le devant.

 

 

 

 

 

 

 

 

LORD MURRAY, à ses gens.

 

          Restez-ici, vous : vous, courez à la chancellerie, et rapportez-moi le parchemin qu’on expédie, dès qu’il sera scellé. Vous, qu’on aille préparer tout dans la nouvelle maison que je viens de louer. (Il tire un papier de sa poche et le lit.) Quel bonheur d’assurer celui de Lindane !

 

LINDANE, à Polly.

 

          Hélas ! en le voyant, je me sens déchirer le cœur.

 

FREEPORT.

 

          Ce milord-là vient toujours mal à propos : il est si beau et si bien mis qu’il me déplaît souverainement ; mais, après tout, que cela me fait-il ? j’ai quelque affection… mais je n’aime point, moi. Adieu, mademoiselle.

 

LINDANE.

 

          Je ne partirai point sans vous témoigner encore ma reconnaissance et mes regrets.

 

FREEPORT.

 

          Non, non ; point de ces cérémonies-là, vous m’attendririez peut-être : je vous dis que je n’aime point… je vous verrai pourtant encore une fois ; je resterai dans la maison, je veux vous voir partir. Allons, Fabrice, aidez ce bon gentilhomme de là-haut : je me sens, vous dis-je, de la bonne volonté pour cette demoiselle.

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

 

LORD MURRAY, LINDANE, POLLY.

 

 

 

 

LORD MURRAY.

 

          Enfin donc je goûte en liberté le charme de votre vue. Dans quelle maison vous êtes ! elle ne vous convient pas : une plus digne de vous vous attend. Quoi ! belle Lindane, vous baissez les yeux, et vous pleurer ! Quel est cet homme qui vous parlait ? vous aurait-il causé quelque chagrin ! Il en porterait la peine sur l’heure.

 

LINDANE, en essuyant une larme.

 

          Hélas ! c’est un bon homme, un homme vertueux, qui a eu pitié de moi dans mon cruel malheur, qui ne m’a point abandonnée, qui n’a pas insulté à mes disgrâces, qui n’a point parlé ici longtemps à ma rivale en dédaignant de me voir ; qui, s’il m’avait aimée, n’aurait point passé trois jours sans m’écrire.

 

LORD MURRAY.

 

          Ah ! croyez que j’aimerais mieux mourir que de mériter le moindre de vos reproches : je n’ai été absent que pour vous, je n’ai songé qu’à vous, je vous ai servie malgré vous ; si, en revenant ici, j’ai trouvé cette femme vindicative et cruelle qui voulait vous perdre, je ne me suis échappé un moment que pour prévoir ses desseins funestes. Grand Dieu ! moi, ne vous avoir pas écrit !

 

LINDANE.

 

          Non.

 

LORD MURRAY.

 

          Elle a, je le vois bien, intercepté mes lettres : sa méchanceté augmente encore, s’il se peut, ma tendresse : qu’elle rappelle la vôtre. Ah ! cruelle ! pourquoi m’avez-vous caché votre nom illustre, et l’état malheureux où vous êtes, si peu fait pour ce grand nom ?

 

LINDANE.

 

          Qui vous l’a dit ?

 

LORD MURRAY, montrant Polly.

 

          Elle-même, votre confidente.

 

LINDANE.

 

          Quoi ! tu m’as trahie ?

 

POLLY.

 

          Vous vous trahissiez vous-même, je vous ai servie.

 

LINDANE.

 

          Eh bien ! vous me connaissez : vous savez quelle haine a toujours divisé nos deux maisons ; votre père a fait condamner le mien à la mort ; il m’a réduite à cet état que j’ai voulu vous cacher. Et vous, son fils ! vous ! vous osez m’aimer !

 

LORD MURRAY.

 

          Je vous adore, et je le dois. Mon cœur, ma fortune, mon sang est à vous ; confondons ensemble deux noms ennemis : j’apporte à vos pieds le contrat de notre mariage ; daignez l’honorer de ce nom qui m’est si cher. Puissent les remords et l’amour du fils réparer les fautes du père !

 

LINDANE.

 

          Hélas ! et il faut que je parte, et que je vous quitte pour jamais.

 

LORD MURRAY.

 

          Que vous partiez ! que vous me quittiez ! vous me verrez plutôt expirer à vos pieds. Hélas ! daignez-vous m’aimer ?

 

POLLY.

 

          Vous ne partirez point, mademoiselle ; j’y mettrai bon ordre : vous prenez toujours des résolutions désespérées. Milord, secondez-moi bien.

 

LORD MURRAY.

 

          Eh ! qui a pu vous inspirer le dessein de me fuir, de rendre tous mes soins inutiles ?

 

LINDANE.

 

          Mon père.

 

LORD MURRAY.

 

          Votre père ? Eh ! où est-il ; que veut-il ? que ne me parlez-vous ?

 

LINDANE.

 

          Il est ici : il m’emmène ; c’en est fait.

 

LORD MURRAY.

 

          Non, je jure par vous qu’il ne vous enlèvera pas. Il est ici ? conduisez-moi à ses pieds.

 

LINDANE.

 

          Ah ! milord, gardez qu’il ne vous voie ; il n’est venu ici que pour finir ses malheurs en vous arrachant la vie, et je ne fuyais avec lui que pour détourner cette horrible résolution.

 

LORD MURRAY.

 

          La vôtre est plus cruelle : croyez que je ne le crains pas, et que je le ferai rentrer en lui-même. (En se retournant.) Quoi ! on n’est pas encore revenu ? Ciel ! que le mal se fait rapidement, et le bien avec lenteur !

 

LINDANE.

 

          Le voici qui vient me chercher : si vous m’aimez, ne vous montrez pas à lui, privez-vous de ma vue, épargnez-lui l’horreur de la vôtre, éloignez-vous du moins pour quelque temps.

 

LORD MURRAY.

 

          Ah ! que c’est avec regret ! mais vous m’y forcez : je vais rentrer ; je vais prendre des armes qui pourront faire tomber les siennes de ses mains.

 

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

 

MONROSE, LINDANE.

 

 

 

 

 

 

 

 

MONROSE.

 

          Allons, ma chère fille, seul soutien, unique consolation de ma déplorable vie ! partons.

 

LINDANE.

 

          Malheureux père d’une infortunée ! je ne vous abandonnerai jamais : cependant daignez souffrir que je reste encore.

 

MONROSE.

 

          Quoi ! après m’avoir si fort pressé vous-même de partir : après m’avoir offert de me suivre dans les déserts où nous allons cacher nos disgrâces ! avez-vous changé de dessein ? avez-vous retrouvé et perdu en si peu de temps le sentiment de la nature ?

 

LINDANE.

 

          Je n’ai point changé, j’en suis incapable… je vous suivrai… mais, encore une fois, attendez quelque temps ; accordez cette grâce à celle qui vous doit des jours si remplis d’orages ; ne me refusez pas des instants précieux.

 

MONROSE.

 

          Ils sont précieux en effet, et vous les perdez : songez-vous que nous sommes à chaque moment en danger d’être découverts, que vous avez été arrêtée, qu'on me cherche, que vous pouvez voir demain votre père périr par le dernier supplice ?

 

LINDANE.

 

          Ces mots sont un coup de foudre pour moi : je n’y résiste plus ; j’ai honte d’avoir tardé… Cependant j’avais quelque espoir… N’importe, vous êtes mon père, je vous suis. Ah, malheureuse !

 

 

 

 

 

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