THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 17

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L’ÉCOSSAISE.

 

 

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SCÈNE VII.

 

 

LINDANE, POLLY.

 

 

 

 

 

LINDANE.

 

          C’en est fait, ma chère Polly, je ne reverrai plus milord Murray : je suis morte pour lui.

 

POLLY.

 

          Vous rêvez, mademoiselle ; vous le reverrez dans quelques minutes. Il était ici tout à l’heure.

 

LINDANE.

 

          Il était ici, et il ne m’a point vue : c’est là le comble. O mon malheureux père ! que ne suis-je partie plus tôt !

 

POLLY.

 

          S’il n’avait pas été interrompu par cette détestable milady Alton…

 

LINDANE.

 

          Quoi ! c’est ici même qu’il l’a vue pour me braver, après avoir été trois jours sans me voir, sans m’écrire ! peut-on plus indignement se voir outrager ? Va, sois sûre que je m’arracherais la vie dans ce moment, si ma vie n’était pas nécessaire à mon père.

 

POLLY.

 

          Mais, mademoiselle, écoutez-moi donc ; je vous jure que milord…

 

LINDANE.

 

          Lui perfide ! c’est ainsi que sont fait les hommes ! Père infortuné, je ne penserai désormais qu’à vous.

 

POLLY.

 

          Je vous jure que vous avez tort, que milord n’est point perfide, que c’est le plus aimable homme du monde, qu’il vous aime de tout son cœur qu’il m’en a donné des marques.

 

LINDANE.

 

          La nature doit l’emporter sur l’amour ; je ne sais où je vais, je ne sais ce que je deviendrai ; mais sans doute je ne serai jamais si malheureuse que je le suis.

 

POLLY.

 

          Vous n’écoutez rien : reprenez vos esprits, ma chère maîtresse ; on vous aime.

 

LINDANE.

 

          Ah ! Polly, es-tu capable de me suivre ?

 

POLLY.

 

          Je vous suivrai jusqu’au bout du monde ; mais on vous aime, vous dis-je.

 

LINDANE.

 

          Laisse-moi, ne me parle point de milord. Hélas ! quand il m’aimerait, il faudrait partir encore. Ce gentilhomme que tu as vu avec moi…

 

POLLY.

 

          Eh bien ?

 

LINDANE.

 

          Viens, tu apprendras tout : les larmes, les soupirs me suffoquent. Allons tout préparer pour notre départ.

 

 

 

 

 

 

ACTE CINQUIÈME.

 

SCÈNE I.

 

 

LINDANE, FREEPORT, FABRICE.

 

 

 

 

 

 

 

FABRICE.

 

          Cela perce le cœur, mademoiselle : Polly fait votre paquet, vous nous quittez.

 

LINDANE.

 

          Mon cher hôte, et vous, monsieur, à qui je dois tant, vous qui avez déployé un caractère si généreux, car on m’a dit ce que vous avez fait pour moi, vous ne me laisserez que la douleur de ne pouvoir reconnaître vos bienfaits ; mais je ne vous oublierai de ma vie.

 

FREEPORT.

 

          Qu’est-ce donc que tout cela ? qu’est-ce que c’est que ça ? Si vous êtes contente de nous, il ne faut point vous en aller : est-ce que vous craignez quelque chose ? Vous avez tort, une fille n’a rien à craindre.

 

FABRICE.

 

          Monsieur Freeport, ce vieux gentilhomme qui est de son pays fait aussi son paquet. Mademoiselle pleurait, et ce monsieur pleurait aussi, et ils partent ensemble. Je pleure aussi en vous parlant.

 

FREEPORT.

 

          Je n’ai pleuré de ma vie : fi ! que cela est sot de pleurer ! les yeux n’ont point été donnés à l’homme pour cette besogne. Je suis affligé, je ne le cache pas ; et quoiqu’elle soit fière, comme je le lui ai dit, elle est si honnête qu’on est fâché de la perdre. Je veux que vous m’écriviez, si vous vous en allez, mademoiselle : je vous ferai toujours du bien… Nous nous retrouverons peut-être un jour, que sait-on ? Ne manquez pas de m’écrire… n’y manquez pas.

 

LINDANE.

 

          Je vous le jure avec la plus vive reconnaissance ; et si jamais la fortune…

 

FREEPORT.

 

          Ah ! mon ami Fabrice, cette personne-là est très bien née. Je serais très aise de recevoir de vos lettres ; n’allez pas y mettre de l’esprit au moins.

 

FABRICE.

 

          Mademoiselle, pardonnez ; mais je songe que vous ne pouvez partir, que vous êtes ici sous la caution de M. Freeport, et qu’il perd cinq cents guinée si vous nous quittez.

 

LINDANE.

 

          O ciel ! autre infortune, autre humiliation : quoi ! il faudrait que je fusse enchaînée ici, et que milord… et mon père…

 

FREEPORT, à Fabrice.

 

          Oh ! qu’à cela ne tienne : quoiqu’elle ait je ne sais quoi qui me touche, qu’elle parte si elle en a envie. Je me soucie de cinq cents guinées comme de rien. (Bas à Fabrice.) Fourre-lui encore les cinq cents autres guinées dans sa valise. Allez, mademoiselle, partez quand il vous plaira : écrivez-moi, revoyez-moi quand vous reviendrez… car j’ai conçu pour vous beaucoup d’estime et d’affection.

 

 

 

 

 

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