THÉÂTRE : L'ÉCOSSAISE - Partie 12
Photo de PAPAPOUSS
L’ÉCOSSAISE.
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SCÈNE II.
LADY ALTON, POLLY, LINDANE.
LADY ALTON, à Polly, qui passe de la chambre
de sa maîtresse dans une chambre du café.
Mademoiselle, allez dire tout à l’heure à votre maîtresse qu’il faut que je lui parle, qu’elle ne craigne rien, que je n’ai que des choses très agréables à lui dire, qu’il s’agit de son bonheur (avec emportement), et qu’il faut qu’elle vienne tout à l’heure, tout à l’heure, entendez-vous ? qu’elle ne craigne point, vous dis-je.
POLLY.
Oh, madame ! nous ne craignons rien ; mais votre physionomie me fait trembler.
LADY ALTON.
Nous verrons si je ne viens pas à bout de cette fille vertueuse, avec les propositions que je vais lui faire.
LINDANE, arrivant toute tremblante, soutenue par Polly.
Que voulez-vous, madame ? venez-vous insulter encore à ma douleur ?
LADY ALTON.
Non ; je viens vous rendre heureuse. Je sais que vous n’avez rien : je suis riche, je suis grande dame ; je vous offre un de mes châteaux sur les frontières d’Ecosse, avec les terres qui en dépendent ; allez-y vivre avec votre famille, si vous en avez ; mais il faut dans l’instant que vous abandonniez milord pour jamais, et qu’il ignore, toute sa vie, votre retraite.
LINDANE.
Hélas ! madame, c’est lui qui m’abandonne ; ne soyez point jalouse d’une infortunée : vous m’offrez en vain une retraite ; j’en trouverai sans vous une éternelle, dans laquelle je n’aurai pas au moins à rougir de vos bienfaits.
LADY ALTON.
Comme vous me répondez, téméraire !
LINDANE.
La témérité ne doit point être mon partage ; mais la fermeté doit l’être. Ma naissance vaut bien la vôtre ; mon cœur vaut peut-être mieux ; et, quant à ma fortune, elle ne dépendra jamais de personne, encore moins de ma rivale.
(Elle sort.)
LADY ALTON, seule.
Elle dépendra de moi. Je suis fâchée qu’elle me réduise à cette extrémité (1). Mais enfin, elle m’y a forcée. Infidèle amant ! passion funeste !
SCÈNE III.
FREEPORT, MONROSE, paraissent dans le café avec LA FEMME DE FABRICE ; LA SERVANTE, LES GARÇONS DU CAFÉ, qui mettent
tout en ordre ; FABRICE, LADY ALTON.
LADY ALTON, à Fabrice.
Monsieur Fabrice, vous me voyez ici souvent ; c’est votre faute.
FABRICE.
Au contraire, madame, nous souhaiterions…
LADY ALTON.
J’en suis fâchée plus que vous mais vous m’y reverrez encore, vous dis-je.
(Elle sort.)
FABRICE.
Tant pis. A qui en a-t-elle donc ? Quelle différence d’elle à cette Lindane, si belle et si patiente !
FREEPORT.
Oui. A propos, vous me faites songer ; elle est, comme vous dites, belle et honnête.
FABRICE.
Je suis fâché que ce brave gentilhomme ne l’ait pas vue ; il en aurait été touché.
MONROSE.
Ah ! j’ai d’autres affaires en tête… (A part.) Malheureux que je suis !
FREEPORT.
Je passe mon temps à la bourse ou à la Jamaïque : cependant la vue d’une jeune personne ne laisse pas de réjouir les yeux d’un galant homme. Vous me faites songer, vous dis-je, à cette petite créature : beau maintien, conduite sage, belle tête, démarche noble. Il faut que je la voie un de ces jours encore une fois… C’est dommage qu’elle soit si fière.
MONROSE, à Freeport.
Notre hôte m’a confié que vous en aviez agi avec elle d’une manière admirable.
FREEPORT.
Moi ! non… n’en auriez-vous pas fait autant à ma place ?
MONROSE.
Je le crois, si j’étais riche, et si elle le méritait.
FREEPORT.
Eh bien ! que trouvez-vous donc là d’admirable ? (Il prend les gazettes.) Ah ! ah ! voyons ce que disent les nouveaux papiers d’aujourd’hui. Hom ! hom ! le lord Falbrige mort !
MONROSE, s’avançant.
Falbrige mort ! le seul ami qui me restait sur la terre ! le seul dont j’attendais quelque appui ! Fortune ! tu ne cesseras jamais de me persécuter !
FREEPORT.
Il était votre ami ? j’en suis fâché … « D’Édimbourg, le 14 avril… On cherche partout le lord Monrose, condamné depuis onze ans à perdre la tête. »
MONROSE.
Juste ciel ! qu’entends-je ! hem ! que dites-vous ? milord Monrose condamné à …
FREEPORT.
Oui, parbleu, le lord Monrose … Lisez vous-même ; je ne me trompe pas.
MONROSE, lit.
(Froidement.) Oui, cela est vrai… (A part.) Il faut sortir d’ici. Je ne crois pas que la terre et l’enfer conjurés ensemble aient jamais assemblé tant d’infortunes contre un seul homme. (A son valet Jacq, qui est dans un coin de la salle.) Hé ! va faire seller mes chevaux, et que je puisse partir, s’il est nécessaire, à l’entrée de la nuit… Comme les nouvelles courent ! comme le mal vole !
FREEPORT.
Il n’y a point de mal à cela ; qu’importe que le lord Monrose soit décapité ou non ? Tout s’imprime, tout s’écrit, rien ne demeure : on coupe une tête aujourd’hui, le gazetier le dit le lendemain, et le surlendemain on n’en parle plus. Si cette demoiselle Lindane n’était pas si fière, j’irais savoir comme elle se porte : elle est fort jolie et fort honnête.
SCÈNE IV.
LES PRÉCÉDENTS, UN MESSAGER D’ÉTAT.
LE MESSAGER.
Vous vous appelez Fabrice ?
FABRICE.
Oui, monsieur ; en quoi puis-je vous servir ?
LE MESSAGER.
Vous tenez un café et des appartements ?
FABRICE.
Oui.
LE MESSAGER.
Vous avez chez vous une jeune Ecossaise, nommée Lindane ?
FABRICE.
Oui, assurément, et c’est notre bonheur de l’avoir chez nous.
FREEPORT.
Oui, elle est jolie et honnête. Tout le monde m’y fait songer.
LE MESSAGER.
Je viens pour m’assurer d’elle de la part du gouvernement ; voilà mon ordre.
FABRICE.
Je n’ai pas une goutte de sang dans mes veines.
MONROSE, à part.
Une jeune Ecossaise qu’on arrête ! et le jour même que j’arrive ! Toute ma fureur renaît. O patrie ! ô famille ! hélas !
FREEPORT.
On n’a jamais arrêté les filles par ordre du gouvernement : fi ! que cela est vilain ! vous êtes un grand brutal, monsieur le messager d’Etat.
FABRICE.
Ouais, mais si c’était une aventurière, comme le disait notre ami Frélon ! Cela va perdre ma maison… me voilà ruiné. Cette dame de la cour avait ses raisons, je le vois bien… Non, non, elle est très honnête.
LE MESSAGER.
Point de raisonnement ; en prison, ou caution, c’est la règle.
FABRICE.
Je me fais caution, moi, ma maison, mon bien, ma personne.
LE MESSAGER.
Votre personne et rien, c’est la même chose ; votre maison ne vous appartient peut-être pas ; votre bien, où est-il ? Il faut de l’argent.
FABRICE.
Mon bon monsieur Freeport, donnerai-je les cinq cents guinées que je garde, et qu’elle a refusées aussi noblement que vous les avez offertes ?
FREEPORT.
Belle demande ! apparemment… Monsieur le messager, je dépose cinq cents guinées, mille, deux mille, s’il le faut ; voilà comme je suis fait. Je m’appelle Freeport. Je réponds de la vertu de la fille… autant que je peux… mais il ne faudrait pas qu’elle fût si fière.
LE MESSAGER.
Venez, monsieur, faire votre soumission.
FREEPORT.
Très volontiers, très volontiers.
FABRICE.
Tout le monde ne place pas ainsi son argent.
FREEPORT.
En l’employant à faire du bien, c’est le placer au plus haut intérêt.
(Freeport et le messager vont compter de
L’argent, et écrire au fond du café.)
1 – On lit encore ici dans la plupart des éditions : « J’ai honte de m’être servie de ce faquin de Frélon. » (G.A.)