DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : L comme LANGUE FRANÇAISE - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : L comme LANGUE FRANÇAISE - Partie 1

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L comme LANGUE FRANÇAISE.

 

 

 

(Partie 1)

 

 

 

 

 

          Il ne nous reste aucun monument de la langue des anciens Welches, qui faisaient, dit-on, une partie des peuples celtes, ou keltes, espèce de sauvages dont on ne connaît que le nom, et qu’on a voulu en vain illustrer par des fables. Tout ce que l’on sait est que les peuples que les Romains appelaient Galli, dont nous avons pris le nom de Gaulois, s’appelaient Welches ; c’est le nom qu’on donne encore aux Français dans la Basse-Allemagne, comme on appelait cette Allemagne Teutch.

 

          La province de Galles, dont les peuples sont une colonie de Gaulois, n’a d’autre nom que celui de Welch.

 

          Un reste de l’ancien patois s’est encore conservé chez quelques rustres dans cette province de Galles, dans la Basse-Bretagne, dans quelques villages de France.

 

          Quoique notre langue soit une corruption de la latine, mêlée de quelques expressions grecques, italiennes, espagnoles, cependant nous avons retenu plusieurs mots dont l’origine paraît être celtique. Voici un petit catalogue de ceux qui sont encore d’usage, et que le temps n’a presque point altérés.

 

 

A.

 

          Abattre, acheter, achever, affoler, aller, aleu, franc-aleu.

 

B.

 

          Bagage, bagarre, bague, bailler, balayer, ballot, ban, arrière-ban, banc, banal, barre, barreau, barrière, bataille, bateau, battre, bec, bègue, béguin, béquée, béqueter, berge, berne, bivouac, blêche, blé, blesser, bloc, blocaille, blond, bois, botte, bouche, boucher, bouchon, boucle, brigand, brin, brise-de-vent, broche, brouillé, broussailles, bru, mal rendu par belle-fille.

 

C.

 

          Cabas, caille, calme, calotte, chance, chat, claque, cliquetis, clou, coi, coiffe, coq, couard, couette, cracher, craquer, cric, croc, croquer.

 

D.

 

          Da (cheval), nom qui s’est conservé parmi les enfants, dada ; d’abord, dague, danse, devis, devise, deviser, digue, dogue, drap, drogue, drôle.

 

E.

 

          Échalas, effroi, embarras, épave, est, ainsi que ouest, nord et sud.

 

F.

 

          Fifre, flairer, flèche, fou, fracas, frapper, frasque, fripon, frire, froc.

 

G.

 

          Gabelle, gaillard, gain, galant, galle, garant, garre, garder, gauche, gobelet, gobet, gogue, gourde, gousse, gras, grelot, gris, gronder, gros, guerre, guetter.

 

H.

 

          Hagard, halle, halte, hanap, hanneton, haquenée, harasser, hardes, harnois, havre, hasard, heaume, heurter, hors, hucher, huer.

 

L.

 

          Ladre, laid, laquais, leude, homme de pied ; logis, lopin, lors, lorsque, lot, lourd.

 

M.

 

          Magasin, maille, maraud, marche, maréchal, marmot, marque, mâtin, mazette, mener, meurtre, morgue, mou, moufle, mouton.

 

N.

 

          Nargue, narguer, niais.

 

O.

 

          Osche ou hoche, petite entaillure que les boulangers font encore à de petites baguettes pour marquer le nombre des pains qu’ils fournissent, ancienne manière de tout compter chez les Welches ; c’est ce qu’on appelle encore taille. Oui, ouf.

 

P.

 

          Palefroi, pantois, parc, piaffe, piailler, picorer.

 

R.

 

          Race, racler, radoter, rançon, rat ratisser, regarder, renifler, requinquer, rêver, rincer, risque, rosse, ruer.

 

S.

 

          Saisir, saison, salaire, salle, savate, soin, sot ; ce nom ne convenait-il pas un peu à ceux qui l’ont dérivé de l’hébreu ? comme si les Welches avaient autrefois étudié à Jérusalem ; soupe.

 

T.

 

          Talus, tanné (couleur), tantôt, tape, tic, trace, trappe, trapu, traquer, qu’on n’a pas manqué de faire venir de l’hébreu, tant les Juifs et nous étions voisins autrefois ; tringle, troc, trognon, trompe, trop, trou, troupe, trousse, trouve.

 

V.

 

          Vacarme, valet, vassal.

 

 

 

          Voyez à l’article GREC les mots qui peuvent être dérivés originairement de la langue grecque.

 

          De tous les mots ci-dessus, et de tous ceux qu’on y peut joindre, il en est qui probablement ne sont pas de l’ancienne langue gauloise, mais de la teutone. Si on pouvait prouver l’origine de la moitié, c’est beaucoup.

,

          Mais quand nous aurons bien constaté leur généalogie, quel fruit en pourrons-nous tirer ? Il n’est pas question de savoir ce que notre langue fut, mais ce qu’elle est. Il importe peu de connaître quelques restes de ces ruines barbares, quelques mots d’un jargon qui ressemblait, dit l’empereur Julien, au hurlement des bêtes. Songeons à conserver dans sa pureté la belle langue qu’on parlait dans le grand siècle de Louis XIV.

 

          Ne commence-t-on pas à la corrompre ? N’est-ce pas corrompre une langue que de donner aux termes employés par les bons auteurs une signification nouvelle ? Qu’arriverait-il si vous changiez ainsi le sens de tous les mots ? On ne vous entendrait, ni vous, ni les bons écrivains du grand siècle.

 

          Il est sans doute très indifférent en soi qu’une syllabe signifie une chose ou une autre. J’avouerai même que si on assemblait une société d’hommes qui eussent l’esprit et l’oreille justes, et s’il s’agissait de réformer la langue, qui fut si barbare jusqu’à la naissance de l’Académie, on adoucirait la rudesse de plusieurs expressions, on donnerait de l’embonpoint à la sécheresse de quelques autres, et de l’harmonie à des sons rebutants. Oncle, ongle, radoub, perdre, borgne, plusieurs mots terminés durement, auraient pu être adoucis. Epieu, lieu, dieu, moyeu, feu, bleu, peuple, nuque, plaque, porche, auraient pu être plus harmonieux. Quelle différence du mot Theos au mot Dieu, de Populos à peuples, de locus à lieu. ?

 

          Quand nous commençâmes à parler la langue des Romains nos vainqueurs, nous la corrompîmes. D’Augustus nous fîmes aoust ; de pavo, paon ; de Cadomum, Caen ; de Junius, juin ; d’unctus, oint ; de purpura, pourpre ; de pretium, prix. C’est une propriété des Barbares d’abréger tous les mots. Ainsi les Allemands et les Anglais firent d’ecclesia, kirk, church ; de foras, furth ; de condemnare, damn. Tous les nombres romains devinrent des monosyllabes dans presque tous les patois de l’Europe ; et notre mot vingt, pour viginti, n’atteste-t-il pas encore la vieille rusticité de nos pères ? La plupart des lettres que nous avons retranchées, et que nous prononcions durement, sont nos anciens habits de sauvages : chaque peuple en a des magasins.

 

          Le plus insupportable reste de la barbarie welche et gauloise est dans nos terminaisons en oin ; coin, soin, oint, groin, foin, point, loin, marsouin, tintouin, pourpoint. Il faut qu’un langage ait d’ailleurs de grands charmes pour faire pardonner ces sons, qui tiennent moins de l’homme que de la plus dégoûtante espèce des animaux.

 

          Mais enfin, chaque langue a des mots désagréables que les hommes éloquents savent placer heureusement, et dont ils ornent la rusticité. C’est un très grand art ; c’est celui de nos bon auteurs. Il faut donc s’en tenir à l’usage qu’ils ont fait de la langue reçue.

 

          Il n’est rien de choquant dans la prononciation d’oin quand ces terminaisons sont accompagnées de syllabes sonores. Au contraire, il y a beaucoup d’harmonie dans ces deux phrases : « Les tendres soins que j’ai pris de votre enfance. Je suis loin d’être insensible à tant de vertus et de charmes. » Mais il faut se garder de dire, comme dans la tragédie de Nicomède (acte II, scène III) :

 

Non ; mais il m’a surtout laissé ferme en ce point,

D’estimer beaucoup Rome, et ne la craindre point.

 

          Le sens est beau ; il fallait l’exprimer en vers plus mélodieux : les deux rimes de point choque l’oreille. Personne n’est révolté de ces vers dans l’Andromaque :

 

Nous le verrions encor nous partager ses soins ;

Il m’aimerait peut-être ; il le feindrait du moins.

Adieu tu peux partir ; je demeure en Epire.

Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,

A toute ma famille, etc.

 

Andromaque, acte V, sc. III.

 

 

          Voyez comme les derniers vers soutiennent les premiers, comme ils répandent sur eux la beauté de leur harmonie.

 

          On peut reprocher à la langue française un trop grand nombre de mots simples auxquels manque le composé, et de termes composés qui n’ontpoint le simple primitif. Nous avons des architraves, et point de traves ; un homme est implacable, et n’est point placable ; il y a des gens inaimables, et cependant  inaimable ne s’est pas encore dit.

 

          C’est par la même bizarrerie que le mot de garçon est très usité, et que celui de garce est devenu une injure grossière. Vénus est un mot charmant, vénérien donne une idée affreuse.

 

          Le latin eut quelques singularités pareilles. Les Latins disaient possibile, et ne disaient pas impossible. Ils avaient le verbe providere, et non le substantif providentia ; Cicéron fut le premier qui l’employa comme un mot technique.

 

          Il me semble que, lorsqu’on a eu dans un siècle un nombre suffisant de bons écrivains, devenus classiques, il n’est plus guère permis d’employer d’autres expressions que les leurs, et qu’il leur donner le même sens, ou bien dans peu de temps le siècle présent n’entendrait plus le siècle passé.

 

          Vous ne trouverez dans aucun auteur du siècle de Louis XIV que Rigault ait peint les portraits au parfait, que Benserade ait persifflé la cour, que le surintendant Fouquet ait eu un goût décidé pour les beaux-arts, etc.

 

          Le ministère prenait alors des engagements, et non pas des errements. On tenait, on remplissait, on accomplissait ses promesses ; on ne les réalisait pas. On citait les anciens, on ne faisait pas des citations. Les choses avaient du rapport les unes aux autres, des ressemblances, des analogies, des conformités ; on les rapprochait, on en tirait des inductions, des conséquences : aujourd’hui on imprime qu’un article d’une déclaration du roi a trait à un arrêt de la cour des aides. Si on avait demandé à Patru, à Pellisson, à Boileau, à Racine, ce que c’est qu’avoir trait, ils n’auraient su que répondre. On recueillait ses moissons ; aujourd’hui on les récolte. On était exact, sévère, rigoureux, minutieux même ; à présent on s’avise d’être strict. Un avis était semblable à un autre ; il n’en était pas différent ; il lui était conforme ; il était fondé sur les mêmes raisons ; deux personnes étaient du même sentiment, avaient la même opinion, etc., cela s’entendait : je lis dans vingt mémoires nouveaux que les états ont eu un avis parallèle à celui du parlement ; que le parlement de Rouen n’a pas une opinion parallèle à celui de Paris, comme si parallèle pouvait signifier conforme ; comme si deux choses parallèles ne pouvaient pas avoir mille différences.

 

          Aucun auteur du bon siècle n’usa du mot de fixer que pour signifier arrêter, rendre stable, invariable.

 

Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,

Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.

 

Phèdre, acte I, sc. I.

 

C’est à ce jour heureux qu’il fixa son retour.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

Egayer la chagrine, et fixer le volage.

 

          Quelques Gascons hasardèrent de dire : J’ai fixé cette dame, pour, je l’ai regardée fixement, j’ai fixé mes yeux sur elle. De là est venue la mode de dire, Fixer une personne. Alors vous ne savez point si on entend par ce mot : j’ai rendu cette personne moins incertaine, moins volage ; ou si on entend : je l’ai observée, j’ai fixé mes regards sur elle. Voilà un nouveau sens attaché à un mot reçu, et une nouvelle source d’équivoques.

 

          Presque jamais les Pellisson, les Bossuet, les Fléchier, les Massillon, les Fénelon, les Racine, les Quinault, les Boileau, Molière même et La Fontaine, qui tous deux ont commis beaucoup de fautes contre la langue, ne se sont servis du terme vis-à-vis que pour exprimer une position de lieu. On disait : L’aile droite de l’armée de Scipion vis-à-vis l’aile gauche d’Annibal. Quand Ptolémée fut vis-à-vis de César, il trembla.

 

          Vis-à-vis est l’abrégé de visage à visage ; et c’est une expression qui ne s’employa jamais dans la poésie noble, ni dans le discours oratoire.

 

          Aujourd’hui l’on commence à dire : « Coupable vis-à-vis de vous, bienfaisant vis-à-vis de nous, difficile vis-à-vis de nous, mécontent vis-à-vis de nous, » au lieu de coupable, bienfaisant envers nous, difficile avec nous, mécontent de nous.

 

          J’ai lu dans un écrit public : Le roi mal satisfait vis-à-vis de son parlement. C’est un amas de barbarismes. On ne peut être mal satisfait. Mal est le contraire de satis, qui signifie assez. On est peu content, mécontent ; on se croit mal servi, mal obéi. On n’est ni satisfait, ni mal satisfait, ni content, ni mécontent, ni bien, ni mal obéi, vis-à-vis de quelqu’un, mais de quelqu’un. Mal satisfait est de l’ancien style des bureaux. Des écrivains peu corrects se sont permis cette faute.

 

          Presque tous les écrits nouveaux sont infectés de l’emploi vicieux de ce mot  vis-à-vis. On a négligé ces expressions si faciles, si heureuses, si bien mises à leur place par les bons écrivains, envers, pour, avec, à l’égard, en faveur de.

 

          Vous me dites qu’un homme est bien disposé vis-à-vis de moi ; qu’il a un ressentiment vis-à-vis de moi ; que le roi veut se conduire en père vis-à-vis de la nation. Dites que cet homme est bien disposé pour moi, à mon égard, en ma faveur ; qu’il a du ressentiment contre moi ; que le roi veut se conduire en père du peuple ; qu’il veut agir en père avec la nation, envers la nation ; ou bien vous parlerez fort mal.

 

          Quelques auteurs, qui ont parlé allobroge en français, on dit élogier au lieu de louer, ou faire un éloge ; par contre au lieu d’au contraire ; éduquer pour élever, ou donner de l’éducation ; égaliser les fortunes pour égaler.

 

          Ce qui peut le plus contribuer à gâter la langue à la replonger dans la barbarie, c’est d’employer dans le barreau, dans les conseils d’Etat, des expressions gothiques, dont on se servait dans le quatorzième siècle : « Nous aurions reconnu ; nous aurions observé ; nous aurions statué ; il nous aurait paru aucunement utile. »

 

          Hé, mes pauvres législateurs ! qui vous empêche de dire : Nous avons reconnu ; nous avons statué ; il nous a paru utile ? »

 

          Le sénat romain, dès le temps des Scipions, parlait purement, et on aurait sifflé un sénateur qui aurait prononcé un solécisme. Un parlement croit se donner du relief en disant au roi qu’il ne peut obtempérer. Les femmes ne peuvent entendre ce mot qui n’est pas français. Il y a vingt manières de s’exprimer intelligiblement.

 

 

 

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