DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : C comme CONCILES - Partie 2
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C comme CONCILES.
SECTION II.
Notice des conciles généraux.
Assemblée, conseil d’Etat, parlement, Etats-généraux, c’était autrefois la même chose parmi nous. On n’écrivait ni en celte, ni en germain, ni en espagnol, dans nos premiers siècles. Le peu qu’on écrivait était conçu en langue latine par quelques clercs ; ils exprimaient toute assemblée de leudes, de herren, ou de ricos-hombres, ou de quelques prélats, par le mot de concilium. De là vient qu’on trouve, dans les sixième, septième et huitième siècles, tant de conciles qui n’étaient précisément que des conseils d’Etat.
Nous ne parlerons ici que des grands conciles appelés généraux soit par l’Eglise grecque, soit par l’Eglise latine ; on les nomma synodes à Rome comme en Orient dans les premiers siècles ; car les Latins empruntèrent des Grecs les noms et les choses.
En 325, grand concile dans la ville de Nicée, convoqué par Constantin. La formule de la décision est : « Nous croyons Jésus consubstantiel au Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, engendré et non fait. Nous croyons aussi au Saint-Esprit. »
Il est dit dans le supplément appelé Appendix, que les Pères du concile, voulant distinguer les livres canoniques des apocryphes, les mirent tous sur l’autel, et que les apocryphes tombèrent par terre d’eux-mêmes.
Nicéphore assure que deux évêques, Chrysante et Misonius, morts pendant les premières sessions, ressuscitèrent pour signer la condamnation d’Arius, et remoururent incontinent après.
Baronius soutient le fait : mais Fleury n’en parle pas.
En 359, l’empereur Constance assemble le grand concile de Rimini et de Séleucie, au nombre de six cents évêques, et d’un nombre prodigieux de prêtres. Ces deux conciles, correspondant ensemble, défont tout ce que le concile de Nicée a fait, et proscrivent la consubstantialité. Aussi fut-il regardé depuis comme faux concile.
En 381, par les ordres de l’empereur Théodose, grand concile à Constantinople, de cent cinquante évêques, qui anathématisent le concile de Rimini. Saint Grégoire de Nazianze ( 1) y préside ; l’évêque de Rome y envoie des députés. On ajoute au symbole de Nicée : « Jésus-Christ s’est incarné pour le Saint-esprit et de la Vierge Marie. – Il a été crucifié par nous sous Ponce Pilate. – Il a été enseveli, et il est ressuscité le troisième jour, suivant les Ecritures. – Il est assis à la droite du Père. – Nous croyons aussi au Saint-Esprit, Seigneur vivifiant qui procède du Père. »
En 431, grand concile d’Ephèse, convoqué par l’empereur Théodose II. Nestorius, évêque de Constantinople, ayant persécuté violemment tous ceux qui n’étaient pas de son opinion sur des points de théologie, essuya des persécutions à son tour, pour avoir soutenu que la sainte Vierge Marie, mère de Jésus-Christ, n’était point mère de Dieu, parce que, disait-il, Jésus-Christ étant le verbe fils de Dieu consubstantiel à son père, Marie ne pouvait pas être à la fois la mère de Dieu le père et de Dieu le fils. Saint Cyrille s’éleva hautement contre lui. Nestorius demanda un concile œcuménique ; il l’obtint. Nestorius fut condamné ; mais Cyrille fut déposé par un comité du concile. L’empereur cassa tout ce qui s’était fait dans ce concile, ensuite permit qu’on se rassemblât. Les députés de Rome arrivèrent fort tard. Les troubles augmentant, l’empereur fit arrêter Nestorius et Cyrille. Enfin, il ordonna à tous les évêques de s’en retourner chacun dans son église, et il n’y eut point de conclusion. Tel fut le fameux concile d’Ephèse.
En 449, grand concile encore à Ephèse, surnommé depuis le brigandage. Les évêques furent au nombre de cent trente. Dioscore, évêque d’Alexandrie, y présida. Il y eut deux députés de l’Eglise de Rome, et plusieurs abbés de moines. Il s’agissait de savoir si Jésus-Christ avait deux natures. Les évêques et tous les moines d’Egypte s’écrièrent qu’il fallait déchirer en deux tous ceux qui diviseraient en deux Jésus-Christ. Les deux natures furent anathématisées. On se battit en plein concile, ainsi qu’on s’était battu au petit concile de Cirthe, en 355, et au petit concile de Carthage.
En 451, grand concile de Chalcédoine convoqué par Pulchérie, qui épousa Marcien, à condition qu’il ne serait que son premier sujet. Saint Léon, évêque de Rome, qui avait un très grand crédit, profitant des troubles que la querelle des deux natures excitait dans l’empire, présida au concile par ses légats ; c’est le premier exemple que nous en ayons. Mais les Pères du concile craignant que l’Eglise d’Occident ne prétendît par cet exemple la supériorité sur celle d’Orient, décidèrent par le vingt-huitième canon que le siège de Constantinople et celui de Rome auraient également les mêmes avantages et les mêmes privilèges. Ce fut l’origine de la longue inimitié qui régna et qui règne encore entre les deux Eglises.
Ce concile de Chalcédoine établit les deux natures et une seule personne.
Nicéphore rapporte qu’à ce même concile les évêques, après une longue dispute au sujet des images, mirent chacun leur opinion par écrit dans le tombeau de sainte Euphémie, et passèrent la nuit en prières. Le lendemain, les billets orthodoxes furent trouvés en la main de la sainte, et les autres à ses pieds.
En 553, grand concile à Constantinople, convoqué par Justinien, qui se mêlait de théologie. Il s’agissait de trois petits écrits différents qu’on ne connaît plus aujourd’hui. On les appela les trois chapitres. On disputait aussi sur quelques passages d’Origène.
L’évêque de Rome Vigile voulut y aller en personne ; mais Justinien le fit mettre en prison. Le patriarche de Constantinople présida. Il n’y eut personne de l’Eglise latine, parce qu’alors le grec n’était plus entendu dans l’Occident, devenu tout à fait barbare.
En 680, encore un concile général à Constantinople, convoqué par l’empereur Constantin-le-Barbu. C’est le premier concile appelé par les Latins in trullo, parce qu’il fut tenu dans un salon du palais impérial. L’empereur y présida lui-même. A sa droite étaient les patriarches de Constantinople et d’Antioche ; à sa gauche les députés de Rome et de Jérusalem. On y décida que Jésus-Christ avait deux volontés. On y condamna le pape Honorius Ier comme monothélite, c’est-à-dire qui voulait que Jésus-Christ n’eût eu qu’une volonté.
En 787, second concile de Nicée, convoqué par Irène, sous le nom de l’empereur Constantin son fils, auquel elle fit crever les yeux. Son mari Léon avait aboli le culte des images, comme contraire à la simplicité des premiers siècles, et favorisant l’idolâtrie : Irène le rétablit ; elle parla elle-même dans le concile. C’est le seul qui ait été tenu par une femme. Deux légats du pape Adrien IV y assistèrent et ne parlèrent point, parce qu’ils n’entendaient point le grec ; ce fut le patriarche Tarèze qui fit tout.
Sept ans après, les Francs ayant entendu dire qu’un concile à Constantinople avait ordonné l’adoration des images, assemblèrent par l’ordre de Charles, fils de Pepin, nommé depuis Charlemagne, un concile assez nombreux à Francfort. On y traita le second concile de Nicée de « synode impertinent et arrogant, tenu en Grèce pour adorer des peintures. »
En 842, grand concile à Constantinople, convoqué par l’impératrice Théodora. Culte des images solennellement établi. Les Grecs ont encore une fête en l’honneur de ce grand concile, qu’on appelle l’Orthodoxie. Théodora n’y présida pas.
En 861, grand concile à Constantinople, composé de trois cent dix-huit évêques, convoqué par l’empereur Michel. On y déposa saint Ignace, patriarche de Constantinople, et on élut Photius.
En 866, autre grand concile à Constantinople, où le pape Nicolas Ier est déposé par contumace et excommunié.
En 869, autre grand concile à Constantinople, où Photius est excommunié et déposé à son tour, et saint Ignace rétabli.
En 879, autre grand concile à Constantinople, où Photius, déjà rétabli, est reconnu pour vrai patriarche par les légats du pape Jean VIII. On y traite de conciliabule le grand concile œcuménique où Photius avait été déposé.
Le pape Jean VIII déclare Judas tous ceux qui disent que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.
En 1122 et 23, grand concile à Rome, tenu dans l’église de Saint-Jean de Latran, par le pape Calixte II. C’est le premier concile général que les papes convoquèrent. Les empereurs d’Occident n’avaient presque plus d’autorité ; et les empereurs d’Orient, pressés par les mahométans et par les croisés, ne tenaient plus que de chétifs petits conciles.
Au reste, on ne sait pas trop ce que c’est que Latran. Quelques petits conciles avaient été déjà convoqués dans Latran. Les uns disent que c’était une maison bâtie par un nommé Latranus, du temps de Néron ; les autres, que c’est l’église de Saint-Jean même bâtie par l’évêque Sylvestre.
Les évêques, dans ce concile, se plaignirent fortement des moines : « Ils possèdent, disent-ils, les églises, les terres, les châteaux, les dîmes, les offrandes des vivants et des morts ; il ne leur reste plus qu’à nous ôter la crosse et l’anneau. » Les moines restèrent en possession.
En 1139, autre grand concile de Latran, par le pape Innocent II ; il y avait, dit-on, mille évêques. C’est beaucoup. On y déclara les dîmes ecclésiastiques de droit divin, et on excommunia les laïques qui en possédaient.
En 1179, autre grand concile de latran, par le pape Alexandre III ; il y eut trois cent deux évêques latins et un abbé grec. Les décrets furent tous de discipline. La pluralité des bénéfices y fut défendue.
En 1215, dernier concile général de Latran, par Innocent III ; quatre cent douze évêques, huit cents abbés. Dès ce temps, qui était celui des croisades, les papes avaient établi un patriarche latin à Jérusalem et un à Constantinople. Ces patriarches vinrent au concile. Ce grand concile dit que « Dieu ayant donné aux hommes la doctrine salutaire par Moïse, fit naître enfin son fils d’une vierge pour montrer le chemin plus clairement ; que personne ne peut être sauvé hors de l’Eglise catholique. »
Le mot de transsubstantiation ne fut connu qu’après ce concile. Il y fut défendu d’établir de nouveaux ordres religieux : mais depuis ce temps on en a formé quatre-vingts.
Ce fut dans ce concile qu’on dépouilla Raimond, comte de Toulouse, de toutes ses terres.
En 1245, grand concile à Lyon, ville impériale. Innocent IV y mène l’empereur de Constantinople, Jean Paléologue, qu’il fait asseoir à côté de lui. Il y dépose l’empereur Frédéric II, comme félon ; il donne un chapeau rouge aux cardinaux, signe de guerre contre Frédéric. Ce fut la source de trente ans de guerres civiles.
En 1274, autre concile général à Lyon. Cinq cent évêques, soixante et dix gros abbés, et mille petits. L’empereur grec Michel Paléologue, pour avoir la protection du pape, envoie son patriarche grec Théophane et un évêque de Nicée pour se réunir en son nom à l’Eglise latine. Mais ces évêques sont désavoués par l’Eglise grecque.
En 1311, le pape Clément V indique un concile général dans la petite ville de Vienne en Dauphiné. Il y abolit l’ordre des Templiers. On ordonne de brûler les bégares, béguins et béguines, espèce d’hérétiques auxquels on imputait tout ce qu’on avait imputé autrefois aux premiers chrétiens.
En 1414, grand concile de Constance, convoqué enfin par un empereur qui rentre dans ses droits. C’est Sigismond. On y dépose le pape Jean XXII, convaincu de plusieurs crimes. On y brûle Jean Hus et Jérôme de Prague, convaincus d’opiniâtreté.
En 1431, grand concile de Basle, où l’on dépose en vain le pape Eugène IV, qui fut plus habile que le concile.
En 1438, grande concile à Ferrare, transféré à Florence, où le pape excommunié excommunie le concile, et le déclare criminel de lèse-majesté. On y fit une réunion feinte avec l’Eglise grecque, écrasée par les synodes turcs qui se tenaient le sabre à la main.
Il ne tint pas au pape Jules II que son concile de Latran, en 1512, ne passât pour un concile œcuménique. Ce pape y excommunia solennellement le roi de France Louis XII, mit la France en interdit, cita tout le parlement de Provence à comparaître devant lui ; il excommunia tous les philosophes, parce que la plupart avaient pris le parti de Louis XII. Cependant, ce concile n’a point le titre de brigandage comme celui d’Ephèse.
En 1537, concile de Trente, convoqué d’abord par le pape Paul III, à Mantoue, et ensuite à Trente, en 1545, terminé en décembre 1563, sous Pie IV. Les princes catholiques le reçurent quant au dogme, et deux ou trois quant à la discipline.
On croit qu’il n’y aura désormais pas plus de conciles généraux qu’il n’y aura d’états généraux en France et en Espagne (2).
Il y a dans le Vatican un beau tableau qui contient la liste des conciles généraux. On n’y a inscrit que ceux qui sont approuvés par la cour de Rome : chacun met ce qu’il veut dans ses archives.
1 – Voyez la lettre de saint Grégoire de Nazianze à Procope ; il dit : Je crains les conciles, je n’en ai jamais vu qui n’aient fait plus de mal que de bien, et qui aient eu une bonne fin ; l’esprit de dispute, la vanité, l’ambition, y dominent ; celui qui veut y réformer les méchants s’expose à être accusé sans les corriger. » Ce saint savait que les Pères des conciles sont hommes.
2 – Le rapprochement que Voltaire fait ici entre les conciles généraux et les états généraux, ainsi que la double prédiction qu’il reste, est des plus remarquables. Il veut dire que c’en est fait de l’Eglise universelle, aussi bien que des trois ordres, et sa prédiction s’est, en effet, réalisée. Le concile de Trente, qui n’avait été qu’une consultation de médecins essayant vainement de ranimer un moribond, et pendant lequel Luther triompha, est resté le dernier concile général. Quant aux états généraux, on les convoqua bien en 1789 ; mais, au lieu de se constituer, ils se transfigurèrent philosophiquement en une Assemblée nationale, et la Révolution fut accomplie. (G.A.)