LE PHILOSOPHE IGNORANT - Partie 9

Publié le par loveVoltaire

LE PHILOSOPHE IGNORANT - Partie 9

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LE PHILOSOPHE IGNORANT

 

 

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QUARANTE-QUATRIÈME QUESTION.

 

 

D’Épicure.

 

 

 

 

          Des pédants de collège, des petits-maîtres de séminaire, ont cru, sur quelques plaisanteries d’Horace et de Pétrone, qu’Épicure avait enseigné la volupté par les préceptes et par l’exemple. Épicure fut toute sa vie un philosophe sage, tempérant, et juste. Dès l’âge de douze à treize ans il fut sage : car lorsque le grammairien qui l’instruisait lui récita ce vers d’Hésiode,

 

Le chaos fut produit le premier de tous les êtres,

 

Hé ! qui le produisit, dit Épicure, puisqu’il était le premier ? Je n’en sais rien, dit le grammairien ; il n’y a que les philosophes qui le sachent. Je vais donc m’instruire chez eux, repartit l’enfant ; et depuis ce temps jusqu’à l’âge de soixante et douze ans, il cultiva la philosophie. Son testament, que Diogène de Laërce nous a conservé tout entier, découvre une âme tranquille et juste ; il affranchit les esclaves qu’il croit avoir mérité cette grâce ; il recommande à ses exécuteurs testamentaires de donner la liberté à ceux qui s’en rendront dignes. Point d’ostentation, point d’injuste préférence ; c’est la dernière volonté d’un homme qui n’en a jamais eu que de raisonnables. Seul de tous les philosophes, il eut pour amis tous ses disciples, et sa secte fut la seule où l’on sût aimer, et qui ne partagea point en plusieurs autres.

 

          Il paraît, après avoir examiné sa doctrine et ce qu’on a écrit pour et contre lui, que tout se réduit à la dispute entre Malebranche et Arnauld. Malebranche avouait que le plaisir rend heureux, Arnauld le niait ; c’était une dispute de mots, comme tant d’autres disputes où la philosophie et la théologie apportent leur incertitude, chacune de son côté.

 

 

 

 

 

QUARANTE-CINQUIÈME QUESTION.

 

 

Des stoïciens.

 

 

 

 

          Si les épicuriens rendirent la nature humaine aimable, les stoïciens la rendirent presque divine. Résignation à l’Etre des êtres, ou plutôt élévation de l’âme jusqu’à cet Etre ; mépris du plaisir, mépris même de la douleur, mépris de la vie et de la mort, inflexibilité dans la justice : tel était le caractère des vrais stoïciens ; et tout ce qu’on a pu dire contre eux, c’est qu’ils décourageaient le reste des hommes.

 

          Socrate, qui n’était pas de leur secte, fit voir qu’on pouvait pousser la vertu aussi loin qu’eux, sans être d’aucun parti ; et la mort de ce martyr de la Divinité est l’éternel opprobre d’Athènes, quoiqu’elle s’en soit repentie.

 

          Le stoïcien Caton est, d’un autre côté, l’éternel honneur de Rome. Epictète, dans l’esclavage, est peut-être supérieur à Caton, en ce qu’il est toujours content de sa misère. Je suis, dit-il, dans la place où la Providence a voulu que je fusse : m’en plaindre, c’est l’offenser.

 

          Dirai-je que l’empereur Antonin est encore au-dessus d’Épictète, parce qu’il triompha de plus de séductions, et qu’il était bien plus difficile à un empereur de ne se pas corrompre, qu’à un pauvre de ne pas murmurer ? Lisez les pensées de l’un et de l’autre, l’empereur et l’esclave vous paraîtront également grands.

 

          Oserai-je parler ici de l’empereur Julien ? Il erra sur le dogme, mais certes il n’erra pas sur la morale. En un mot, nul philosophe dans l’antiquité qui n’ait voulu rendre les hommes meilleurs.

 

          Il y a eu des gens parmi nous qui ont dit que toutes les vertus de ces grands hommes n’étaient que des péchés illustres (1). Puisse la terre être couverte de tels coupables !

 

 

1 – Saint Augustin. (G.A.)

 

 

 

 

 

QUARANTE-SIXIÈME QUESTION.

 

 

Philosophie est vertu.

 

 

 

 

          Il y eut des sophistes qui furent aux philosophes ce que les singes sont aux hommes. Lucien se moqua d’eux ; on les méprisa ; ils furent à peu près ce qu’ont été les moines mendiants dans les universités. Mais n’oublions jamais que tous les philosophes ont donné de grands exemples de vertu, et que les sophistes, et même les moines, ont tous respecté la vertu dans leurs écrits.

 

 

 

 

 

QUARANTE-SEPTIÈME QUESTION.

 

 

D’Esope.

 

 

 

 

          Je placerai Esope parmi ces grands hommes, et même à la tête de ces grands hommes ; soit qu’il ait été le Pilpaï des Indiens, ou l’ancien précurseur de Pilpaï, ou le Lokman des Perses, ou le Hakym des Arabes, ou le Hakam des Phéniciens, il n’importe ; je vois que ses fables ont été en vogue chez toutes les nations orientales, et que l’origine s’en perd dans une antiquité dont on ne peut sonder l’abîme. A quoi tendent ces fables aussi profondes qu’ingénues, ces apologues qui semblent visiblement écrits dans un temps où l’on ne doutait pas que les bêtes n’eussent un langage ? Elles ont enseigné presque tout notre hémisphère. Ce ne sont point des recueils de sentences fastidieuses qui lassent plus qu’elles n’éclairent ; c’est la vérité elle-même avec le charme de la fable. Tout ce qu’on a pu faire, c’est d’y ajouter des embellissements dans nos langues modernes. Cette ancienne sagesse est simple et nue dans le premier auteur. Les grâces naïves dont on l’a ornée en France n’en ont point caché le fond respectable. Que nous apprennent toutes ces fables ? qu’il faut être juste.

 

 

 

 

 

QUARANTE-HUITIÈME QUESTION.

 

 

De la paix née de la philosophie.

 

 

 

 

          Puisque tous les philosophes avaient des dogmes différents, il est clair que le dogme et la vertu sont d’une nature entièrement hétérogène. Qu’ils crussent ou non que Thétys était la déesse de la mer, qu’ils fussent persuadés ou non de la guerre des géants et de l’âge d’or, de la boite de Pandore et de la mort du serpent Python, etc., ces doctrines n’avaient rien de commun avec la morale. C’est une chose admirable dans l’antiquité que la théologie n’ait jamais troublé la paix des nations.

 

 

 

 

 

QUARANTE-NEUVIÈME QUESTION.

 

 

Autres questions.

 

 

 

 

          Ah ! si nous pouvions imiter l’antiquité ! si nous faisions enfin à l’égard des disputes théologiques ce que nous avons fait au bout de dix-sept siècles dans les belles-lettres !

 

          Nous sommes revenus au goût de la saine antiquité, après avoir été plongés dans la barbarie de nos écoles. Jamais les Romains ne furent assez absurdes pour imaginer qu’on pût persécuter un homme parce qu’il croyait le vide ou le plein, parce qu’il prétendait que les accidents ne peuvent pas subsister sans sujet, parce qu’il expliquait en un sens un passage d’un auteur, qu’un autre entendait dans un sens contraire.

 

          Nous avons recours tous les jours à la jurisprudence des Romains ; et quand nous manquons de lois (ce qui nous arrive si souvent), nous allons consulter le Code et le Digeste. Pourquoi ne pas imiter nos maîtres dans leur sage tolérance ?

 

          Qu’importe à l’Etat qu’on soit du sentiment des réaux ou des nominaux ; qu’on tienne pour Scot ou pour Thomas, pour Œcolampade ou pour Mélanchthon ; qu’on soit du parti d’un évêque d’Ypres (1), qu’on n’a point lu, ou d’un moine espagnol (2), qu’on a moins lu encore ? N’est-il pas clair que tout cela doit être aussi indifférent au véritable intérêt d’une nation, que de traduire bien ou mal un passage de Lycophron ou d’Hésiode ?

 

 

1 – Jansénius. (G.A.)

2 – Molina. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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