LE PHILOSOPHE IGNORANT - Partie 8

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LE PHILOSOPHE IGNORANT - Partie 8

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LE PHILOSOPHE IGNORANT

 

 

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TRENTE-SIXIÈME QUESTION.

 

 

Nature partout la même.

 

 

 

 

          En abandonnant Locke en ce point, je dis avec le grand Newton, Natura est semper sibi consona ; la nature est toujours semblable à elle-même. La loi de la gravitation qui agit sur un astre agit sur tous les astres, sur toute la matière : ainsi la loi fondamentale de la morale agit également dans les interprétations de cette loi, en mille circonstances ; mais le fond subsiste toujours le même, et ce fond est l’idée du juste et de l’injuste. On commet prodigieusement d’injustices dans les fureurs de ses passions, comme on perd sa raison dans l’ivresse : mais quand l’ivresse est passée, la raison revient ; et c’est, à mon avis, l’unique cause qui fait subsister la société humaine, cause subordonnée au besoin que nous avons les uns des autres.

 

          Comment donc avons-nous acquis l’idée de la justice ? comme nous avons acquis celle de la prudence, de la vérité, de la convenance ; par le sentiment et par la raison. Il est impossible que nous ne trouvions pas très imprudente l’action d’un homme qui se jetterait dans le feu pour se faire admirer, et qui espérerait d’en réchapper. Il est impossible que nous ne trouvions pas très injuste l’action d’un homme qui en tue un autre dans sa colère. La société n’est fondée que sur ces notions qu’on n’arrachera jamais de notre cœur, et c’est pourquoi toute société subsiste, à quelque superstition bizarre et horrible qu’elle se soit asservie.

 

          Quel est l’âge où nous connaissons le juste et l’injuste ? l’âge où nous connaissons que deux et deux font quatre.

 

 

 

 

 

 

TRENTE-SEPTIÈME QUESTION.

 

 

De Hobbes.

 

 

 

 

          Profond et bizarre philosophe, bon citoyen, esprit hardi, ennemi de Descartes, toi qui t’es trompé comme lui ; toi dont les erreurs en physique sont grandes, et pardonnables parce que tu étais venu avant Newton ; toi qui as dit des vérités qui ne compensent pas tes erreurs ; toi qui le premier fis voir quelle est la chimère des idées innées ; toi qui fut le précurseur de Locke en plusieurs choses, mais qui le fus aussi de Spinosa ; c’est en vain que tu étonnes tes lecteurs en réussissant presque à leur prouver qu’il n’y a aucunes lois dans le monde que des lois de convention ; qu’il n’y a de juste et d’injuste que ce qu’on est convenu d’appeler tel dans un pays. Si tu t’étais trouvé seul avec Cromwel dans une île déserte, et que Cromwell eût voulu te tuer pour avoir pris le parti de ton roi dans l’île d’Angleterre, cet attentat ne t’aurait-il pas paru aussi injuste dans ta nouvelle île qu’il te l’aurait paru dans ta patrie ?

 

          Tu dis que dans la loi de nature, « tous ayant droit à tout, chacun a droit sur la vie de son semblable. » Ne confonds-tu pas la puissance avec le droit ? Penses-tu qu’en effet le pouvoir donne le droit, et qu’un fils robuste n’ait rien à se reprocher pour avoir assassiné son père languissant et décrépit ? Quiconque étudie la morale doit commencer à réfuter ton livre dans son cœur ; mais ton propre cœur te réfutait encore davantage, car tu fus vertueux ainsi que Spinosa ; et il ne te manqua, comme à lui, que d’enseigner les vrais principes de la vertu que tu pratiquais, et que tu recommandais aux autres.

 

 

 

 

 

 

TRENTE-HUITIÈME QUESTION.

 

 

Morale universelle.

 

 

 

 

          La morale me paraît tellement universelle, tellement calculée par l’être universel qui nous a formés, tellement destinée à servir de contre-poids à nos passions funestes, et à soulager les peines inévitables de cette courte vie, que depuis Zoroastre jusqu’au lord Shaftesbury, je vois tous les philosophes enseigner la même morale, quoiqu’ils aient tous des idées différentes sur les principes des choses. Nous avons vu que Hobbes, Spinosa, et Bayle lui-même, qui ont ou nié les premiers principes, ou qui en ont douté, ont cependant recommandé fortement la justice et toutes les vertus.

 

          Chaque nation eut des rites religieux particuliers, et très souvent d’absurdes et de révoltantes opinions en métaphysique, en théologie : mais s’agit-il de savoir s’il faut être juste, tout l’univers est d’accord, comme nous l’avons dit à la question XXXVI, et comme on ne peut trop le répéter.

 

 

 

 

 

 

TRENTE-NEUVIÈME QUESTION.

 

 

De Zoroastre.

 

 

(1)

 

 

 

          Je n’examine point en quel temps vivait Zoroastre, à qui les Perses donnèrent neuf mille ans d’antiquité, ainsi que Platon aux anciens Athéniens. Je vois seulement que ses préceptes de morale se sont conservés jusqu’à nos jours : ils sont traduits de l’ancienne langue des mages dans la langue vulgaire des Guèbres ; et il paraît bien aux allégories puériles, aux observances ridicules, aux idées fantastiques dont ce recueil est rempli, que la religion de Zoroastre est de l’antiquité la plus haute. C’est là qu’on trouve le nom de jardin pour exprimer la récompense des justes ; on y voit le mauvais principe sous le nom de Satan, que les Juifs adoptèrent aussi. On y trouve le monde formé en six saisons ou en six temps. Il y est ordonné de réciter un Abunavar et un Ashim vuhu pour ceux qui éternuent.

 

          Mais enfin, dans ce recueil de cent portes ou préceptes, tirés du livre du Zend, et où l’on rapporte même les propres paroles de l’ancien Zoroastre, quels devoirs moraux sont prescrits ?

 

          Celui d’aimer, de secourir son père et sa mère, de faire l’aumône aux pauvres, de ne jamais manquer à sa parole, de s’abstenir, quand on est dans le doute si l’action qu’on va faire est juste ou non. (Porte 30.)

 

          Je m’arrête à ce précepte, parce que nul législateur n’a jamais pu aller au-delà ; et je me confirme dans l’idée que plus Zoroastre établit de superstitions ridicules en fait de culte, plus la pureté de sa morale fait voir qu’il n’était pas en lui de la corrompre ; que plus il s’abandonnait à l’erreur dans ses dogmes, plus il lui était impossible d’errer en enseignant la vertu.

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article ZOROASTRE. (G.A.)

 

 

 

 

 

QUARANTIÈME QUESTION.

 

 

Des brachmanes.

 

 

 

 

          Il est vraisemblable que les brames ou brachmanes existaient longtemps avant que les Chinois eussent leurs Cinq kings : et ce qui fonde cette extrême probabilité, c’est qu’à la Chine les antiquités les plus recherchées sont indiennes, et que dans l’Inde il n’y a point d’antiquités chinoises.

 

          Ces anciens brames étaient sans doute d’aussi mauvais métaphysiciens d’aussi ridicules théologiens que les Chaldéens et les Perses et toutes les nations qui sont à l’occident de la Chine. Mais quelle sublimité dans la morale ! Selon eux la vie n’était qu’une mort de quelques années, après laquelle on vivrait avec la Divinité. Ils ne se bornaient pas à être justes envers les autres, mais ils étaient rigoureux envers eux-mêmes ; le silence, l’abstinence, la contemplation, le renoncement à tous les plaisirs, étaient leurs principaux devoirs. Aussi tous les sages des autres nations allaient chez eux apprendre ce qu’on appelait la sagesse.

 

 

 

 

 

 

QUARANTE-ET-UNIÈME QUESTION.

 

 

De Confucius.

 

 

(1)

 

 

 

          Les Chinois n’eurent aucune superstition, aucun charlatanisme à se reprocher comme les autres peuples. Le gouvernement chinois montrait aux hommes, il y a fort au-delà de quatre mille ans, et leur montre encore qu’on peut les régir sans les tromper ; que ce n’est pas par le mensonge qu’on sert le Dieu de vérité ; que la superstition est non-seulement inutile, mais nuisible à la religion. Jamais l’adoration de Dieu ne fut si pure et si sainte qu’à la Chine (à la révélation près). Je ne parle pas des sectes du peuple, je parle de la religion du prince, de celle de tous les tribunaux et de tout ce qui n’est pas populace. Quelle est la religion de tous les honnêtes gens à la Chine depuis tant de siècles ? la voici : Adorez le ciel, et soyez justes. Aucun empereur n’en a eu d’autre.

 

          On place souvent le grand Confutzée, que nous nommons Confucius, parmi les anciens législateurs, parmi les fondateurs de religion ; c’est une grande inadvertance. Confutzée est très moderne ; il ne vivait que six cent cinquante ans avant notre ère. Jamais il n’institua aucun culte, aucun rite ; jamais il ne se dit ni inspiré ni prophète ; il ne fit que rassembler en un corps les anciennes lois de la morale.

 

          Il invite les hommes à pardonner les injures et à ne se souvenir que des bienfaits ;

 

          A veiller sans cesse sur soi-même, à corriger aujourd’hui les fautes d’hier ;

 

          A réprimer ses passions, et à cultiver l’amitié ; à donner sans faste, et à ne recevoir que l’extrême nécessaire sans bassesse.

 

          Il ne dit point qu’il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu’on fasse à nous-mêmes ; ce n’est que défendre le mal : il fait plus, il recommande le bien : « Traite autrui comme tu veux qu’on te traite. »

 

          Il enseigne non-seulement la modestie, mais encore l’humilité : il recommande toutes les vertus.

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article CHINE. (G.A.)

 

 

 

 

 

QUARANTE-DEUXIÈME QUESTION.

 

 

Des philosophes grecs, et d’abord de Pythagore.

 

 

 

 

          Tous les philosophes grecs ont dit des sottises en physique et en métaphysique. Tous sont excellents dans la morale ; tous égalent Zoroastre, Confutzée, et les brachmanes. Lisez seulement les vers dorés de Pythagore ; c’est le précis de sa doctrine ; il n’importe de quelle main ils soient. Dites-moi si une seule vertu y est oubliée.

 

 

 

 

 

 

QUARANTE-TROISIÈME QUESTION.

 

 

De Zaleucus.

 

 

 

 

          Réunissez tous vos lieux communs, prédicateurs grecs, italiens, espagnols, allemands, français, etc. ; qu’on distille toutes vos déclamations, en tirera-t-on un extrait qui soit plus pur que l’exorde des lois de Zaleucus ?

 

«  Maîtrisez votre âme, purifiez-la, écartez toute pensée criminelle. Croyez que Dieu ne peut être bien servi par les pervers ; croyez qu’il ne ressemble pas aux faibles mortels, que les louanges et les présents séduisent : la vertu seule peut lui plaire. »

 

          Voilà le précis de toute morale et de toute religion.

 

 

 

 

 

 

 

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