ÉPÎTRE - A Henri IV

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ÉPÎTRE - A Henri IV

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A HENRI IV,

 

 

Sur ce qu’on avait écrit à l’auteur que plusieurs citoyens

de Paris s’étaient mis à genoux devant la statue équestre

de ce prince pendant la maladie du dauphin.

 

 

 – 1766 –

 

 

(1)

 

 

 

 

Intrépide soldat, vrai chevalier, grand homme,

Bon roi, fidèle ami, tendre et loyal amant,

* Toi que l’Europe a plaint d’avoir fléchi sous Rome,

* Sans qu’on osât blâmer ce triste abaissement,

Henri, tous les Français adorent ta mémoire :

Ton nom devient plus cher et plus grand chaque jour ;

Et peut-être autrefois, quand j’ai chanté ta gloire,

Je n’ai point dans les cœurs affaibli tant d’amour.

 

Un des rejetons de ta race chérie,

Des marches de ton trône au tombeau descendu,

Te porte, en expirant, les vœux de ta patrie,

Et les gémissements de ton peuple éperdu.

 

Lorsque la Mort sur lui devait sa faux tranchante,

On vit de citoyens une foule tremblante

Entourer ta statue et la baigner de pleurs ;

C’était là leur autel, et, dans tous nos malheurs,

On t’implore aujourd’hui comme un dieu tutélaire.

* La fille qui naquit aux chaumes de Nanterre,

* Pieusement célèbre en des temps ténébreux,

* N’entend point nos regrets, n’exauce point nos vœux,

* De l’empire français n’est point la protectrice.

C’est toi, c’est ta valeur, ta bonté, ta justice,

Qui préside à l’Etat raffermi par tes mains.

Ce n’est qu’en t’imitant qu’on a des jours prospères ;

C’est l’encens qu’on te doit : * les Grecs et les Romains

* Invoquaient des héros, et non pas des bergères.

 

Oh ! si de mes déserts, où j’achève mes jours,

Je m’étais fait entendre au fond du sombre empire !

Si, comme au temps d’Orphée, un enfant de la lyre

De l’ordre des destins interrompait le cours !

Si ma voix … ! Mais tout cède à leur arrêt suprême :

Ni nos chants, ni nos cris, ni l’art et ses secours,

Les offrandes, les vœux, les autels, ni toi-même,

Rien ne suspend la mort. Ce monde illimité

Est l’esclave éternel de la fatalité.

A d’immuables lois Dieu soumit la nature.

 

Sur ces monts entassés, séjour de la froidure,

Au creux de ces rochers, dans ces gouffres affreux,

Je vois des animaux maigres, pâles, hideux,

Demi-nus, affamés, courbés sous l’infortune ;

Ils sont hommes pourtant : notre mère commune

A daigné prodiguer des soins aussi puissants

A pétrir de ses mains leur substance mortelle,

Et le grossier instinct qui dirige leur sens,

Qu’à former les vainqueurs de Pharsale et d’Arbelle.

Au livre des destins tous leur jours sont comptés ;

Les tiens l’étaient aussi. Ces dures vérités

Epouvantent le lâche et consolent le sage.

Tout est égal au monde : un mourant n’a point d’âge.

Le Dauphin le disait au sein de la grandeur,

Au printemps de sa vie, au comble du bonheur ;

Il l’a dit en mourant, de sa voix affaiblie,

A son fils, à son père, à la cour attendrie.

O toi ! triste témoin de son dernier moment,

Qui lis de sa vertu ce faible monument,

Ne me demande point ce qui fonda sa gloire,

Quels funestes exploits assurent sa mémoire,

Quels peuples malheureux on le vit conquérir,

Ce qu’il fit sur la terre… Il t’apprit à mourir !

 

 

 

1 – Cette pièce, qui parut en janvier 1766, fut insérée en février dans le Journal encyclopédique avec quelques suppressions que nous indiquerons par des astériques. (G.A.)

 

 

 

 

 

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