DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme ART DRAMATIQUE - Partie 9
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A comme ART DRAMATIQUE.
D’ATHALIE.
Je commencerai par dire d’Athalie que c’est là que la catastrophe est admirablement en action ; c’est là que se fait la reconnaissance la plus intéressante : chaque acteur y joue un grand rôle. On ne tue point Athalie sur le théâtre ; le fils des rois est sauvé, et est reconnu roi : tout ce spectacle transporte les spectateurs.
Je ferais ici l’éloge de cette pièce, le chef-d’œuvre de l’esprit humain, si tous les gens de goût de l’Europe ne s’accordaient pas à lui donner la préférence sur presque toutes les autres pièces. On peut condamner le caractère et l’action du grand-prêtre Joad ; sa conspiration, son fanatisme, peuvent être d’un très mauvais exemple ; aucun souverain, depuis le Japon jusqu’à Naples, ne voudrait d’un tel pontife ; il est factieux, insolent, enthousiaste, inflexible, sanguinaire ; il trompe indignement sa reine ; il fait égorger par des prêtres cette femme âgée de quatre-vingts ans, qui n’en voulait certainement pas à la vie du jeune Joas, qu’elle voulait élever comme son propre fils (1).
J’avoue qu’en réfléchissant sur cet événement, on peut détester la personne du pontife ; mais on admire l’auteur, on s’assujettit sans peine à toutes les idées qu’il présente ; on ne pense, on ne sent que d’après lui. Son sujet, d’ailleurs respectable, ne permet pas les critiques qu’on pourrait faire si c’était un sujet d’invention. Le spectateur suppose avec Racine que Joad est en droit de faire tout ce qu’il fait ; et ce principe une fois posé, on convient que la pièce est ce que nous avons de plus parfaitement conduit, de plus simple et de plus sublime. Ce qui ajoute encore au mérite de cet ouvrage, c’est que de tous les sujets, c’était le plus difficile à traiter.
On a imprimé avec quelque fondement que Racine avait imité dans cette pièce plusieurs endroits de la tragédie de la Ligue, faite par le conseiller d’état Matthieu, historiographe de France sous Henri IV, écrivain qui ne faisait pas mal des vers pour son temps. Constance dit dans la tragédie de Matthieu (2) :
Je redoute mon Dieu, c’est lui seul que je crains.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
On n’est point délaissé quand on a Dieu pour père.
Il ouvre à tous la main, il nourrit les corbeaux ;
Il donne la pâture aux jeunes passereaux,
Aux bêtes des forêts, des prés et des montagnes :
Tout vit de sa bonté.
Racine dit :
Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte
Athalie, acte I, scène I.
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s’étend sur toute la nature.
Acte II, scène VII.
Le plagiat paraît sensible, et cependant ce n’en est point un ; rien n’est plus naturel que d’avoir les mêmes idées sur le même sujet. D’ailleurs Racine et Matthieu ne sont pas les premiers qui aient exprimé des pensées dont on trouve le fond dans plusieurs endroits de l’Ecriture.
1 – Athalie, II, 7.
2 – La pièce est de R.-J. Nérée, et non de Matthieu.