DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme ART DRAMATIQUE - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme ART DRAMATIQUE - Partie 6

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A comme ART DRAMATIQUE.

 

 

 

 

D’ADDISON.

 

 

 

 

 

          Cet homme célèbre, qui fleurissait sous la reine Anne, est peut-être celui de tous les écrivains anglais qui sut le mieux conduire le génie par le goût. Il avait de la correction dans le style, une imagination sage dans l’expression, de l’élégance, de la force et du naturel dans ses vers et dans sa prose. Ami des bienséances et des règles, il voulait que la tragédie fût écrite avec dignité, et c’est ainsi que son Caton est composé.

 

          Ce sont, dès le premier acte, des vers dignes de Virgile, et des sentiments dignes de Caton. Il n’y a point de théâtre en Europe où la scène de Juba et de Syphax ne fût applaudie comme un chef-d’œuvre d’adresse, de caractères bien développés, de beaux contrastes, et d’une diction pure et noble. L’Europe littéraire, qui connaît les traductions de cette pièce, applaudit aux traits philosophiques dont le rôle de Caton est rempli.

 

          Les vers que ce héros de la philosophie et de Rome prononce au cinquième acte, lorsqu’il paraît ayant sur sa table une épée nue, et lisant le Traité de Platon sur l’immortalité de l’âme, ont été traduits dès longtemps en français ; nous devons les placer ici.

 

Oui, Platon, tu dis vrai, notre âme est immortelle ;

C’est un Dieu qui lui parle, un Dieu qui vit en elle.

Eh ! d’où viendrait sans lui ce grand pressentiment,

Ce dégoût des faux biens, cette horreur du néant ?

Vers des siècles sans fin je sens que tu m’entraînes ;

Du monde et de mes sens je vais briser les chaînes,

Et m’ouvrir, loin d’un corps dans la fange arrêté,

Les portes de la vie et de l’éternité.

L’éternité ! quel mot consolant et terrible !

O lumière ! ô nuage ! ô profondeur horrible !

Que suis-je ? où suis-je ? où vais-je ? et d’où suis-je tiré ?

Dans quels climats nouveaux, dans quel monde ignoré

Le moment du trépas va-t-il plonger mon être ?

Où sera cet esprit qui ne peut se connaître ?

Que me préparez-vous, abîmes ténébreux ?

Allons, s’il est un Dieu, Caton doit être heureux.

Il en est un sans doute, et je suis son ouvrage.

Lui-même au cœur du juste il empreint son image.

Il doit venger sa cause et punir les pervers.

Mais comment ? dans quel temps ? et dans quel univers ?

Ici la Vertu pleure, et l’Audace l’opprime ;

L’Innocence à genoux y tend la gorge au Crime ;

La Fortune y domine, et tout y suit son char.

Ce globe infortuné fut formé pour César.

Hâtons-nous de sortir d’une prison funeste,

Je te verrai sans ombre, ô vérité céleste !

Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil ;

Cette vie est un songe, et la mort un réveil.

 

          La pièce eut le grand succès que méritaient ses beautés de détail, et que lui assuraient les discordes de l’Angleterre, auxquelles cette tragédie était en plus d’un endroit une allusion très frappante. Mais la conjoncture de ces allusions étant passée, les vers n’étant que beaux, les maximes n’étant que nobles et justes, et la pièce étant froide, on n’en sentit plus guère que la froideur. Rien n’est plus beau que le second chant de Virgile ; récitez-le sur le théâtre, il ennuiera : il faut des passions, un dialogue vif, de l’action. On revient bientôt aux irrégularités grossières mais attachantes de Shakespeare.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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