CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 29

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 29

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à M. le comte d’Argental.

 

23 Septembre 1765.

 

 

          Or, mes anges, voilà donc mon ami Fabry agent par intérim de la parvulissime république de Genève. Mais quand vous voudrez, vous m’enverrez les roués ; et, en attendant, permettez que je vous adresse ce petit mot pour le duc de Vendôme (1).

 

          Je viens de lire le sublime Eloge de Descartes, par M. Thomas. J’aime mieux lire, je vous jure, le panégyriste que le héros. C’est un homme d’un rare mérite que ce Thomas ; et ni Thomas d’Aquin, ni Thomas Didyme, ni Thomas de Cantorbéry, n’approchent de lui. Il avait bien voulu m’envoyer son ouvrage, et le paquet contre-signé Praslin était resté chez ce pauvre Monpéroux pendant sa dernière maladie.

 

          Vous voyez donc bien que je reçois mes paquets contresignés, à moins que les résidents ne soient morts, et que c’est pure malice si vous ne m’envoyez pas les roués, et pure malice encore si Lekain ne me fait pas tenir sa vieille Adélaïde : car, encore une fois, je suis très en peine de savoir laquelle des trois copies est la passable.

 

          Vous vous souciez fort peu de savoir que l’impératrice de Russie, la bonne amie de l’abbé Bain, voulait avoir des filles pour enseigner le français aux petites filles de son empire. Plusieurs étaient déjà parties. Le conseil de Genève a trouvé cela fort mauvais ; et, sans aucun respect pour l’impératrice, il a fait arrêter ces filles dans l’Etat de Berne, qui a favorisé leur enlèvement. L’auguste et ferme Catherine sera très courroucée, et moi je le suis aussi. Cette action me paraît brutale et tyrannique. Je ne prends plus le parti du conseil génevois que pour mes dîmes.

 

          Voici un placet pour Lekain, sur lequel je vous demande votre protection.

 

 

1 – Lekain. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

24 Septembre 1765 (1).

 

 

          Mon cher grand acteur, vous voyez comme ce public approuve aujourd’hui ce qu’il condamnait hier, et condamne ce qu’il approuvait. Il n’appartient qu’au temps de fixer nos têtes de girouette. J’ai chez moi deux leçons d’Adélaïde fort différentes l’une de l’autre ; je soupçonne que la pièce, telle qu’on l’a jouée en dernier lieu, diffère encore de mes deux exemplaires. Je vous prie de m’envoyer l’exemplaire sur lequel vous vous êtes déterminé, afin qu’ayant confronté le tout, je puisse en former une pièce passable, que je vous ferai parvenir, avec une petite préface à la louange des Welches qui ne changent jamais d’opinion. J’ai grand’peur que vous ne les ayez séduits, et qu’ils n’aient pris vos talents pour de beaux vers.

 

          Je vous remercie du petit relevé de la reprise d’Oreste que vous m’avez envoyé. Pourriez-vous pousser vos recherches et votre amitié pour moi jusqu’à m’instruire du nombre de représentations qu’Oreste a eues depuis cette reprise, et de la recette de ces représentations ? car on dit que c’est la recette qui est le thermomètre du succès. Je voudrais bien obtenir aussi que vous me fissiez la même grâce

 

Sur l’Electre française (2) à la mode soumise,

Pour le galant Itys si galamment éprise.

 

Epître à mademoiselle Clairon.

 

          Je suis curieux de savoir l’histoire de mon siècle.

 

          Vous pourriez mettre le tout dans une enveloppe de toile cirée, ficelée, à la diligence de Lyon, à l’adresse de votre serviteur :

 

          Par la diligence de Lyon pour la messagerie de Genève.

 

          Je vous embrasse bien tendrement, cher soutien des spectacles et des plaisirs des Welches et des Français.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

2 – L’Electre de Crébillon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Riquet de Bonrepos. (1)

 

24 Septembre (2).

 

 

          Ayant écrit au juge des Sirven, nommé par vous, une lettre dans laquelle il a fallu que votre nom se trouvât, j’ai cru qu’il était de mon devoir de vous en envoyer copie, ainsi que du billet que j’écris à Sirven ; et, si le juge subalterne n’ose pas faire rendre ce billet à un accusé qui est en prison, c’est à vous, monsieur, que je dois avoir recours, et je vous conjure de vouloir bien ordonner que ce billet lui soit rendu pour consoler et encourager un innocent très malheureux, que l’horreur de la prison et la longueur des formes peuvent jeter dans le désespoir.

 

          Je n’ai aucune recommandation auprès de vous ; mais votre équité me suffit.

 

          Je ne prendrai point la liberté de vous parler du fond de l’affaire ; vous la connaissez mieux que moi, et je ne pourrais que répéter ce que j’ai dit dans ma lettre à M. Astruc (3). Permettez-moi seulement de vous assurer que si mon âge et ma santé me permettaient d’aller à Toulouse, je viendrais implorer vos bontés pour Sirven ; et je présume que je les obtiendrais d’un cœur aussi juste et aussi généreux que le vôtre.

 

          J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, etc.

 

 

1 – Procureur-général du parlement de Toulouse. (G.A.)

2 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

3 – Médecin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Élie de Beaumont.

 

A Ferney, 26 Septembre 1765.

 

 

          Vous entreprenez, monsieur, un ouvrage digne de vous, en essayant de réformer la jurisprudence criminelle. Il est certain qu’on fait trop peu de cas en France de la vie des hommes. On y suppose apparemment que les condamnés, étant dûment confessés, s’en vont droit en paradis. Je ne connais guère que l’Angleterre où les lois semblent plus faites pour épargner les coupables que pour sacrifier l’innocence. Croyez que partout ailleurs la procédure criminelle est fort arbitraire.

 

          Le roi de Prusse a fait un petit code intitulé le Code selon la raison, comme si le Digeste était selon la folie ; mais, dans ce code, le criminel est oublié. Le meilleur usage établi en Prusse, comme dans toute l’Allemagne et en Angleterre, est qu’on n’exécute personne sans la permission expresse du souverain. Cette coutume était établie en France autrefois. On est un peu trop expéditif chez vous : on y roue les gens de broc en bouche, avant que le voisinage même en soit informé ; et les cas les plus graciables échappent à l’humanité du souverain.

 

          J’ai écrit en Suisse, selon vos ordres. Je ne peux mieux faire que de vous envoyer la réponse de M. de Correvon, magistrat de Lausanne ; mais vous trouverez sûrement plus de lumières en vous que dans les jurisconsultes étrangers.

 

          A l’égard des Sirven, M. de Lavaysse me mande que l’ordonnance du parlement de Toulouse, portant permission à un juge sabalterne d’effigier son prochain, n’est point regardée comme une confirmation de sentence. Voilà, je vous l’avoue, une singulière logomachie. Quoi ! la permission de déshonorer un homme, et de confisquer son bien, n’est pas un jugement ! Le parlement donne donc cette licence au hasard ? Ou la sentence lui paraît juste ou inique. Il en ordonne l’exécution, il confirme donc la justice ou l’iniquité. Il ne peut ordonner cette exécution qu’en connaissance de cause. De bonne foi, est-ce une simple affaire de style d’ordonner la ruine et la honte d’une famille ? Voilà un beau champ pour votre éloquence.

 

          La rage d’accuser en Languedoc les pères de tuer les enfants subsiste toujours. Un enfant meurt d’une fièvre maligne à Montpellier ; le médecin va voyager ; pendant son voyage, on accuse le père d’avoir assassiné son fils. On allait le condamner, lorsque le médecin arrive, parle aux juges, les fait rougir, et le père prend actuellement les juges à partie. Cette aventure pourrait bien mériter un épisode dans votre mémoire. Je vais écrire au médecin pour savoir le nom de ce brave père.

 

          Adieu, monsieur ; j’ai le malheur de n’avoir vu ni madame de Beaumont ni vous, mais j’ai le bonheur de vous aimer tous deux de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

Ferney, 29 Septembre 1765.

 

 

          Je suis outré, monsieur, de m’être défait des Délices, où j’ai eu le bonheur de vous voir ; mais heureusement je suis encore votre voisin. Jugez avec quelle joie j’ai appris que vous allez résider à Genève ! c’est un bénéfice simple tout fait pour un prêtre de la philosophie tel que vous êtes. Je suis devenu bien vieux et bien faible depuis votre voyage en ce pays-là. Mais mon cœur n’a point vieilli ; il est pénétré pour vous de la même estime et de la même amitié. Je suis condamné à rester chez moi ; mais j’espère être consolé quand je pourrai vous y assurer des tendres et respectueux sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

 

 

          Vous avez très bien fait, mon cher Roscius, de m’envoyer la copie d’Adélaïde, et vous auriez beaucoup mieux fait de me l’envoyer dès les premières représentations ; vous l’auriez déjà prête à imprimer, avec un discours préliminaire qui peut-être sera assez plaisant, et qui contribuera à votre débit.

 

          La copie que vous m’envoyez est pleine de fautes ; je les corrigerai de mon mieux, et je vous renverrai le tout dès que je croirai la pièce moins indigne de vos grands talents et de votre amitié.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

2 octobre 1765.

 

 

          A peine le petit prêtre a-t-il reçu les roués de la part de ses divins anges, qu’il s’est mis sur-le-champ à faire ce que lesdits anges ont prescrit, excepté à la scène d’Octave et de Julie. Le pauvre diable confesse qu’il ne peut réchauffer cette scène, et il dit qu’il lui est impossible de faire d’Octave un amoureux violent. L’impuissance dont il convient lui fait beaucoup de peine ; mais il dit que c’est le seul vice dont on ne peut pas se corriger.

 

          Ce malheureux prêtre renverra, le plus tôt qu’il pourra, ses roués, avec l’honnête préface convenable en pareil cas.

 

.  .  .  .  .  .  .  . Le temps ne fait rien à l’affaire.

 

Misanthrope.

 

Il compte sur les gens qui aiment l’histoire romaine ; mais comme il y en a beaucoup plus qui aiment l’opéra-comique, il n’espère pas un succès prodigieux.

 

          Pour moi, j’attends Adélaïde, et je la renverrai aussi avec sa préface, car il me semble qu’elle en mérite une.

 

          Je ne savais point que Clairon eût manqué à mes anges, quand je lui fis, je ne sais comment, des vers hexamètres (1) comme pour une héroïne romaine ; mais elle avait si bien joué Electre, elle avait été si fêtée par tout le pays, elle avait été si honnête et si polie, que j’en fus enquinaudé.

 

          On dit qu’il n’est pas bien sûr que l’on donne à Fontainebleau toutes les fêtes qu’on préparait.

 

          J’ai écrit un petit mot de félicitation à M. Hennin. M. le duc de Praslin ne pouvait faire un meilleur choix ; ce sera un homme de bonne compagnie de plus dans notre petit canton allobroge. J’adressai ma lettre à M. de Saint-Foix (2), ne sachant pas si M. Hennan est à Paris.

 

          Le plaisant secrétaire d’ambassade que Jean-Jacques ! voilà un étrange original ; c’est bien dommage qu’il ait fait le Vicaire savoyard. La conversation de ce vicaire méritait d’être écrite par un honnête homme.

 

          J’ai vu, depuis peu, des fatras d’instructions pastorales, d’arrêts contre les instructions, d’arrêts contre les arrêts, et de lettres contre les arrêts, et de lettres sur les miracles de Jean-Jacques, et j’ai conclu qu’une tragédie est plus touchante, et que ce qui plaît aux dames est plus agréable ; et j’ai dit dans mon cœur : il n’y a de bon que de souper avec ses amis, et de se réjouir dans ses œuvres ; et j’ai surtout ajouté que la consolation de la vie consiste à être un peu aimé de ses divins anges, ces divins anges à qui je n’ai pas l’honneur d’écrire de ma main, attendu que je suis retombé dans mes malingreries, et je ne m’en mets pas moins à l’ombre de leurs ailes.

 

 

1 – Epître à mademoiselle Clairon. (G.A.)

2 – Ou plutôt Sainte-Foy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

4 Octobre 1765.

 

 

          Mon ancien ami, je commence à être aussi paresseux que vous l’étiez, ou du moins à le paraître. Je comptais vous écrire par M. Damilaville ; il a heureusement pour moi différé son retour à Paris de jour en jour. Je lui donne ma lettre ; elle vous parviendra comme elle pourra. Deux choses me charment dans ce M. Damilaville, sa raison et sa vertu. Pourquoi faut-il qu’un homme de son mérite languisse dans la perception du vingtième ? Voilà un métier bien indigne de lui.

 

          Mademoiselle Clairon va jouer à Fontainebleau, mais y aura-t-il un Fontainebleau ? On dit que l’indisposition de monseigneur le dauphin dérange ce voyage (1). Nous autres, pauvres laboureurs du pied des Alpes, nous savons mal les nouvelles de la cour, et nous nous contentons de dire dans nos chaumières, Sanitatem regi da, et sanitatem filio regis.

 

          Je ne connais plus du tout cette Adélaïde dont vous me dites tant de bien : il y a trente ans que je l’ai oubliée. Il plut alors au public de la condamner ; il plaît au public d’aujourd’hui de l’applaudir, et il me plaît à moi de rire de ces inconstances. J’ai prié qu’on m’envoyât une copie de cette pièce, car je veux aussi juger à mon tour.

 

          J’ai ici un jeune dragon nommé M. de Pesay (2), qui fait des vers tout pleins d’esprit et d’images. Il m’en a apporté de son ami M. Dorat, avec qui il loge à Paris ; ce M. Dorat en fait aussi de charmants : cela ragaillardit ma vieillesse, que M. Damilaville soutient par sa philosophie. Je me trouve entre la raison et les grâces ; vous ne seriez pas de trop assurément dans cette bonne compagnie-là.

 

          Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne pas m’oublier, et surtout de me dire comment votre santé se trouve des approches de l’hiver.

 

          Avez-vous fait le mariage dont vous me parliez (3) ? Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

 

 

1 – La cour alla à Fontainebleau, et le dauphin y mourut le 20 Décembre. (G.A.)

2 – Le marquis de Pezay, né en 1741, mort en 1777. (G.A.)

3 – Voyez la lettre à Thieriot du 30 auguste. (G.A.)

 

 

 

 

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