CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 23

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à Mademoiselle Clairon.

 

Aux Délices, 12 Juillet (1).

 

 

          Il n’y a, mademoiselle, que le plaisir de vous voir et de vous entendre qui puisse me ranimer : vous serez ma fontaine de Jouvence. J’ai auprès de moi à présent toute ma famille ; je vous l’amènerai ; nous passerons les monts pour vous admirer. Tout ce qu’on me dit de vous me ferait courir au bout du monde pour vous seule. Je vous connaissais déjà les plus grands talents ; vous les avez poussés depuis quelques années à cette perfection à laquelle il est si rare d’arriver. Il n’y a personne qu’on vous compare. Serais-je assez heureux encore pour faire quelque chose que vous daignassiez embellir ? Il faut que je me hâte ; car malheureusement je baisse autant que vous vous élevez. Il ne vous faut ni de vieux soupirants, ni de vieux poètes. Je ne sais pas encore dans quel temps vous serez à Lyon ; mais j’écris à Lyon pour m’en informer, dans la crainte que ma réponse ne vous  trouve plus à Marseille.

 

          M. le duc de Villars m’a fait l’honneur de me mander qu’il était enchanté de vous. Vraiment je le crois bien. J’espère que M. Tronchin me mettra bientôt en état d’être au nombre de ceux que vous étonnerez à Lyon, et à qui vous arracherez des larmes. Comptez que personne ne s’intéresse plus que moi à vos succès, à votre gloire et à votre bonheur. C’est avec ces sentiments que je serai toute ma vie, mademoiselle, votre, etc.

 

 

1 – Cette lettre, mise ici par tous les éditeurs, n’est pas à sa place. Elle appartient à l’année 1760. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

15 Juillet 1765.

 

 

          Mes anges, le présent paquet contient deux choses bien importantes que je mets sous votre protection : la première consiste en mauvais vers pour mettre à la place d’autres mauvais vers de l’ex-jésuite dans vos roués ; la seconde est un paquet de pièces (1) un peu meilleures que nous présentons, madame Denis et moi, à M. de Calonne, et nous espérons qu’elles ne seront point sifflées, grâce à vos bontés. Nous présumons que nos anges gardiens voudront bien lui faire parvenir ce paquet, qui est réellement pour nous de la plus grande importance ; il contient l’acte de l’inféodation de nos dîmes.

 

          Je voudrais perdre mes dîmes, et que les roués fussent intéressants ; mais on ne peut tirer d’un sujet que ce qu’il comporte. Je le trouve intéressant, moi, parce que j’aime mieux les Romains que les Welches et les Bretons du quatorzième siècle ; mais les Romains ne sont plus à la mode. Je demande bien pardon à mes anges des libertés que je prends toujours avec eux.

 

          Je les supplie de vouloir bien faire agréer, par M. le duc de Praslin, mon respect et ma reconnaissance.

 

 

1 – Pour l’affaire des dîmes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

16 Juillet 1765.

 

 

          Je me hâte, monsieur, de répondre à votre lettre du 5 de Juillet. Non, sans doute, le parlement de Toulouse ne peut rien contre l’arrêt d’un tribunal suprême nommé par le roi pour juger en dernier ressort, et jugeant au nom du roi même. Je crois l’arrêt des maîtres des requêtes affiché actuellement dans Toulouse par un huissier de la chaîne. Toute la famille Calas doit rentrer dans son bien, dans son état, dans sa renommée ; la mémoire de Jean de Calas est réhabilitée, et il ne manque à cette famille que le pardon que les huit juges fanatiques doivent lui demander à genoux l’argent à la main. Je ne sais pas ce que fera ce parlement, mais je sais que les lois, le conseil d’Etat, la France et l’Europe entière le condamnent. On est occupé à présent à tirer du greffe la sentence qui a condamné les Sirven ; si on y parvient, nous aurons bientôt deux grands monuments du fanatisme de province et de l’équité de Versailles.

 

          L’impératrice de Russie a écrit une lettre charmante, pleine de raison et d’esprit, au neveu de l’abbé Bazin. On pense dans le Nord comme auprès d’Angoulême.

 

          La nièce a pour vous, monsieur, les mêmes sentiments que moi. Continuez à aimer le bien et à le faire.

 

          Vous savez que ce n’est point à moi d’écrire la lettre que vous voulez bien demander, puisque je n’ai point vu la sottise à laquelle vous croyez qu’il faut répondre : on ne peut écrire au hasard. Je ne peux rien ajouter à ce que j’ai eu l’honneur de vous mander (1) à ce sujet.

 

          Adieu, monsieur ; permettez-moi de vous embrasser très tendrement.

 

 

1 – Le 15 Juin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Clairon.

 

A Ferney, 23 (1).

 

 

          Si j’avais pu, mademoiselle, recevoir votre réponse avant de vous avoir écrit mon Epître (2), cette épître vaudrait bien mieux ; car j’ai oublié cette louange qui vous est due d’avoir appris le costume aux Français. J’ai très grand tort d’avoir omis cet article dans le nombre de vos talents ; je vous en demande bien pardon, et je vous promets que ce péché d’omission sera réparé. Ménagez votre santé, qui est encore plus précieuse que la perfection de votre art. J’aurais bien voulu que vous eussiez pu passer quelque mois auprès d’Esculape-Tronchin ; je me flatte qu’il vous aurait mise en état d’orner longtemps la scène française à laquelle vous êtes si nécessaire. Quand on pousse l’art aussi loin que vous, il devient respectable même à ceux qui ont la grossièreté barbare de le condamner. Je ne prononce pas votre nom, je ne lis pas un morceau de Corneille ou une pièce de Racine, sans une véhémente indignation contre les fripons et contre les fanatiques qui ont l’insolence de proscrire un art qu’ils devraient du moins étudier, pour mériter, s’il se peut, d’être entendus quand ils osent parler. Il y a tantôt soixante ans que cette infâme superstition me met en colère. Ces animaux-là entendent bien peu leurs intérêts de révolter contre eux ceux qui savent penser, parler et écrire, et de les mettre dans la nécessité de les traiter comme les derniers des hommes. L’odieuse contradiction de nos Français, chez qui ont flétrit ce qu’on admire, doit vous déplaire autant qu’à moi et vous donner de violents dégoûts. Plût à Dieu que vous fussiez assez riche pour quitter le théâtre de Paris et jouer chez vous avec vos amis, comme nous faisons dans un coin du monde, où nous nous moquons terriblement des sottises et des sots !

 

          J’ai bien résolu de n’en pas sortir ; soyez aussi heureuse que vous méritez de l’être ; croyez que je vous admire autant que je méprise les ennemis de la raison et des arts, et que je vous aime tant que je les déteste. Conservez-moi vos bontés ; je sens tout ce que vous valez : c’est beaucoup dire.

 

 

1 – Encore une lettre qui n’est pas à sa place. Tous les éditeurs la datent du 23 Juillet 1765, et c’est le 23 Juillet 1761 qu’elle a dû être écrite. (G.A.)

2 – L’Epître à Daphné. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

23… (1).

 

 

          Je me jette plus que jamais aux pieds et aux ailes de mes anges. Voici des papiers dont dépend le sort de la famille Sirven. Je connais leur bonté ; ainsi, je ne leur fais point d’excuses. Je leur ai envoyé, sous l’enveloppe de M. le duc de Praslin, les nouveaux roués ; il y a encore quelques changements depuis ce temps-là. Le jeune auteur est très docile ; il est aux ordres de mes anges. Mademoiselle Clairon arrive demain. Le théâtre est rebâti ; mais je n’en peux plus.

 

          Respect et tendresse.

 

P.S. – J’ai encore pris la liberté de leur adresser un paquet pour M. de Calonne, qui renferme la pièce la plus décisive.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. C’est à tort que les éditeurs avaient daté cette lettre de janvier ; elle est du 23 Juillet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

28 Juillet 1765  (1).

 

 

          C’est pour vous dire, mon ancien ami, qu’un inconnu qui signe Lachassaigne m’écrit qu’il a besoin d’argent. Il est commis, à ce qu’il dit, au bureau des Affiches. Il dit qu’il ira prendre ma réponse chez vous. Cette réponse est que je voudrais soulager tous ceux qui sont dans le besoin, mais que M. Delaleu a fait pour moi tant d’avances qu’il n’est pas possible que je lui en demande de nouvelles.

 

          Je suis fort en peine de deux affaires qui doivent intéresser tous les honnêtes gens : il s’agit de la pension d’Archimède et de l’algarade qu’on a faite à M. de Beaumont.

 

          Mademoiselle Clairon vient demain chez moi. J’attends avec impatience mon philosophe Damilaville, et je voudrais bien que vous fussiez du voyage.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

28 Juillet 1765 (1).

 

 

          Si cette lettre vous trouve encore à Paris, mon cher ami, je vous apprends qu’un gros paquet, contenant des pièces essentielles pour les Sirven, que j’envoyais, à M. Elie de Beaumont sous l’enveloppe de M. d’Argental revêtue encore de celle de M. le duc de Praslin, a été décacheté à la poste, et je ne sais si on l’a rendu à M. de Beaumont avec la taxe énorme de Genève, ou si on l’a retenu, ou si M. d’Argental a été vexé des frais du port. J’ai toujours recours à vous dans mes détresses. Vous verrez sans doute M. d’Argental et M. de Beaumont avant de faire ce voyage qui fait mon espérance la plus flatteuse. J’ose vous supplier de rendre à l’un ou à l’autre les frais que cette vexation aura pu lui coûter.

 

          Je suis bien plus en peine de l’affaire cruelle que plusieurs avocats ont suscitée à M. de Beaumont. Je ne connais guère d’injustice plus punissable. Ah ! mon cher ami, de combien d’injustices nous parlerons quand j’aurai l’honneur de vous voir ! N’oubliez pas, je vous prie, de voir Archimède (2) qui sans doute vous chargera d’un petit mot pour moi.

 

          Nous avons demain mademoiselle Clairon ; mais vous savez si je préfère la philosophie à la déclamation la plus parfaite. Vous savez avec quelle impatience je vous attends. Je suis bien malade ; je ne veux de confesseur que vous.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. C’est à tort que ces éditeurs ont mis à cette lettre l’adresse de d’Alembert. (G.A.)

2 – D’Alembert. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

28 Juillet 1765.

 

 

          Nous avons été confondus, mes divins anges, de votre lettre du 18 de Juillet. Le paquet que le jeune homme vous avait envoyé était adressé à M. le duc de Praslin ; il contenait l’ouvrage de ce pauvre petit novice. J’y avais joint une grande lettre que je vous écrivais, avec un mémoire pour M. de Calonne, accompagné de l’original de l’inféodation des dîmes de Ferney et de la preuve que ces dîmes ont toujours appartenu aux seigneurs. Tout cela formait un paquet considérable, et on croyait que le nom de M. le duc de Praslin serait respecté. S’il n’avait été question que de l’ouvrage du jeune homme, on n’aurait pas manqué de l’envoyer tout ouvert, ce paquet seul pouvant être pour lui comme pour vous : mais on avait, par discrétion, adressé le tout à votre nom, pour ne pas abuser de celui de M. de Praslin, jusqu’au point de le charger de mes mémoires pour le rapporteur des dîmes de Genève et des miennes. Nous n’avions abusé que de vos bontés ; ce sont nos précautions qui ont occasionné l’ouverture du paquet et probablement aussi l’ouverture d’un autre que je vous adressai huit jours après (1). Ce dernier contenait des pièces  essentielles sur le procès des Sirven, que vous voulez bien protéger ; elles étaient pour M. Elie de Beaumont, qui vous fait quelquefois sa cour. Je ne doutais pas encore une fois que ces deux paquets à l’adresse de M. le duc de Praslin ne fussent en sûreté.

 

          Je crains aujourd’hui que ceux de M. de Calonne ne soient perdus aussi bien que ceux de M. de Beaumont.

 

          J’ose vous supplier de m’informer de ce que ces paquets vous ont coûté ; j’espère qu’on vous rendra votre déboursé. Je suis à vos pieds, et je rougis de tous les embarras que je vous cause ; mais les papiers pour MM. de Calonne et de Beaumont sont si essentiels, que je ne balance pas à vous supplier de vous faire informer s’ils ont été reçus. Il se peut que les commis de la poste aient décacheté la première enveloppe, et qu’ils aient envoyé les paquets à leurs adresses respectives ; il se peut aussi qu’ils ne l’aient pas fait, et que tout soit perdu ; en ce cas, j’en serais pour mes dîmes, et Sirven pour son bien et pour sa roue. Pardonnez à mon inquiétude et agréez la confiance que j’ai en vos bontés.

 

          Cette aventure m’afflige d’autant plus qu’on m’apprend l’affaire désagréable que Beaumont essuie d’une grande partie de ses prétendus confrères, et je ne sais encore comment il s’en est tiré.

 

          On me dit dans ce moment que l’infant est mort de la petite-vérole naturelle (2), après avoir sauvé son fils par l’artificielle. Je me flatte que cette mort funeste ne changera rien à votre état, et que vous serez ministre du fils comme du père. Je suis si affligé, et d’ailleurs si malade et si faible, que je n’ai pas le courage de vous parler de votre jeune homme. J’avais une cinquantaine de corrections à vous faire tenir de sa part ; ce sera pour une autre occasion. Vous pouvez compter qu’il songera très sérieusement à tout ce que vous lui faites l’honneur de lui dire ; il est aussi docile à vos avis que sensible à vos bontés.

 

          Nous avons ce soir mademoiselle Clairon. J’aurais bien d’autres choses à vous communiquer mais vous savez qu’on est privé de la consolation d’ouvrir son cœur. Respect et tendresse.

 

 

1 – Le 23 Juillet. (G.A.)

2 – Le 18 Juillet. (G.A.)

 

 

 

 

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