PRIX DE LA JUSTICE ET DE L'HUMANITÉ - Partie 5

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PRIX DE LA JUSTICE ET DE L'HUMANITÉ - Partie 5

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PRIX DE LA JUSTICE ET DE L’HUMANITÉ

 

 

(Partie 5)

 

 

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ARTICLE X.

 

Du sacrilège.

 

 

          En tout pays, détruire ou insulter les choses sacrées du pays, il est clair par le seul mot que c’est un sacrilège. Le Romain qui, ayant tué un chat consacré en Egypte, fut massacré par le peuple dévot en fureur, avait commis un sacrilège envers les Egyptiens, parce qu’étant seul contre une nation entière, il avait offensé la religion dominante du pays. Mais quand le roi de Perse, Cambyse, vainqueur de ces superstitieux et lâches Egyptiens, tua leur dieu Apis, et qu’il l’immola probablement à son dieu Mithra, peut-on dire qu’il commit un sacrilège ? Non, sans doute ; il punissait en maître un peuple méprisable qui faisait d’une étable un sanctuaire, et qui révérait le fumier d’un bœuf.

 

          Je suppose qu’en effet le grand lama donne à baiser, et, si l’on veut, à sucer le résidu de sa garde-robe enchâssé dans une feuille d’or, qu’on présente cette relique à l’empereur de la Chine, et que l’empereur, justement indigné, la fasse jeter dans les réservoirs dédiés par les anciens Romains à la déesse Cloacina, seul séjour digne d’un tel joyau : certainement on n’osera pas dire, même chez les lamas, que l’empereur chinois soit un sacrilège. Mais qu’un citoyen du royaume de Boutan, sujet du grand lama, fasse le même usage de ce qui vient des entrailles de son maître, il est coupable de lèse-majesté divine et humaine, sans difficulté. Et il ne faut pas croire que cette énorme différence ne se trouve que dans des cas pareils ; elle est dans toutes les lois faites par les hommes. « Vérité et justice en deçà de ce ruisseau, erreur et injustice au-delà, » comme l’a dit Pascal après tant d’autres (1).

 

          Vous avez sans doute entendu parler de la catastrophe arrivée l’an 1766, à quelques enfants d’une petite ville d’un royaume voisin (2). Ce royaume possède une espèce de gens inconnus chez nous (3). Ils sont vêtus autrement que les autres hommes. Leurs cuisses, leurs jambes et leurs pieds sont nus ; leur barbe descend à la ceinture ; une corde les ceint ; ils mettent dans leurs manches ce que nous mettons dans nos poches ; nous parlons par la bouche, et ils parlent par le nez. Les anciens Bretons, qui demeurent à l’occident de la mer d’Allemagne (4), ne croient pas que ces animaux soient des hommes. Il y a même une loi de leur courir sus, s’ils abordent dans l’île. Mais dans les petites villes du continent dont je vous parle, ils sont si révérés, certains jours de l’année, quand ils font certaines fonctions interdites dans notre pays, qu’il faut se mettre à genoux quand ils passent deux à deux dans la rue.

 

          Or, un jour qu’ils passaient, quelques enfants, qui en savaient peut-être trop pour leur âge, négligèrent de s’agenouiller. On prétend même qu’ils montrèrent peu de respect pour une figure de bois (5) que nous ne souffrons point dans notre république, et qui en effet par elle-même (si on la distingue de l’objet adorable qu’elle représente mal) ne mérite pas beaucoup de considération. L’irrévérence de ces enfants envers ce bois ne fut même jamais constatée ; les délateurs n’insistèrent que sur une vieille chanson de corps-de-garde chantée à table ; et cette chanson, que personne ne connaît, fut qualifiée de crime de lèse-majesté divine au premier chef.

 

          Ce crime fut jugé par trois magistrats, dont l’un était l’ennemi reconnu des familles de ces enfants, l’autre un praticien marchand de cochons. J’ignore le troisième.

 

          On ne peut guère concevoir comment ce procès de sacrilège ne fut abandonné qu’à ces trois prétendus magistrats. Ce n’est que dans l’enfer des Grecs, imité de l’enfer égyptien, qu’autrefois, selon la fable, trois personnes formaient un tribunal assez complet pour juger l’univers.

 

          Quoiqu’il en soit, les trois Rhadamantes de village condamnèrent ces pauvres enfants à la torture ordinaire et extraordinaire, à l’amputation de la langue arrachée avec des tenailles, et enfin à être brûlés vifs.

 

          L’usage est dans ce pays que les sentences criminelles rendues dans un village soient revues dans une grande ville. Le tribunal de la grande ville revit donc le procès, et confirma le jugement à la pluralité de quinze voix contre dix. L’arrêt fut exécuté, autant qu’il fut possible, par cinq bourreaux que le grand tribunal délégua exprès sur les lieux. L’Europe entière frémit d’horreur (6).

 

          C’est sur quoi, messieurs, je pourrais vous faire deux questions. La première, comment des hommes qui n’étaient pas des bêtes carnassières ont jamais pu imaginer qu’il suffisait de quelques voix de plus pour être en droit de déchirer dans des tourments affreux des créatures humaines ? ne faudrait-il pas au moins la prépondérance de trois quarts des voix ? En Angleterre tous les jurés doivent être d’accord ; et cela est bien juste. Quelle horreur absurde qu’on joue la vie et la mort d’un citoyen au jeu de six contre quatre, ou de cinq contre trois, ou de quatre contre deux, ou de trois contre un ! L’on nous dit que les Athéniens, à qui l’on proposa des spectacles trop sanguinaires, répondirent : « Renversez donc notre autel de ma miséricorde. » Ceux qui dévouèrent à la mort ces pauvres enfants n’avaient donc pas de semblables autels !

 

          La seconde question est sur l’objet même de l’arrêt. Sait-on bien ce que c’est qu’un crime de lèse-majesté divine ? Est-ce de vouloir assassiner Dieu, comme Lycaon se proposa d’assassiner Jupiter, qui était venu souper chez lui ? Est-ce de lui faire la guerre, comme autrefois les Titans, et ensuite les géants, la lui firent, et comme précédemment il en avait essuyé une très funeste de la part des anges, selon ce qu’on écrit les premiers brachmanes, pères des anciennes fables et des anciennes sciences ? Est-ce enfin de nier l’existence de Dieu, comme ont fait des philosophes impies de l’antiquité ? Certes, de malheureux enfants, livrés à cinq bourreaux par trois ignorants, n’avaient rien fait de tout cela.

 

          L’un d’eux (7), échappé aux cinq bourreaux, est un officier très sage, un homme vertueux. Il sert un très grand roi, qui, en le favorisant, apprend aux nations qu’il ne faut pas offenser Dieu jusqu’à prétendre le venger par des assassinats horribles, et qu’il ne faut pas se presser de brûler de jeunes inconsidérés qui peuvent devenir des hommes utiles et respectables.

 

          Quand on se représente que ces citoyens, d’ailleurs judicieux, ont signé le matin une abominable boucherie, et qu’ils vont le soir passer le temps chez des dames, entendre et dire des plaisanteries, et mêler des cartes de leurs mains ensanglantées, peut-on concevoir de tels contrastes ? et n’est-on pas fortement tenté de renoncer à la société des hommes ?

 

 

 

 

 

ARTICLE XI.

 

Des procès criminels pour des disputes de l’école.

 

 

 

 

          L’antiquité n’avait jamais imaginé de regarder une dispute entre Zénon et Diogène comme l’objet d’un procès criminel. Celui de Socrate fut après tout la plus douce des barbaries. Il n’y eut point de question ordinaire ou extraordinaire, point de roue de charrette sur laquelle on pliât les membres d’un citoyen, brisés méthodiquement à coups de barre de fer ; point de bûcher enflammé dans lequel on jetât le corps disloqué encore en vie, rien qui ressemble aux inventions des cannibales lettrés du douzième siècle. Ce fut un vieillard de soixante et dix ans qui, opprimé par la cabale de deux hypocrites, mourut doucement entre les bras de ses amis en bénissant Dieu et en prouvant l’immortalité de l’âme. Et à peine cette belle âme fut-elle envolée vers ce Dieu qui l’avait formée, que les Athéniens, honteux de leur crime juridiquement commis, condamnèrent plus juridiquement les accusateurs de Socrate, et lui élevèrent un temple. Ainsi la mort de ce martyr fut en effet l’apothéose de la philosophie.

 

          Mais comment, de la crasse de nos écoles, et de la crasse même du froc, s’est-il élevé des querelles qui n’étaient pas dignes du théâtre d’Arlequin, et qui ont sollicité la peine de mort dans tant de tribunaux de l’Europe ?

 

          A peine les frères mineurs, nommés cordeliers, furent-ils au monde, qu’ils dirent naître un schisme sur la forme de leur capuchon et sur d’autres objets aussi importants. Il s’agissait de savoir si, étant au réfectoire, leur potage leur appartenait en propre, ou s’ils n’en avaient que l’usufruit. Il en coûta du sang. Leur général Michel de Césène fut condamné à une prison perpétuelle ; et, lorsque l’empereur Louis de Bavière déposa dans Rome le pape Jean XXII et le condamna à être brûlé vif, lorsque Jean dépose l’empereur dans Avignon, cette querelle des cordeliers fut alléguée de part et d’autre comme un des grands motifs de la guerre. Depuis ce temps les disputes scolastiques ont souvent occupé la magistrature dans plus d’un pays.

 

          On sait que le prince Noir, encore plus grand que son père Edouard III, laissa en mourant la couronne d’Angleterre, dont il n’avait jamais joui, à son fils Richard II. Cet enfant fut si obsédé dans sa minorité par son confesseur et par des prêtres, si importuné de toutes leurs disputes, que le conseil privé du roi fut obligé de leur défendre à tous, et principalement au confesseur, de paraître à la cour plus de quatre fois par an (8).

 

          En France, il fallut souvent que le parlement contînt la Sorbonne par des arrêts. Le savant Ramus, bon géomètre pour son temps, et qui avait déjà de la réputation sous François Ier, ne se doutait pas alors qu’il se préparait une mort affreuse en soutenant une thèse contre la logique d’Aristote. Il fut longtemps persécuté, traduit même devant les tribunaux séculiers par un nommé Gallandius Torticolis. On le menaça de le faire condamner aux galères : de quoi s’agissait-il ? le principal objet de la dispute était la manière dont il fallait prononcer quisquis et quamquam.

 

          Enfin Ramus vécut assez pour être une des victimes de la Saint-Barthélemy. Ses ennemis attendirent ce grand jour pour se venger de sa réputation et du bien qu’il avait fait à la ville de Paris en fondant une chaire de géométrie. Ils traînèrent son corps sanglant à la porte de tous les collèges, pour faire amende honorable à la philosophie d’Aristote.

 

          Les disciples zélés du Stagyrite grec furent si encouragés chez les descendants des Gaulois, que longtemps après que l’ivresse et la rage de la Saint-Barthélemy furent passées, ils obtinrent, en 1624, un arrêt qui défendait, sous peine de mort, d’être d’un avis contraire à celui d’Aristote.

 

          Les inimitiés personnelles n’ont que trop souvent imploré le bras de la justice, et tâché d’épaissir son bandeau. On sait que les jésuites Coton et Garasse voulurent attaquer au conseil du roi le sage et savant Pasquier, qui avait plaidé contre eux devant le parlement ; mais enfin, ne trouvant pas jour à tenter une entreprise si hardie, Garasse se réduisit à plaider devant le public, et voici le morceau le plus éloquent de son plaidoyer :

 

          « Pasquier est un porte-panier, un maraud de Paris, petit galant bouffon, plaisanteur, petit compagnon, vendeur de sornettes, simple regage, qui ne mérite pas d’être le valeton des laquais ; bélître, coquin qui rote, pète et rend sa forge ; fort suspect d’hérésie, ou bien hérétique, ou bien pire ; un sale et vilain satyre, un archi-maître sot par nature, par bécarre, par bémol, sot à la plus haute gamme, sot à triple semelle, sot à double teinture, et teint en cramoisi, sot en toutes sortes de sottises (9). »

 

          S’il ne put prévaloir contre un homme aussi respectable que Pasquier, il réussit mieux à perdre le malheureux Théophile, qui, dans je ne sais quelle pièce de poésie, avait glissé ces trois vers assez peu mordants sur les jésuites :

 

Cette énorme et noire machine

Dont le souple et vaste corps

Etend ses bras jusqu’à la Chine, etc. (10)

 

          Une si légère injure, si c’en est une, ne mérite pas l’accusation d’athéisme que Garasse lui intenta. Ce jésuite, et un de ses confrères nommé Voisin, profitant du crédit de la compagnie, furent à la fois les accusateurs et les sergents qui firent enfermer Théophile dans le cachot de Ravaillac. Ils sollicitèrent violemment son supplice pendant une année entière ; mais le crédit de la maison de Montmorency, qui le protégeait, l’emporta sur le crédit de Garasse.

 

        Si la sage loi qui ordonne que l’accusateur risque la même peine que l’accusé, et subisse la même prison, avait été reçue en France, Garasse et son confrère auraient été plus retenus.

 

         D’autres jésuites n’eurent pas la même hardiesse avec le célèbre Fontenelle (11), qui avait embelli par les grâces de son esprit et de son style l’érudition profonde, mais peut-être un peu rebutante, de Van-Dale, dans son Histoire des oracles. Il n’était pas possible de déférer à une cour de judicature un livre si bon et si sagement écrit. Ils se contentèrent de solliciter contre l’auteur une lettre de cachet qu’ils n’obtinrent pas ; et par cette conduite même ils prouvèrent combien il est odieux de ne combattre des raisons que par l’autorité.

 

          Ne vous semble-t-il pas, messieurs, qu’en fait de livres il ne faut s’adresser aux tribunaux et aux souverains de l’Etat que lorsque l’Etat est compromis dans ces livres ? La loi d’Angleterre sur cette question ne mérite-t-elle pas de servir d’exemple à tous les législateurs qui voudront faire jouir l’homme des droits de l’homme ? Voulez-vous parler à tous vos compatriotes, vous ne pouvez parler que par vos livres : imprimez donc ; mais répondez de votre ouvrage. S’il est mauvais, on le méprisera ; s’il est dangereux, on y répondra ; s’il est criminel, on vous punira ; s’il est bon, on en profitera tôt ou tard.

 

          Quand on imprima les Pensées du duc de La Rochefoucauld, ou plutôt la pensée qui, présentée sous cent faces différentes, prouve que l’amour-propre est le grand ressort du genre humain, chacun trouva qu’il avait raison. Ce qu’on dit de plus fort contre lui, c’est que son livre était le portrait du peintre ; mais aucun de ceux qui avaient été ses ennemis du temps de la Fronde ne fut assez effronté pour s’exposer au ridicule de déférer son livre à un tribunal.

 

          Un homme recommandable par ses mœurs et par son esprit vient cent ans après ; il étend la pensée du duc de La Rochefoucauld dans un livre systématique (12). On se déchaîne contre ce nouveau venu, on lui fait un procès criminel au parlement de Paris ; c’est un vacarme terrible. Au bout de deux ans on ne s’en souvient plus ; c’est une preuve qu’il ne fallait pas fatiguer ce tribunal de cet inutile procès.

 

          Un homme de lettres éloquent (13) compose un roman moral de Bélisaire. Cette morale démontre qu’il faut regarder Dieu comme un père, et non comme un tyran capricieux, que nous devons notre haine au crime, et notre indulgence aux erreurs.

 

          Il y a un chapitre XV qui est applaudi surtout par plus d’une tête couronnée (14). Des théologiens inconnus s’élèvent contre ce chapitre XV (15) ; ils soulèvent des corps entiers ; ils aigrissent des hommes en place ; ils cabalent, ils essaient de faire condamner le livre et l’auteur par le premier parlement du royaume. Le parlement laisse sagement le public juge d’un livre écrit dans la vue de perfectionner les mœurs publiques.

 

          Ce n’était pas sans doute une chose frivole, une vaine dispute, que le livre intitulé Système de la nature (16). C’est un ouvrage de ténèbres mis en lumière, une déclamation perpétuelle sur le mal physique et le mal moral, qui de tout temps assiégèrent la nature. Ce livre trop répandu l’est pourtant moins que le poème de Lucrèce, dont les éditions sont innombrables, qui est traduit dans toutes les langues, et dont tant de vers sont dans toutes les bouches. Lucrèce même fut imprimé à l’usage du dauphin fils unique de Louis XIV, comme un livre classique, par les soins du vertueux duc de Montausier, et des savants illustres qui présidèrent sous lui à l’éducation de ce prince. Les éditeurs n’eurent pour objet que la poésie de l’auteur et la latinité. Ils méprisèrent trop son ignorante et ridicule physique, et ses raisonnements peut-être plus mauvais encore, pour croire que cette lecture fût dangereuse. Si des esprits faibles peuvent en être séduits, s’ils avalent ce poison, l’antidote est tout prêt dans les démonstrations de Clarke, dans Derham (17) dans Nieuwentit même (18), dans cent auteurs qui ont opposé la force irrésistible d’une raison supérieure à la séduction des vers de Lucrèce, lesquels après tout ne sont que des vers. C’est ainsi qu’il faut combattre. Brûlez en cérémonie un exemplaire de Lucrèce, vous n’y gagnerez rien : le bourreau ne convertira jamais personne.

 

          Il était donc nécessaire de réfuter le Système de la nature, si ce mot de réfuter peut s’appliquer à une déclamation si vague et si verbeuse.

 

          Un jeune homme (19), élevé longtemps dans la sage congrégation de l’Oratoire, entreprit de faire oublier le livre du Système de la nature, par la Philosophie de la nature. Il écrivit non-seulement pour prouver un Dieu, mais pour le faire aimer, pour s’encourager lui-même à remercier ce Dieu de la vie qu’il nous a donnée, et de tous les dons qui l’accompagnent, comme pour se résigner dans les malheurs innombrables qui la traversent. On découvrait évidemment dans cet écrit une âme honnête et sensible. On l’aurait bien mieux aperçue encore, si le public n’avait pas été fatigué dans ce temps-là de tant de livres sur la nature : Examen de la nature, Histoire de la nature, Tableau de la nature, Exposition de la nature. On était dégoûté de cette nature qui avait fourni tant s’insipides lieux communs (20).

 

          Quelques esprits moins sensibles, et trop endurcis peut-être par un long usage d’une magistrature sévère, virent dans la naïveté des expressions de ce jeune homme, et dans ce mot seul de nature, une philosophie trop douce qui offensait leur dureté. Ils l’accusèrent de combattre la cause qu’il voulait défendre ; ils lui suscitèrent un procès criminel dans une justice subalterne, et le firent condamner au bannissement perpétuel. Le parlement de Paris, plus équitable, a cassé cette sentence.

 

          Il a senti qu’il était aussi facile qu’injuste de donner un sens coupable à des discours innocents : et il s’est souvenu des paroles que prononça autrefois dans Paris même le césar Julien, protecteur et vengeur des Gaules. Un légiste délateur, s’échauffant devant lui dans son plaidoyer contre un citoyen qu’il voulait perdre, lui dit : « César, suffira-t-il donc de nier ? » L’équitable Julien répondit : « Suffira-t-il d’accuser ? »

 

             Dans le moment, messieurs, que je vous propose mes faibles réflexions, je lis dans la Gazette de la république, du 26 juillet, que l’on va rétablir en Espagne le pouvoir d’un tribunal qui a toujours plus écouté les délateurs que les déférés ; tribunal érigé autrefois par la superstition et par l’injustice ; tribunal que tous les parlements de France ont toujours écarté, que l’Allemagne ne reçoit point, qui est en horreur dans de grands Etats d’Italie, et encore plus dans tout le Nord ; c’est l’inquisition, puisqu’il faut la nommer. C’est elle qui admet la délation d’un fils contre son père, d’un père contre son fils ; c’est elle qui jette dans des cachots les accusés, sans leur dire jamais de quoi on les accuse ; c’est elle qui condamne sans confrontation ; c’est elle enfin qui alluma tant de bûchers, du détroit de Cadix aux rivages de l’Inde. Je ne vous répéterai qu’une seule anecdote sur ce tribunal trop connu : Cromwell ayant préparé la flotte qui prit la Jamaïque au roi d’Espagne, l’ambassadeur espagnol lui demanda s’il avait à se plaindre du roi son maître, et quelle réparation il voulait. Cromwell lui répondit : « Je veux que les mers soient libres, et que l’inquisition soit abolie sur la terre. » Il manquait à cette réponse d’être faite par un homme vertueux. Cromwell eût ressemblé aux anciens Romains qui défendirent aux Carthaginois d’immoler des hommes.

 

 

 

 

 

 

 

1 – Voyez ses Pensées, édition de Desprez, page 157.

 

2 – Voyez l’Affaire La Barre. (G.A.)

 

3 – Les moines. (G.A.)

 

4 – C’est-à-dire les Anglais. (G.A.)

 

5 – Un crucifix. (G.A.)

 

6 – Le chevalier de La Barre eut la tête tranchée. Comme il est juste de proportionner la peine au délit, nous demanderons si le crime de ses juges a été assez puni par l’horreur et le mépris de l’Europe. (K.)

 

7 – D’Etallonde. Voyez la Correspondance de Voltaire avec Frédéric, années 1774 et 1775. (G.A.)

 

8 – Voyez l’Histoire de la maison des Plantagenets, par Hume, règne de Richard II.

 

9 – Même citation dans le Dictionnaire philosophique, à l’article JÉSUITES. (G.A.)

 

10 – Voyez, Lettres au prince de Brunswick. (G.A.)

 

11 – Toute cette affaire se trouve expliquée dans l’éloge de Dumarsais, par d’Alembert. (G.A.)

 

12 – De l’Esprit, par Helvétius. (G.A.)

 

13 – Marmontel. (G.A.)

 

14 – Catherine de Russie le traduisit. (G.A.)

 

15 – Riballier et Coger. Voyez dans les Opuscules, plusieurs écrits relatifs à cette affaire. (G.A.)

 

16 – Par d’Holbach. (G.A.)

 

17 – Démonstration de la divinité de la religion chrétienne. (G.A.)

 

18 – L’existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature. Voyez les remarques de Voltaire sur cet ouvrage. (G.A.)

 

19 – Delisle de Sales. (G.A.)

 

20 – On devrait penser que ce mot nature est une expression vague qui ne signifie rien. Il n’y a point de nature : tout est art, depuis la formation et les propriétés du soleil jusqu’à la moindre racine, jusqu’à un grain de sable ; et cet art est si grand que cent mille millions d’Archimèdes ne pourraient l’imiter.

 

 

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