DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : D comme DROIT CANONIQUE - Partie 2

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DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : D comme DROIT CANONIQUE - Partie 2

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D comme DROIT CANONIQUE.

 

 

 

 

(Partie 2)

 

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SECTION III.

 

Des assemblées ecclésiastiques ou religieuses.

 

 

 

          Il est certain qu’aucun corps ne peut former dans l’Etat aucune assemblée publique et régulière que du consentement du souverain.

 

          Les assemblées religieuses pour le culte doivent être autorisées par le souverain dans l’ordre civil, afin qu’elles soient légitimes.

 

          En Hollande, où le souverain accorde à cet égard la plus grande liberté, de même à peu près qu’en Russie, en Angleterre, en Prusse, ceux qui veulent former une Eglise doivent en obtenir la permission, dès lors cette Eglise est dans l’Etat, quoiqu’elle ne soit pas la religion de l’Etat. En général, dès qu’il y a un nombre suffisant de personnes ou de familles qui veulent avoir un certain culte et des assemblées, elles peuvent sans doute en demander la permission au magistrat souverain ; et c’est à ce magistrat à en juger. Ce culte une fois autorisé, on ne peut le troubler sans pécher contre l’ordre public. La facilité que le souverain a eue en Hollande d’accorder ces permissions n’entraîne aucun désordre ; et il en serait ainsi partout, si le magistrat seul examinait, jugeait, et protégeait.

 

          Le souverain a le droit en tout temps de savoir ce qui se passe dans les assemblées, de les diriger selon l’ordre public, d’en réformer les abus, et d’abroger les assemblées s’il en naissait des désordres. Cette inspection perpétuelle est une portion essentielle de l’administration souveraine, que toute religion doit reconnaître.

 

          S’il y a dans le culte des formulaires de prière, des cantiques, des cérémonies, tout doit être soumis de même à l’inspection du magistrat. Les ecclésiastiques peuvent composer ces formulaires ; mais c’est au souverain à les examiner, à les approuver, à les réformer au besoin. On a vu des guerres sanglantes pour des formulaires, et elles n’auraient pas eu lieu si les souverains avaient mieux connu leurs droits.

 

          Les jours de fête ne peuvent pas non plus être établis sans le concours et le consentement du souverain, qui en tout temps peut les réformer, les abolir, les réunir, en régler les célébrations selon que le bien public le demande. La multiplicité de ces jours de fête sera toujours la dépravation des mœurs et l’appauvrissement d’une nation.

 

          L’inspection sur l’instruction publique de vive voix, ou par des livres de dévotion, appartient de droit au souverain. Ce n’est pas lui qui enseigne, mais c’est à lui à voir comment sont enseignés ses sujets. Il doit faire enseigner surtout la morale, qui est aussi nécessaire que les disputes sur le dogme ont été souvent dangereuses.

 

          S’il y a quelques disputes entre les ecclésiastiques sur la manière d’enseigner, ou sur certains points de doctrine, le souverain peut imposer silence aux deux partis, et punir ceux qui désobéissent.

 

          Comme les assemblées religieuses ne sont point établies sous l’autorité souveraine pour y traiter des matières politiques, les magistrats doivent réprimer les prédicateurs séditieux qui échauffent la multitude par des déclamations punissables ; ils sont la peste des Etats.

 

          Tout culte suppose une discipline pour y conserver l’ordre, l’uniformité, et la décence. C’est au magistrat à maintenir cette discipline, et à y porter les changements que le temps et les circonstances peuvent exiger.

 

          Pendant près de huit siècles les empereurs d’Orient assemblèrent des conciles pour apaiser des troubles qui ne firent qu’augmenter, par la trop grande attention qu’on y apporta : le mépris aurait plus sûrement fait tomber de vaines disputes que les passions avaient allumées. Depuis le partage des Etats d’Occident en divers royaumes, les princes ont laissé aux papes la convocation de ces assemblées. Les droits du pontife de Rome ne sont à cet égard que conventionnels, et tous les souverains réunis peuvent en tout temps en décider autrement. Aucun d’eux en particulier n’est obligé de soumettre ses Etats à aucun canon sans l’avoir examiné et approuvé. Mais comme le concile de Trente sera apparemment le dernier, il est très inutile d’agiter toutes les questions qui pourraient regarder un concile futur et général.

 

          Quant aux assemblées, ou synodes, ou conciles nationaux, ils ne peuvent sans contredit être convoqués que quand le souverain les juge nécessaires ; ses commissaires doivent y présider et en diriger toutes les délibérations ; et c’est à lui à donner la sanction aux décrets.

 

          Il peut y avoir des assemblées périodiques du clergé pour le maintien de l’ordre, et sous l’autorité du souverain ; mais la puissance civile doit toujours en déterminer les vues, en diriger les délibérations, et en faire exécuter les décisions. L’assemblée périodique du clergé de France n’est autre chose qu’une assemblée de commissaires économiques pour tout le clergé du royaume.

 

          Les vœux par lesquels s’obligent quelques ecclésiastiques de vivre en corps selon une certaine règle, sous le nom de moines ou de religieux, si prodigieusement multipliés dans l’Europe, ces vœux doivent aussi être toujours soumis à l’examen et à l’inspection des magistrats souverains. Ces couvents qui renferment tant de gens inutiles à la société, et tant de victimes qui regrettent la liberté qu’ils ont perdue, ces ordres qui portent tant de noms si bizarres, ne peuvent être établis dans un pays où tous leurs vœux ne peuvent être valables ou obligatoires que quand ils ont été examinés et approuvés au nom du souverain.

 

          En tout temps le prince est donc en droit de prendre connaissance des règles de ces maisons religieuses de leur conduite ; il peut réformer ces maisons et les abolir, s’il les juge incompatibles avec les circonstances présentes et le bien actuel de la société.

 

          Les biens et les acquisitions de ces corps religieux sont de même soumis à l’inspection des magistrats pour en connaître la valeur et l’emploi. Si la masse de ces richesses qui ne circulent plus était trop forte ; si les revenus excédaient trop les besoins raisonnables de ces réguliers ; si l’emploi de ces rentes était contraire au bien général ; si cette accumulation appauvrissait les autres citoyens ; dans tous ces cas il serait du devoir des magistrats, pères communs de la patrie, de diminuer ces richesses, de les partager, de les faire rentrer dans la circulation qui fait la vie d’un Etat, de les employer même à d’autres usages pour le bien de la société.

 

          Par les mêmes principes, le souverain doit expressément défendre qu’aucun ordre religieux ait un supérieur dans le pays étranger : c’est presque un crime de lèse-majesté.

 

          Le souverain peut prescrire les règles pour entrer dans ces ordres ; il peut, selon les anciens usages, fixer un âge, et empêcher que l’on ne fasse des vœux que du consentement exprès des magistrats. Chaque citoyen naît sujet de l’Etat, et il n’a pas le droit de rompre des engagements naturels envers la société, sans l’aveu de ceux qui la gouvernent.

 

          Si le souverain abolit un ordre religieux, ces vœux cessent d’être obligatoires. Le premier vœu est d’être citoyen ; c’est un serment primordial et tacite, autorisé de Dieu, un vœu dans l’ordre de la Providence, un vœu inaltérable et imprescriptible, qui unit l’homme en société avec la patrie et avec le souverain. Si nous avons pris un engagement postérieur, le vœu primitif a été réservé ; rien n’a pu énerver ni suspendre la force de ce serment primitif. Si donc le souverain déclare ce dernier vœu, qui n’a pu être que conditionnel et dépendant du premier, incompatible avec le serment naturel ; s’il trouve ce dernier vœu dangereux dans la société, et contraire au bien public, qui est la suprême loi, tous sont dès lors déliés en conscience de ce vœu. Pourquoi ? parce que la conscience les attachait primitivement au serment naturel et au souverain. Le souverain, dans ce cas, ne dissout point un vœu, il le déclare nul, il remet l’homme dans l’état naturel (1).

 

          En voilà assez pour dissiper tous les sophismes par lesquels les canonistes ont cherché à embarrasser cette question si simple pour quiconque ne veut écouter que la raison.

 

 

 

 

 

SECTION IV.

 

Des peines ecclésiastiques.

 

 

 

          Puisque ni l’Eglise, qui est l’assemblée de tous les fidèles, ni les ecclésiastiques, qui sont les ministres dans cette Eglise, au nom du souverain et sous son autorité, n’ont aucune force coative, aucune puissance exécutrice, aucun pouvoir terrestre, il est évident que ces ministres de la religion ne peuvent infliger que des peines uniquement spirituelles. Menacer les pécheurs de la colère du ciel, c’est la seule peine dont un pasteur peut faire usage. Si l’on ne veut pas donner le nom de peines à ces censures ou à ces déclamations, les ministres de la religion n’auront aucune peine à infliger.

 

          L’Eglise peut-elle bannir de son sein ceux qui la déshonorent ou la troublent ? Grande question sur laquelle les canonistes n’ont point hésité de prendre l’affirmative. Observons d’abord que les ecclésiastiques ne sont pas l’Eglise. L’Eglise, assemblée dans laquelle sont les magistrats souverains, pourrait sans doute de droit exclure de ses congrégations un pécheur scandaleux, après des avertissements charitables, réitérés et suffisants. Cette exclusion ne peut dans ce cas même emporter aucune peine civile, aucun mal corporel, ni la privation d’aucun avantage terrestre. Mais ce que peut l’Eglise de droit, les ecclésiastiques qui sont dans l’Eglise ne le peuvent qu’autant que le souverain les y autorise et le leur permet.

 

          C’est donc encore même dans ce cas au souverain à veiller sur la manière dont ce droit sera exercé : vigilance d’autant plus nécessaire qu’il est plus aisé d’abuser de cette discipline. C’est par conséquent à lui, en consultant les règles du support et de la charité, à prescrire les formes et les restrictions convenables : sans cela, toute déclaration du clergé, toute excommunication serait nulle et sans effet, même dans l’ordre spirituel. C’est confondre des cas entièrement différents que de conclure de la pratique des apôtres la manière de procéder aujourd’hui. Le souverain n’était pas de la religion des apôtres, l’Eglise n’était pas encore dans l’Etat ; les ministres du culte ne pouvaient pas recourir au magistrat. D’ailleurs, les apôtres étaient des ministres extraordinaires tels qu’on n’en voit plus. Si l’on me cite d’autres exemples d’excommunications lancées sans l’autorité du souverain ; que dis-je ! si l’on rappelle, ce qu’on ne peut entendre sans frémir d’horreur, des exemples même d’excommunications fulminées insolemment contre des souverains et des magistrats, je répondrai hardiment que ces attentats sont une rébellion manifeste, une violation ouverte des devoirs les plus sacrés de la religion, de la charité, et du droit naturel.

 

          On voit donc évidemment que c’est au nom de toute l’Eglise que l’excommunication doit être prononcée contre les pécheurs publics, puisqu’il s’agit seulement de l’exclusion de ce corps : ainsi elle doit être prononcée par les ecclésiastiques sous l’autorité des magistrats et au nom de l’Eglise, pour les seuls cas dans lesquels on peut présumer que l’Eglise entière bien instruite la prononcerait, si elle pouvait avoir en corps cette discipline qui lui appartient privativement.

 

          Ajoutons encore, pour donner une idée complète de l’excommunication et des vraies règles du droit canonique à cet égard, que cette excommunication légitimement prononcée par ceux à qui le souverain, au nom de l’Eglise, en a expressément laissé l’exercice, ne renferme que la privation des biens spirituels sur la terre. Elle ne saurait s’étendre à autre chose : tout ce qui serait au-delà serait abusif, et plus ou moins tyrannique. Les ministres de l’Eglise ne font que déclarer qu’un tel homme n’est plus membre de l’Eglise. Il peut donc jouir, malgré l’excommunication, de tous les droits naturels, de tous les droits civils, de tous les biens temporels, comme homme ou comme citoyen. Si le magistrat intervient et prive outre cela un tel homme d’une charge ou d’un emploi dans la société, c’est alors une peine civile ajoutée pour quelque faute contre l’ordre civil.

 

          Supposons encore que les ecclésiastiques qui ont prononcé l’excommunication aient été séduits par quelque erreur ou quelque passion (ce qui peut toujours arriver puisqu’ils sont hommes), celui qui a été ainsi exposé à une excommunication précipitée est justifié par sa conscience devant Dieu. La déclaration faite contre lui n’est et ne peut être d’aucun effet pour la vie à venir. Privé de la communion extérieure avec les vrais fidèles, il peut encore jouir ici-bas de toutes les consolations de la communion intérieure. Justifié par sa conscience, il n’a rien à redouter dans la vie à venir du jugement de Dieu, qui est son véritable juge.

 

          C’est encore une grande question dans le droit canonique, si le clergé, si son chef, si un corps ecclésiastique quelconque peut excommunier les magistrats ou le souverain, sous prétexte ou pour raison de l’abus de leur pouvoir. Cette question seule est scandaleuse, et le simple doute une rébellion manifeste. En effet, le premier devoir de l’homme en société est de respecter et de faire respecter le magistrat ; et vous prétendriez avoir le droit de le diffamer et de l’avilir ? qui vous aurait donné ce droit aussi absurde qu’exécrable ? Serait-ce Dieu, qui gouverne le monde politique par les souverains, qui veut que la société subsiste par la subordination ?

 

          Les premiers ecclésiastiques, à la naissance du christianisme, se sont-ils crus autorisés à excommunier les Tibère, les Néron, les Claude, et ensuite les Constance, qui étaient hérétiques ? Comment donc a-t-on pu souffrir si longtemps des prétentions aussi monstrueuses, des idées aussi atroces, et les attentats affreux qui en ont été la suite ; attentats également réprouvés par la raison, le droit naturel, et la religion ? S’il était une religion qui enseignât de pareilles horreurs, elle devrait être proscrite de la société comme directement opposée au repos du genre humain. Le cri des nations s’est déjà fait entendre contre ces prétendues lois canoniques, dictées par l’ambition et le fanatisme. Il faut espérer que les souverains, mieux instruits de leurs droits, soutenus par la fidélité des peuples, mettront enfin un terme à des abus si énormes, et qui ont causé tant de malheurs. L’auteur de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations a été le premier qui a relevé avec force l’atrocité des entreprises de cette nature.

 

 

 

 

 

SECTION V.

 

De l’inspection sur le dogme.

 

 

 

          Le souverain n’est point le juge de la vérité du dogme : il peut juger pour lui-même, comme tout autre homme ; mais il doit prendre connaissance du dogme dans tout ce qui intéresse l’ordre civil, soit quant à la nature de la doctrine, si elle avait quelque chose de contraire au bien public, soit quant à la manière de la proposer.

 

          Règle générale dont les magistrats souverains n’auraient jamais dû se départir. Rien dans le dogme ne mérite l’attention de la police, que ce qui peut intéresser l’ordre public ; c’est l’influence de la doctrine sur les mœurs qui décide de son importance. Toute doctrine qui n’a qu’un rapport éloigné avec la vertu, ne saurait être fondamentale. Les vérités qui sont propres à rendre les hommes doux, humains, soumis aux lois, obéissant au souverain, intéressent l’Etat, et viennent évidemment de Dieu.

 

 

 

 

1 – Voici le décret du 13 Février 1790 qui remit l’homme dans l’état naturel :

« Art. 1er. L’Assemblée nationale décrète, comme articles constitutionnels, que la loi ne reconnaîtra plus les vœux monastiques et solennels de l’un et de l’autre sexe ; déclare, en conséquence, que les ordres et congrégations de l’un et de l’autre sexe sont et demeureront supprimés en France, sans qu’on puisse à l’avenir en établir d’autres.

 

Art. 2. Les individus de l’un et de l’autre sexe existants dans les monastères pourront en sortir en faisant leur déclaration à la municipalité du lieu, et il sera incessamment pourvu à leur sort par une pension convenable… etc. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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