CORRESPONDANCE - Année 1764 - Partie 42

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1764 - Partie 42

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

à M. l’abbé de Sade.

 

A Ferney, 26 Décembre 1764.

 

 

          Vous avez écrit à un aveugle, monsieur, et j’espère que je ne serai que borgne quand j’aurai l’honneur de vous revoir. Soyez sûr que je vous verrai de très bon œil, s’il m’en reste un. Les neiges du mont Jura et des Alpes m’ont donné d’abominables fluxions, que votre présence guérira. Mais serez-vous en effet assez bon pour venir habiter une petite cellule dans mon petit couvent ? Il me semble que Dieu a daigné me pétrir d’un petit morceau de la pâte dont il vous a façonné. Nous aimons tous deux la campagne et les lettres : embarquez-vous sur notre fleuve ; je vous recevrai à la descente du bateau, et je dirai : Benedictus qui venit in nomine Apollinis.

 

          Je n’ai point encore entendu parler de votre second tome (1) ; mais quand il viendra, je ne saurai comment faire pour le lire. Il y a trois mois que je suis  obligé de me servir des yeux d’autrui. Jugez s’il y a quelque apparence au beau conte qu’on vous a fait que j’avais mis quelques observations dans la Gazette littéraire. Je ne lis depuis longtemps aucune gazette, pas même l’ecclésiastique.

 

          Il est juste que vous ayez beaucoup de jésuites dans Avignon ; d’Assouci et eux sont sauvés en terre papale. Les parlements ont fait du mal à l’ordre, mais du bien aux particuliers ; ils ne sont heureux que depuis qu’ils sont chassés. Mon jésuite Adam était mal couché, mal vêtu, mal nourri ; il n’avait pas un sou, et toute sa perspective était la vie éternelle. Il a chez moi une vie temporelle qui vaut un peu mieux. Peut-être que dans un an il n’y aura pas un seul de ces pauvres gens qui voulût retourner dans leurs collèges, s’ils étaient ouverts. Du reste, nous ignorons, Dieu merci, tout ce qui se passe dans le monde, et nous nous trouvons fort bien de notre ignorance. Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux, pourvu qu’on soit avec un homme comme vous. Mon indifférence pour le genre humain augmentera quand je jouirai du bonheur que vous me faites espérer. Je prends la liberté d’embrasser de tout mon cœur le parent de Laure et l’historien de Pétrarque, qui est de meilleure compagnie que son héros.

 

 

1 – Des Mémoires pour la Vie de François Pétrarque. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Dupont.

 

A Ferney, 29 Décembre 1764.

 

 

          J’ai donc, mon cher ami, lâché mes filets en votre nom, et quoique je n’aie point reçu de vos nouvelles, j’envoie aujourd’hui le complément des quatre-vingt mille livres en or, à l’adresse de M. Jean Maire par le coche de Genève et de Berne à Strasbourg.

 

          Je suppose, mon cher ami, que vous avez fait faire à M. Jean Maire le contrat en la meilleure forme possible, et que jamais les héritiers de M. le duc de Wurtemberg ne pourront inquiéter les miens. Je crois même que M. le prince Louis de Wurtemberg, malgré tous ses refus formels et réitérés d’accéder au traité, le ratifierait s’il était jamais souverain ; il ne voudra pas sans doute trahir l’honneur de sa maison pour un si petit objet. D’ailleurs, il me paraît que la dette est très assurée sur les terres de France qui ne sont point sujettes à substitution. Je m’imagine que le contrat est en chemin, tandis que mon argent est au coche.

 

          Je crois que vos jésuites voyagent par le coche aussi, mais avec moins d’argent. J’ai besoin de deux ou trois bouviers dans ma terre ; si vous pouvez m’envoyer le P. Kroust et deux de ses compagnons, je leur donnerai de bons gages ; et si au lieu du métier de bouvier, ils veulent servir de bœufs, cela serait égal. Je trouve les parlements très avisés d’avoir su enfin employer les gens aux fonctions qui leur conviennent. Je me souviendrai toute ma vie que vous m’avez dit qu’un maraud de jésuite, nommé Aubert, fit brûler Bayle dans le marché de Colmar. Ne sauriez-vous point où cet Aubert est enterré ? il faudrait au moins exhumer et pendre son cadavre. Il faut espérer que la philosophie reprendra un peu le dessus, puisqu’elle est délivrée de ses plus grands ennemis. Je sais bien qu’elle en a encore, mais ils sont dispersés et désunis ; rien n’était si dangereux qu’une société de fanatiques gouvernés par des fripons, et s’étendant de Rome à la Chine.

 

          Vous avez vu sans doute les derniers édits, ils sont un peu obscurs ; le parlement, en les enregistrant, donne de bons avis au roi, et lui recommande d’être économe. Je prie le conseil souverain d’Alsace d’en dire autant à M. le duc de Wurtemberg. Me voilà intéressé à le voir le prince le plus sage de l’Allemagne. Je vous embrasse bien tendrement, mon cher ami.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

 

MÉMOIRE POUR PIERRE CORNEILLE DU PONT MARIE,

AU SUJET DE PIERRE CORNEILLE,AUTEUR DE CINNA.

 

 

 

 

          Mes anges protecteurs des deux Pierre sont priés humblement de considérer

 

          Que le roi ayant souscrit pour deux cents exemplaires, M. de La Borde ayant favorisé cette entreprise avec toute la générosité possible, et ayant payé d’avance la moitié de la souscription de sa majesté, il demande aujourd’hui la délivrance de ces deux cents exemplaires, après nous avoir flattés que le roi n’en prendrait qu’une douzaine.

 

          Il est certain que le roi n’a que faire de ces deux mille quatre cents volumes qui composent les deux cents exemplaires souscrits par sa majesté.

 

          Si le roi en prend cinquante, c’est beaucoup. Ne pourrait-on pas engager le roi, ou ses ayants-cause, à faire présent de ces cent cinquante exemplaires restants à Pierre Corneille du pont Marie ? cela pourrait composer une somme de trois cents louis d’or pour ledit Pierre. Mais pour lui procurer cet avantage, il ne faudrait pas baisser le prix. On pourrait déposer les volumes entre les mains de quelque homme intelligent et fidèle, qui moyennant un profit honnête, se chargerait de la vente. On pourrait même, du produit, faire une petite rente sur la tête de M. Pierre et de sa femme. Je soumets ma proposition aux lumières et aux bontés de mes anges, et je leur demande bien pardon de ne leur envoyer aujourd’hui que trois mémoires.

 

N.B. – Les exemplaires sont en chemin.

 

 

 

 

 

à M. Gilli. (1)

 

 

 

 

          Monsieur, je crois que le mot d’administration signifie manutention, gestion. Les directeurs de la compagnie des Indes, demeurant à Paris, ne peuvent gérer dans l’Inde ; et il est impossible qu’un conseil qui donne des ordres de si loin puisse être responsable à Paris des malversations, des négligences, et des démarches inconsidérées qu’on peut faire dans la province de Carnate.

 

          En ouvrant le mémoire de la compagnie des Indes contre M. Dupleix, je trouve ces mots à la page 121 des pièces justificatives : DALMÈDE ; compte de friponneries.

 

          Je trouve à la page 153 : Compte des révérends pères jésuites pour 67,490 livres ; plus 6,000 livres ; et si j’étais janséniste, je pourrais demander où saint Ignace a pris cette somme.

 

          La page 95 du mémoire m’apprend qu’une domestique d’un conseiller de Pondichéry, qui était devenu receveur-général de la province, a commis une infinité de brigandages.

 

          Je me flatte que, quand je lirai le reste du mémoire, je trouverai quelques autres articles aussi délicats. En attendant, si vous savez l’anglais, je vous exhorte à lire dans Pope l’histoire de sir Balaam. Le diable voulait absolument acquérir l’âme de sir Balaam. ; il ne trouva point de meilleur secret pour s’en assurer que de le faire supercargo (2) de la compagnie des Indes de Londres.

 

          Que voulez-vous qu’on pense lorsque l’on voit la faction de M. Dupleix accuser le conquérant de Madras d’infâmes rapines, le faire enfermer à la Bastille avant qu’il ait été entendu, et faire perdre à la France tout le fruit de la conquête ?

 

          Enfin, il est évident que M. Dupleix lui-même est accusé de malversation dans le mémoire de la compagnie des Indes, tandis qu’il redemande une somme de treize millions. Je ne connais point M. Dupleix, je n’ai point connu M. de La Bourdonnais ; je sais seulement que l’un a pris Madras, et que l’autre a sauvé Pondichéry.

 

          Il est bien vrai, monsieur, comme vous le dites, que l’un n’aurait pu défendre Pondichéry, ni l’autre prendre Madras, si on ne leur avait fourni des forces suffisantes ; mais, en vérité, aucun historien, depuis Hérodote jusqu’à Hume, ne s’est avisé d’observer que ceux qui ont pris ou défendu des villes aient reçu des soldats et des munitions des puissances pour lesquelles ils combattaient : la chose parle d’elle-même ; on ne fait ni on ne soutient de sièges sans quelques dépenses et quelques secours préalables.

 

          J’ajoute encore qu’on peut prendre et sauver des villes et des provinces, et faire de très grandes fautes.

 

          Vous en reprochez d’importantes à M. Dupleix, qui en a reproché à M. de La Bourdonnais, lequel en a reproché à d’autres. Le sieur Amat est accusé de ne s’être pas oublié à Madras, et le sieur Amat a accusé plusieurs personnes de ne s’être pas oubliées ailleurs. Enfin votre général (3) est à la Bastille ; c’est donc vous, bien plus que moi, qui vous plaignez de brigandages.

 

          Il y en a donc eu ; les lois divines et humaines permettent donc de le dire. Ces brigandages ne peuvent avoir été commis que dans l’Inde, où vos nanabs donnent des exemples peu chrétiens, et où les jésuites font des lettres de change.

 

          Il résulte de tout cela que l’administration dans l’Inde a été extrêmement malheureuse ; et je pense que notre malheur vient en partie de ce qu’une compagnie de commerce dans l’Inde doit être nécessairement une compagnie guerrière. C’est ainsi que les Européans y ont fait le commerce depuis les Albuquerque. Les Hollandais n’y ont été puissants que parce qu’ils ont été conséquents. Les Anglais, en dernier lieu, ont gagné, les armes à la main, des sommes immenses, que nous avons perdues ; et j’ai peur qu’on ne soit malheureusement réduit à être oppresseur ou opprimé. Une des causes principales de nos désastres est encore d’être venus les derniers en tout, à l’occident comme à l’orient, dans le commerce comme dans les arts, de n’avoir jamais fait les choses qu’à demi. Nous avons perdu nos possessions et notre argent dans les deux Indes, précisément de la manière dont nous perdîmes autrefois Milan et Naples.

 

          Nous avons été toujours infortunés au-dehors. On nous a pris Pondichéry deux fois, Québec quatre ; et je ne crois pas que de longtemps nous puissions tenir tête, en Asie et en Amérique, aux nations nos rivales.

 

          Je ne sais, monsieur, comment l’éditeur du livre dont vous me faites l’honneur de me parler a mis huit lieues au lieu de vingt-huit, pour marquer la distance de Pondichéry à Madras. Pour moi, je voudrais qu’il y en eût deux cents ; nous serions plus loin des Anglais.

 

          Je vous avoue, monsieur, que je n’ai jamais conçu comment la compagnie d’occident avait prêté réellement cent millions au roi en 1717. Il faudrait qu’elle eût trouvé la pierre philosophale. Je sais qu’elle donna du papier ; et je vous avoue que j’ai toujours regardé l’assignation de neuf millions que le roi nous donne par an comme un bienfait. Je ne suis pas directeur, mais je suis intéressé à la chose, et je dois au roi ma part de la reconnaissance.

 

          Je suis fâché que nous ayons eu quatre cent cinquante canons à Pondichéry, puisqu’on nous les a pris. Les Hollandais en ont davantage, et on ne les leur prend point, et ils prospèrent, et leurs actionnaires sont payés sur le gain réel de la compagnie. Je souhaite que nous en fassions beaucoup, que nous en dépensions moins, et que nous ne nous mêlions de faire des nanabs que quand nous aurons assez de troupes pour conquérir l’Inde.

 

          Au reste, monsieur, ne vous comparez point aux juifs. On peut faire des compliments à un honnête et estimable juif, sans être extrêmement attaché à la semence d’Abraham ; mais quand je vous dirai que je suis très attaché à votre personne, et que je regarde tous les directeurs de notre compagnie comme des hommes dignes de la plus grande considération, je ne vous ferai pas un vain compliment.

 

          Je sais qu’on travaille actuellement à des recherches historiques assez curieuses. On doit y insérer un chapitre sur la compagnie des Indes (4). On m’assure que vous en serez content ; et si vous voulez avoir la bonté de fournir quelques mémoires curieux à la même personne à qui vous avez bien voulu envoyer votre paquet, on ne manquera pas d’en faire usage. Celui qui y travaille n’a pour objet que la vérité et son plaisir ; il vous aura double obligation.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

 

 

1 – Ce banquier fit banqueroute trois ans plus tard. (G.A.)

2 – Subrécargue. (G.A.)

3 – Lally. (G.A.)

4 – Voyez le Précis du Siècle de Louis XV, chap. XXXIV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

31 Décembre 1764.

 

 

          Les gens de bien, et surtout mon cher frère, doivent savoir que Jean-Jacques a fait un gros libelle (1) contre la parvulissime république de Genève, dans l’intention de soulever le peuple contre les magistrats. Le conseil de Genève est occupé à examiner le livre, et à voir quel parti il convient de prendre.

 

          Dans ce libelle, Jean-Jacques, fâché qu’on ait brûlé Emile, m’accuse d’être l’auteur du Sermon des Cinquante. Ce procédé n’est pas assurément d’un philosophe ni d’un honnête homme. Je voudrais bien savoir ce qu’en pense M. Diderot, et s’il ne se repent pas un peu des louanges prodiguées à Jean-Jacques dans l’Encyclopédie (2). Vous remarquerez que pendant que Jean-Jacques faisait cette belle manœuvre à Genève, il faisait imprimer le Sermon des Cinquante, et d’autres brochures, par son libraire d’Amsterdam, Marc-Michel Rey, sous le titre de Collection complète des Œuvres de M. de V. Cela peut être adroit, mais cela n’est pas honnête.

 

          Mon cher frère avait bien raison de me dire, quand Jean-Jacques maltraita si fort les philosophes dans son roman d’Emile, que cet homme était l’opprobre du parti Je prie mon cher frère de me mander s’il a reçu le paquet du médecin anglais. Ce médecin aurait dû faire l’opération de la transfusion à Jean-Jacques, et lui mettre d’autre sang dans les veines ; celui qu’il a est un composé de vitriol et d’arsenic. Je le crois un des plus malheureux hommes qui soient au monde, parce qu’il est un des plus méchants.

 

          Omer travaille à un réquisitoire pour le Dictionnaire philosophique. On continue toujours à m’attribuer cet ouvrage, auquel je n’ai point de part. Je crois que mon neveu, qui est conseiller au parlement, l’empêchera de me désigner.

 

          Voilà, mon cher frère, toutes les nouvelles que je sais. La philosophie est comme l’ancienne Eglise, il faut qu’elle sache souffrir pour s’affermir et pour s’étendre.

 

          Je crois qu’on commence aujourd’hui l’édition de la Destruction. C’est un livre qui ne sera point brûlé, mais qui fera autant de bien que s’il l’avait été.

 

          J’embrasse tendrement mon cher frère, et je me recommande à ses prières, dans les tribulations où les méchants m’ont mis. Les orages sont venus des quatre coins du monde, et ont fondu sur ma petite barque, que j’ai bien de la peine à sauver.

 

 

1 – Lettres écrites de la montagne. (G.A.)

2 – A l’article ENCYCLOPÉDIE. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc de Praslin.

 

Ferney, Décembre 1764 (1).

 

 

          Monseigneur, je défie mes trente-neuf confrères de l’Académie de trouver des termes pour vous exprimer ma reconnaissance : ma nièce est dans le même embarras que moi. J’ai fait parvenir à mon ingrat curé les nouvelles de la protection que vous me donnez. On lui a dit que le roi entendait garder ses traités avec ses voisins ; il a répondu qu’il se … moquait des traités, qu’il aurait mes dîmes, qu’il plaidait au parlement de Dijon, que son affaire y était entamée depuis longtemps, qu’il m’enterrerait au plus tôt, et qu’il ne prierait point Dieu pour moi. Je sens bien, monseigneur, que je serai damné de cette affaire-là ; mais il est si doux d’avoir votre protection dans ce monde, qu’on prend gaiement son parti pour l’autre. Je suis bien sûr que vous soutiendrez votre dire avec le parlement de Bourgogne, s’il a la rage de juger comme Perrin Dandin, s’il prétend que l’affaire étant déjà entamée au parlement, elle doit y rester. Vous nous permettrez bien alors de secourir à vos bontés, n’est-ce-pas, monseigneur ?

 

          Vous voulez des assassinats, en voici une paire (2) dans le paquet de M. d’Argental. Pendant que je vous envoie des tragédies, M. de Montpéroux vous fait sans doute le récit de la face de Genève ; vous verrez comme les enfants de Calvin ont changé. Il est assez plaisant de voir tout un peuple demander réparation pour Jean-Jacques Rousseau. Ils disent qu’il est vrai qu’il a écrit contre la religion chrétienne, mais que ce n’est pas une raison assez forte pour oser donner une espèce d’assigné pour être ouï à un citoyen de Genève ; que si un citoyen de Genève trouve la religion chrétienne mauvaise, il faut discuter ses raisons modestement avec lui, et ne pas le juger sans l’avoir entendu, etc.

 

          Vous entendrez parler bientôt de la cité de Genève, et je crois que vous serez obligé d’être arbitre entre le peuple et le magistrat ; car vous êtes garant des lois de cette petite ville comme du traité de Westphalie. Cela vous amusera, et vous aurez le plaisir d’exercer vos talents de pacificateur de l’Europe.

 

          A propos, monseigneur, ceci n’est pas une dépêche de Rome moderne ; ce n’est pas un mémoire sur les diètes de Pologne ; ce ne sont pas des nouvelles des deux frères qui se disputent la Perse ; ce n’est pas un détail des sottises de ce pauvre Grand-Mogol ; c’est votre conjuration (3), ce sont vos roués, c’est une attrape qui vous amusera. Je ne vous dirai point que cela fera fondre en larmes, je mentirais ; mais cela peut attacher, cela fera raisonner, et vous serez amusé ; et un ministre a souvent besoin de l’être.

 

          Vous pèserez, quand il en sera temps, l’importance extrême dont il est de mettre la conspiration sous le nom d’un jeune novice jésuite qui, grâce à la bonté du parlement, est rentré dans le monde, et qui, comme Colletet et tant d’autres, attend son dîner du succès de son ouvrage. Je m’imagine que les girouettes françaises tournent actuellement du côté des jésuites ; on commence à les plaindre ; les janséniste ne font point de pièces de théâtre, ils sont durs, ils sont fanatiques, ils seront persécuteurs, on les détestera ; on aimera passionnément un pauvre petit diable de jésuite qui donnera l’espérance d’être un jour un Lemierre, un Colardeau, un Dorat. Je persisterai toujours à croire qu’il faut donner un nom à ce jeune jésuite ; le public aime à se fixer. Si on ne nomme personne, on me nommera, et tout sera perdu.

 

          Mais pourquoi ne faites-vous pas faire une tragédie à M. Thomas ? Quel homme a écrit avec plus de force que lui ? Quel homme a plus d’idées ? Il est jeune, et j’ai besoin d’un coadjuteur.

 

          Enfin, monseigneur, vous ne nous abandonnerez pas, madame Denis et moi, dans notre querelle avec la sainte Eglise. Nous espérons que vous voudrez bien vous damner pour nous ; rien n’est plus beau que d’aller au diable pour faire du bien aux gens qu’on protège.

 

          Agréer, je vous en conjure, mon attachement, ma reconnaissance, et mon profond respect. Le Vieux de la montagne.

 

 

1 – Cette lettre est peut-être de décembre 1763. (G.A.)

2 – Le Triumvirat. (G.A.)

3 – Le Triumvirat. (G.A.)

 

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