CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 17

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à M. le comte d’Argental.

 

13 Mai 1765.

 

 

          Mes divins anges ne sont-ils occupés que de l’histoire du jour, et n’ont-ils fait aucune attention à l’histoire ancienne ? Je ne reçois point de nouvelles d’eux, ce qui est une histoire du jour fort triste pour moi. J’ignore s’ils ont reçu le dernier paquet ; je ne me souviens pas si je l’ai envoyé sous le couvert de M. le duc de Praslin ou sous un autre. Je ne demande point de nouvelles de mademoiselle Clairon, madame d’Argental s’en remet à madame de Florian ; mais je persiste toujours dans l’idée que les comédiens doivent proposer un dilemme dont on ne peut pas se tirer : « Si nous ne jouons pas, on nous met au For ou au Four de l’Evêque ; et si nous jouons, l’évêque nous excommunie, et nous sommes enterrés comme des chiens. » Qu’on se retire de cette difficulté si on peut.

 

          Le Siège de Calais a perdu à cette belle affaire ; il n’est pas même traîné actuellement en blocus. On l’a abandonné jusqu’en province ; je n’ai jamais vu une révolution si subite. On l’avait imprimé partout sur la foi du Mercure et de l’enthousiasme de Paris ; à peine a-t-on pu le lire. Cette aventure est un peu welche.

 

          M. de Villette, qui a passé trois mois chez moi, doit être actuellement à Paris. Il y recevra le paquet dont vous avez eu la bonté de vous charger.

 

          M. de Fontette m’a fait l’honneur de m’écrire, mais ne m’a pas donné de grandes espérances. Si malheureusement j’étais obligé de plaider au parlement contre mon prêtre, je jure Dieu que je mourrais avant que le procès fût jugé.

 

          Je crois que je suis aussi dans la disgrâce du tyran du tripot, mais je me console très aisément ; et tant que mes anges daigneront m’aimer, je défie le reste des humains de troubler mon repos. Je les supplie de me mettre aux pieds de M. le duc de Praslin, très indépendamment de mon curé.

 

          Respect et tendresse.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

13 Mai 1765.

 

 

          Puisque vous avez reçu, monseigneur, le dernier paquet que j’eus l’honneur de vous adresser, il y a quelque temps, par M. Janel, en voici un autre (1) qui m’arrive de Hollande et que je vous dépêche par la même voie. Je ne crois pas que vous ayez besoin de l’eau de Lausanne pour vos yeux ; ils ont vingt-cinq ans, comme votre imagination et vos grâces. Les miens sont très vieux, et ont souffert des ophtalmies affreuses par les vents du nord-est autant que par la lecture ; mais si vous voulez employer cette eau pour quelqu’un de vos amis, vous n’avez qu’à me donner vos ordres, j’écrirai sur-le-champ à Lausanne, afin qu’on en fasse partir quelques bouteilles par la voie que vous voudrez bien indiquer. Ce remède n’est bon que pour ceux qui ont des ulcères aux paupières, et n’est aucunement propre d’ailleurs à rétablir l’organe de la vue ; il lui ferait même plus de mal que de bien. Il reste encore à savoir si cette recette, qui est favorable dans le printemps, peut faire le même effet en hiver, ce dont je doute beaucoup.

 

          Permettez-moi de vous dire un petit mot des spectacles, qui sont nécessaires à Paris, et que vous protégez. J’ignore si vous pourriez vous servir de l’occasion présente pour faire sentir combien il est contradictoire que des personnes payées par le roi, et qui sont sous vos ordres, soient en prison au For ou au Four de l’Evêque, si elles ne remplissent pas les devoirs de leur profession ; et excommuniées, damnées par l’évêque, si elles les remplissent. Est-il juste qu’on perde tous les droits de citoyen, et jusqu’à celui de la sépulture, parce qu’on est sous votre autorité ? Si quelqu’un peut jamais avoir la gloire de faire cesser cet opprobre, c’est assurément vous, et Paris vous élèverait une statue comme Gênes (2). Mais quelquefois les choses les plus simples et les plus petites sont plus difficiles que les grandes ; et tel homme qui peut faire capituler une armée d’Anglais ne peut triompher d’un curé.

 

          Je voudrais bien que vous protégeassiez les encyclopédistes. Ce sont pour la plupart des hommes infiniment estimables. Leur ouvrage, malgré ses défauts, fera beaucoup d’honneur à la nation ; et ce ne sera pas un honneur passager et ridicule. Un des grands défauts qu’on reproche à la nation française, c’est que les hommes de mérite qu’elle a produits ont été presque toujours opprimés ou avilis et qu’on leur a préféré des misérables. Feu M. Le Normand de Tournehem avait relégué les tableaux de Vanloo dans la chambre de ses laquais. Votre protection, accordée à ceux qui travaillent à l’Encyclopédie, les encouragerait ; la plus saine partie de la nation vous en saurait beaucoup de gré.

 

          Il est un peu humiliant que les Russes récompensent magnifiquement (3) ceux que le parlement de Paris a persécutés.

 

          On m’a dit que les pairs avaient présenté au roi un mémoire sur leurs droits. J’ai longtemps examiné cette matière en étudiant l’histoire de France, et je suis convaincu que l’origine de toute juridiction suprême en France est la pairie ; mais vous avez M. Villaret, votre secrétaire (4), qui en sait beaucoup plus que moi, et qui sans doute vous a très bien servi ; c’est un homme très instruit. Conservez vos bontés à votre plus ancien serviteur, qui vous sera toujours attaché avec un profond respect.

 

 

1 – La Philosophie de l’histoire. (G.A.)

2 – En 1748. (G.A.)

3 – Allusion à l’achat de la bibliothèque de Diderot par Catherine. (G.A.)

4 – Le continuateur de Velly. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Villette.

 

15 Mai 1765 (1).

 

 

Vous savez penser comme écrire :

Les Grâces avec la Raison

Vous ont confié leur empire ;

L’infâme Superstition

Sous vos traits délicats expire.

Ainsi l’immortel Apollon

Charme l’Olympe de sa lyre,

Tandis que les flèches qu’il tire

Ecrasent le serpent Python.

Il est dieu quand par son courage

Ce monstre affreux est terrassé ;

Il l’est quand son brillant visage

Rallume le jour éclipsé ;

Mais entre les genoux d’Issé

Je le crois dieu bien davantage.

 

          Moins le hibou de Ferney, monsieur, mérite vos jolis vers, plus il vous en doit de remerciements. Il s’intéresse vivement à vous ; il connaît tout ce que vous valez.

 

Les erreurs et les passions

De vos beaux ans sont l’apanage ;

Sous cet amas d’illusions

Vous renfermez l’âme d’un sage.

 

          Je vous retiens pour un des soutiens de la philosophie, je vous en avertis : vous serez détrompé de tout ; vous serez un des nôtres.

 

Plein d’esprit, doux, et sociable,

Ce ‘est pas assez, croyez-moi ;

C’est pour autrui qu’on est aimable ;

Mais il faut être heureux pour soi.

 

          Nous avons une cellule nouvelle, et nous en bâtissons une autre ; vous savez combien vous êtes aimé dans notre couvent.

 

 

1 – C’est par erreur qu’on a toujours classé cette lettre au 15 mars 1765. A cette époque, Villette était à Ferney. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Albergati Capacelli.

 

15 Mai 1765, à Ferney (1).

 

 

          Envoyer, monsieur, de beaux vers italiens à un Français qui perd la vue, c’est donner des perdrix à un homme qui n’a plus de dents. Dès que je pourrai lire, ce sera vous sans doute que je lirai ; et, si j’avais pu voyager, ce serait vous que j’aurais voulu voir. Le triste état où je suis ne diminue rien de mon estime et de mon tendre attachement pour vous. Je mourrai avec ces sentiments, et avec le regret de n’avoir pu vous embrasser.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le cardinal de Bernis.

 

A Ferney, 15 Mai 1765.

 

 

          J’avais résolu, dans ma timide profanerie, de ne point écrire à monseigneur l’archevêque ; mais j’apprends que votre éminence fait autant de bien que je lui ai connu d’esprit et de grâces.

 

Omnis Aristippum decuit color et status et res.

 

HOR., lib. I, ep. XVII.

 

          C’est votre bienfaisance qui m’enhardit ; je m’adresse à vous dans votre département, qui est celui de secourir les malheureux.

 

          Il y a une famille bien plus infortunée que celle des Calas, et qui doit, comme les Calas, ses malheurs à l’horrible fanatisme du peuple, qui séduit quelquefois jusqu’aux magistrats. Mais, pour ne pas fatiguer votre éminence par de longs détails, je prends le parti de lui envoyer une lettre que j’écrivis il y a quelques mois à un de mes amis (1), et qu’on rendit publique. On est près de demander au conseil, dont vous êtes, une évocation ; mais nos avocats ont besoin de la copie de l’arrêt de Toulouse, qui confirme la sentence du premier juge. Cet arrêt est du 5 mai 1764. Vous pourriez aisément charger, sans vous compromettre, quelque homme de confiance de vous procurer cette copie. Je vous conjure de m’accorder cette grâce, si elle est en votre pouvoir. Vous tirerez une famille de très honnêtes gens de l’état le plus cruel où l’on puisse être réduit. Il y a bien des malheureux dans ce meilleur des mondes possibles ; mais il n’y en a point qui méritent plus votre compassion. Vous rendez service au genre humain, en servant à déraciner le fanatisme fatal qui change les hommes en tigres. Ces deux exemples des Calas et des Sirven feront une grande époque. Accordez-nous, je vous en supplie, toute votre protection dans cette affaire, qui intéresse l’humanité. Je ne sais si vous êtes lié avec M. l’archevêque de Toulouse (2), que je n’ai pas l’honneur de connaître ; mais il me semble que votre éminence est à portée de l’engager à nous obtenir cette copie que nous demandons. Il est bien étrange que l’on puisse refuser la communication d’un arrêt : une telle jurisprudence est monstrueuse, et, j’ose le dire, punissable. De bonne foi, souffririez-vous de pareils abus, si vous étiez dans le ministère ? Enfin je m’en remets à votre sagesse et à votre bonté. Vous devez avoir quelque avocat à Toulouse chargé des affaires de votre archevêché. Il me paraît bien aisé de faire retirer cette pièce par cet avocat. Au nom de Dieu, prenez cette bonne œuvre à cœur. Je vous aimerai autant qu’on vous aime dans votre diocèse.

 

          Je me flatte que vous jouissez d’une bonne santé ; ainsi je n’ai rien à vous souhaiter.

 

Gratia, fama, valetudo contifit abundè.

 

HOR., lib. I, ep. IV.

 

          J’écris aujourd’hui de ma main. Une bonne femme m’a presque guéri de mes fluxions, qui m’ôtaient l’usage de la vue : les femmes sont toujours bonnes à quelque chose. Ainsi donc ma main vous assure que mon cœur est pénétré, pour votre éminence, d’attachement et de respect.

 

 

1 – A Damilaville. (G.A.)

2 – Etienne-Charles de Loménie de Brienne. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Bastide.

 

Au château de Ferney, 17 Mai 1765.

 

 

          Je vois, monsieur, par les vers attendrissants que vous avez bien voulu m’envoyer, combien votre cœur sensible a été touché de la funeste aventure des Calas. Vous avez dû applaudir plus que personne à la justice que messieurs les maîtres des requêtes viennent de rendre à cette famille, et aux bienfaits dont le roi l’a honorée. Cette affaire m’a coûté trois ans de peine, que je ne regrette pas. Il y en a une autre à peu près semblable concernant une famille de Castres. Je ne conçois pas par quelle fureur on s’imagine, en Languedoc, que les pères et les mères égorgent leurs enfants, dès qu’ils les soupçonnent devoir être catholiques.

 

Tantùm relligio potuit suadere malorum !

 

LUCR., lib. I.

 

          Il est temps que la philosophie apprenne aux hommes à être sages et justes. J’ai l’honneur d’être, avec des sentiments respectueux, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

20 Mai 1765.

 

 

          Voici, mon cher frère, deux petits croquis de Donat Calas. J’aurais désiré qu’on l’eût fait un peu plus ressemblant, et qu’on n’eût pas sacrifié une chose si importante à l’idée de le représenter dans une attitude douloureuse qui défigure son joli visage. Si vous voulez vous servir de ce dessin, recommandez au peintre de faire Donat le plus joli qu’il pourra.

 

          Vous saurez d’ailleurs, mon cher frère, que vous avez carte blanche pour mettre votre frère au rang de ceux qui contribuent à la façon de cette estampe. Ce monument éternisera la plus horrible des injustices, la plus belle réparation, et la générosité de votre zèle vertueux.

 

          Il semble que plus les philosophes font de bien, plus on s’efforce de les persécuter. On a saisi le ballot qui contenait le bel ouvrage de notre cher Archimède ; l’autre aura le même sort ; la Philosophie de l’Histoire, que tous les gens sensés trouvent très sage, ne sera pas épargnée. Tout est suspect de la part de ceux qui rendent à la nation de vrais services. Je crains bien de n’avoir jamais l’Encyclopédie ; mon âge, ma mauvaise santé, et la fureur des jansénistes, me priveront de la consolation de lire ce grand ouvrage. Ne pourrais-je pas, par votre crédit, obtenir qu’on m’en fît parvenir trois tomes ? je garderais religieusement le secret.

 

          Si vous voyez le véritable prophète Elie, dites-lui, je vous en prie, que nous sommes réduits à faire signer dans Gex une procuration aux filles de Sirven, pour sommer le greffier du parlement toulousain de délivrer copie de l’arrêt qui confirme l’injuste sentence ; et si le greffier refuse, nous enverrons acte de son refus.

 

          Je trouve que cette cause peut faire au moins autant d’honneur à l’éloquence de M. de Beaumont que la cause des Calas. Cette fureur épidémique, qui a persuadé tous les tribunaux d’une province que la loi des protestants est parricide, est un sujet digne d’un citoyen tel que lui. Quiconque arrache une branche du fanatisme fait une plaie à l’arbre dont il se sent jusque dans ses racines. Rendons encore ce service à l’humanité dans l’affaire des Sirven, et demeurons inébranlables dans celle d’écr. l’inf…

 

          Je pense que désormais il est à propos que vous m’écriviez à Lyon, sous l’enveloppe de  M. Camp, banquier ; la curiosité des méchants sera trompée. Dites à frère Archimède qu’il en fasse autant. Nous pourrons jouir de la consolation de nous ouvrir nos cœurs ; le mien est à vous jusqu’au dernier moment de ma languissante vie.

 

N.B. – Soutenez constamment que l’abbé Bazin est le véritable auteur de la Philosophie de l’Histoire. Comment n’en pas croire son neveu ? quelle fureur de m’imputer jusqu’à l’ouvrage d’un théologien antiquaire ? persécutera-t-on toujours l’auteur de la chrétienne Zaïre ? Faites beau bruit, vous et les frères.

 

 

 

 

 

 

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