CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 16

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1765 - Partie 16

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à M. Damilaville.

 

29 Avril 1765.

 

 

          L’idée de l’estampe (1) des Calas est merveilleuse. Je vous prie, mon cher frère, de me mettre au nombre des souscriptions pour douze estampes. Il faut réussir à l’affaire des Sirven comme à celle des Calas ; ce serait un crime de perdre l’occasion de rendre le fanatisme exécrable.

 

          Je crois que le généreux Elie peut toujours faire son mémoire. La confirmation de l’arrêt de Toulouse est assez constatée par le procès-verbal d’exécution. Le mémoire de Sirven est de la plus grande fidélité ; il a répondu avec exactitude à toutes les interrogations de son patron Elie ; ainsi nous espérons dans peu voir la seconde Philippique.

 

          L’aventure de mademoiselle Clairon est furieusement welche. Si j’avais un conseil à donner aux gens tenant la Comédie, ce serait de ne jamais remonter sur le théâtre qu’on ne leur eût rendu les droits de citoyens. La contradiction est trop forte d’être mis au cachot si on ne joue pas, et d’être déclaré infâme si on joue.

 

          Je crois qu’il faut envoyer une aune de ruban (2) à l’abbé de Voisenon. Vous savez d’ailleurs comment placer ces pompons : on dit qu’ils peuvent guérir les pestiférés. Il faut en envoyer un à M. le comte de La Touraille, gentilhomme de la chambre du prince de Condé ; un à madame la comtesse de La Marck. Faisons le plus de bien que nous pourrons ; Dieu nous en saura gré.

 

          Je compte que Gabriel fera partir le 1er de mai la petite batterie (3) dressée contre l’insolence et l’absurdité théologiques. Il nous est arrivé un général autrichien qui est tout a fait attaché à la bonne cause ; nous avons aussi un excellent prosélyte danois. Toute langue et toute chaire commence à confesser la vérité. O sainte philosophie, que votre règne nous advienne !

 

          J’embrasse tous les frères dans la communion de l’esprit ; Dieu répand sur eux visiblement ses bénédictions. Je vous aime tous les jours davantage. Ecr. l’inf…

 

N.B. – Il me vient en idée de faire dessiner aussi le portrait du petit Calas, qui est encore à Genève ; il a la physionomie du monde la plus intéressante. On pourrait, pour en faire un beau contraste, le placer à la porte de la prison, sollicitant un conseiller de la Tournelle. Voyez, mon cher frère, si cette idée vous plaît ; parlez-en à madame Calas.

 

          Mandez-moi, je vous prie, si mademoiselle Clairon est encore au Fort-l’Evêque, et si elle persiste dans la résolution de renoncer au théâtre.

 

 

1 – Dessin de Carmontelle. (G.A.)

2 – Un Catéchisme. (G.A.)

3 – Les Observations de Morellet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Clairon.

 

1er Mai 1765.

 

 

          L’homme qui s’intéresse le plus à la gloire de mademoiselle Clairon et à l’honneur des beaux-arts, la supplie très instamment de saisir ce moment pour déclarer que c’est une contradiction trop absurde d’être au Fort-l’Evêque si on ne joue pas (1) et d’être excommunié par l’évêque si on joue, qu’il est impossible de soutenir ce double affront, et qu’il faut enfin que les Welches se décident. Les acteurs, qui ont marqué tant de sentiments d’honneur dans cette affaire, se joindront sans doute à elle. Que mademoiselle Clairon réussisse ou ne réussisse pas, elle sera révérée du public ; et si elle remonte sur le théâtre comme un esclave qu’on fait danser avec ses fers, elle perd toute sa considération. J’attends d’elle une fermeté qui lui fera autant d’honneur que ses talents, et qui fera une époque mémorable.

 

 

1 – Mademoiselle Clairon avait été emprisonnée pour avoir refusé de jouer avec l’acteur Dubois. Voyez la lettre de d’Alembert du 27 Avril. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

4 Mai 1765.

 

 

          Je vois, par votre lettre du 24, mon cher frère, que l’enchanteur Merlin a été poursuivi par les diables. Mandez-moi, je vous prie, s’il est échappé de leurs griffes. Je m’y intéresse bien vivement. Je tremble pour un paquet que je vous ai envoyé à l’adresse de M. Gaudet. Si ce paquet est perdu, il n’y a plus de ressource ; et cependant je ne serai pas découragé. Je suis à peu près borgne comme Annibal ; j’ai juré comme lui une haine immortelle aux Romains ; et dussé-je être empoisonné chez Prusias, je mourrai en leur faisant la guerre.

 

          La résolution de Pierre Calas de partir pour Genève m’effraie. Le gouvernement n’en serait-il pas indigné ? Calas a-t-il d’autre patrie que celle où Cicéron-Beaumont l’a si bien défendu, où le public l’a si bien soutenu, où les maîtres des requêtes l’ont si bien jugé, où le roi a comblé sa famille de bienfaits ? car vous savez qu’outre les trente-six mille livres, il y a encore six mille livres pour les procédures. Je me flatte qu’au moins vous l’empêcherez de partir sans une permission expresse ; et je crains bien encore que la demande de cette permission ne déplaise à la cour et ne fasse perdre les mille écus que le roi lui a donnés. Je soumets mon avis au vôtre.

 

          J’ignore si mademoiselle Clairon remontera sur le théâtre de Paris. Je la tiens pour une pauvre créature si elle a cette faiblesse. Plus on persécute la raison, les talents, la vérité et le goût, plus notre phalange doit marcher serrée. Je crois que les verges (1) dont on fouette M. le dénonciateur théologien arriveront bientôt à son cul.

 

          Adieu, mon cher philosophe, je m’unis toujours à vous dans la communion des fidèles, et vous embrasse avec la plus grande effusion de cœur. Ecr. l’inf…

 

 

 

1 – Les Observations de Morellet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Élie de Beaumont.

 

4 Mai 1765.

 

 

          Je me flatte que mon Cicéron a commencé sa seconde Philippique. Il n’est pas nécessaire, ce me semble, d’avoir la feuille du parlement toulousain, qui confirme la sentence de Mazamet (1), pour que le protecteur de l’innocence et de la raison se livre au mouvement de son éloquence. Vous aurez la gloire d’avoir détruit de bien cruels préjugés. M. de Lavaysse le père me mande que, depuis trente ans, la canaille catholique du Languedoc est persuadée que la canaille calviniste égorge ses enfants pour les empêcher de communier avec du pain azyme. Une vieille huguenote du pays qui s’amusait à consoler les mourants, passait pour les égorger tous, de peur qu’on ne leur donnât l’extrême-onction.

 

          Vous avez dû recevoir les réponses du pauvre Sirven à vos questions : vous êtes son sauveur ; il faudra vous peindre avec les Calas à vos pieds. Pierre Calas veut retourner à Genève, où il fait un petit commerce. Il me semble qu’il serait plus convenable de faire ce commerce à Paris. Ne risquerait-il pas de choquer le gouvernement et de perdre ses bienfaits, s’il sortait de France, après avoir obtenu une justice si éclatante et un présent de mille écus ? S’il veut retourner à Genève, il faut du moins qu’il en ait une permission authentique, et le ministère, en la lui donnant, aurait encore une très mauvaise opinion de lui. Je soumets mon avis au vôtre. Mille respects à madame de Beaumont.

 

 

1 – Contre les Sirven. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

A Ferney, 6 Mai..

 

 

          Mon cher philosophe, puisque vous daignez quelquefois si bien diriger la Gazette (1), voici une pièce authentique, qui, je crois, sera intéressante. Je tiens M. le vice-chancelier de France (2) pour un très grand philosophe, puisqu’il fait du bien ; et je souhaite que notre Eglise gallicane l’imite. Plût à Dieu que toute la nation sacerdotale vous ressemblât ! Je conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie les plus tendres sentiments pour vous.

 

          Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de M. et de madame de Freudenreich.

 

 

1 – De Berne. (G.A.)

2 – R.-C. de Maupeou. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis Albergati Capacelli.

 

A Ferney, 6 mai 1765 (1).

 

 

          Je suis toujours, mon cher monsieur, dans le même état, à cela près que je vieillis tous les jours ; il faut renoncer à tous les plaisirs, excepté à celui d’être aimé de vous. Jouissez de tous ceux que votre bonne santé et votre esprit encore meilleur peuvent vous procurer. Le goût des lettres et celui d’une véritable philosophie feront vos délices dans un pays où il y a bien peu de philosophes. Faites fleurir votre théâtre, tandis que je détruis le mien. Consolez-moi en exerçant un art auquel je suis forcé de renoncer, et conservez-moi des bontés auxquelles vous savez combien je suis sensible.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

6 mai 1765 (1).

.

 

 

          Mon cher frère, je croyais que le tableau et la gravure (2) dont vous m’aviez parlé étaient faits, et qu’il ne s’agissait plus que d’acheter des estampes. Mettez-moi au rang des souscripteurs, de quelque manière que ce puisse être et de quelque manière que vous l’entendiez. Les noms de Calas et de Sirven remplissent mon cœur autant que les persécuteurs l’indignent.

 

          Remarquons pourtant, à la gloire de notre siècle, que le public se soulève contre les fanatiques du Languedoc, et qu’Omer est l’objet du mépris général. Le nombre des honnêtes gens qui embrassent la vérité augmente tous les jours ; ils émoussent le glaive du fanatisme. Oh ! si les fidèles avaient la chaleur de votre belle âme, que de bien ils feraient ! Oh ! le beau chœur de musique qui finirait par Ecrasez l’infâme !

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – De la famille Calas. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Élie de Beaumont.

 

8 Mai 1765 (1).

 

 

          Le sieur Potin, l’un des clients du véritable Elie, du protecteur des opprimés, présentera à son défenseur le procès ci-joint, dont M. de Beaumont est bien plus juge compétent que la grand’chambre. Le neveu de l’abbé Bazin (2) salue très humblement M. et madame de Beaumont. Il prend la liberté de leur recommander et à leurs amis le sieur Potin, à qui il s’intéresse.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. Ces éditeurs avaient classé mal à propos ce billet à l’année 1764. (G.A.)

2 – Voltaire lui-même. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

10 Mai 1765 (1).

 

 

          On va dessiner, mon cher frère, le joli minois du petit Calas (2) que nous avons à Genève. A l’égard du sot portrait de votre frère (3), parti mardi par le coche à votre adresse, n’en faites aucun usage. Il y a, dit-on, une estampe, d’après le buste fait par Le Moyne, qui ressemblerait assez il y a quelques années. On le trouve chez un nommé Joulin, quai de la Mégisserie. Il est vrai que l’estampe ment un peu ; elle me fait naître le 20 Novembre 1694, et je suis né le 20 Février. Ce qui est bien sûr, c’est que, tant que je vivrai, écr. l’inf… sera ma devise, et je vous aime tendrement sera ma devise encore plus chère.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Donat Calas ne figure pas dans le dessin de Carmontelle. (G.A.)

3 – Voltaire lui-même. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. ***.

 

10 Mai 1765 (1).

 

 

          Vous saurez, monsieur, qu’un neveu de cet abbé Bazin que vous avez tant connu m’est venu apporter ces petits versiculets. Je lui ai dit qu’il aurait dû vous les laisser faire ; il en est convenu, et m’a répondu que c’était un très bon canevas, mais qu’il ne savait pas broder comme vous. Ce neveu de l’abbé Bazin est idolâtre d’Ovide, de Tibulle, de Catulle et de M. le chevalier de Boufflers. Il m’a dit que s’il n’était pas si vieux, il irait à Lunéville présenter ses respects à la mère et au fils ; je crois qu’il s’amuserait beaucoup avec vous, car il est grand théologien. Son extrême dévotion enchanterait votre monarque. Adieu, monsieur, ayez toutes sortes de plaisirs, et chantez-les : votre vocation est d’être heureux et de rendre heureux ceux qui ont l’honneur de vivre avec vous : j’en dis autant de madame de Boufflers, et je me mets à ses pieds.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

11 Mai 1765.

 

 

          M. de Villette, maréchal-général des logis des armées, qui a passé deux mois à Ferney, doit rendre à mon cher frère un petit paquet. C’est un jeune homme qui, à la vérité, avait fait quelques fredaines ; mais il a beaucoup d’esprit et est très aimable. Il sera un des meilleurs ouvriers de la vigne. Le nombre des frères augmente, mais ils se tiennent cachés propter metum Judœrum.

 

          Je soupire après l’Encyclopédie. J’embrasse mon cher frère.

 

 

 

 

 

 

 

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