CONTE EN VERS - Les trois manières - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

CONTE EN VERS - Les trois manières - Partie 2

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LES TROIS MANIÈRES.

 

 

 

 

- Partie 2 -

 

 

 

 

 

TÉONE.

 

 

Vous connaissez tous Agathon ;

Il est plus charmant que Nirée ;

A peine n’un naissant coton

Sa ronde joue était parée.

Sa voix est tendre : il a le ton

Comme les yeux de Cythérée.

Vous savez de quel vermillon

Sa blancheur vive est colorée ;

La chevelure d’Apollon

N’est pas si longue et si dorée.

Je le pris pour mon compagnon

Aussitôt que je fus nubile.

Ce n’est pas sa beauté fragile

Dont mon cœur fut le plus épris.

S’il a les grâces de Pâris,

Mon amant a le bras d’Achille.

Un soir, dans un petit bateau,

Tout auprès d’une île Cyclade,

Ma tante et moi goûtions sur l’eau

Le plaisir de la promenade,

Quand de Lydie un gros vaisseau

Vint nous aborder à la rade.

Le vieux capitaine écumeur

Venait souvent dans cette place

Chercher des filles de mon âge

Pour les plaisirs du gouverneur.

En moi je ne sais quoi le frappe ;

Il me trouve un air assez beau :

Il laisse ma tante, il me happe ;

Il m’enlève comme un moineau,

Et va me vendre à son satrape.

Ma bonne tante, en glapissant,

Et la poitrine déchirée,

S’en retourne au port du Pirée

Raconter au premier passant

Que sa Téone est égarée ;

Que de Lydie un armateur,

Un vieux pirate, un revendeur

De la féminine denrée,

S’en est allé livrer ma fleur

Au commandant de la contrée.

 

Pensez-vous alors qu’Agathon

S’amusât à verser des larmes,

A me peindre avec un crayon,

A chanter sa perte et mes charmes

Sur un petit psaltérion ?

Pour me ravoir il prit les armes :

Mais n’ayant pas de quoi payer

Seulement le moindre estafier,

Et se fiant sur sa figure,

D’une fille il prit la coiffure,

Le tour de gorge et le panier.

Il cacha sous son tablier

Un long poignard et son armure,

Et courut tenter l’aventure

Dans la barque d’un nautonier.

Il arrive au bord du Méandre

Avec son petit attirail.

A ses attraits, à son air tendre,

On ne manqua pas de le prendre

Pour une ouaille du bercail

Où l’on m’avait déjà fait vendre ;

Et, dès qu’à terre il put descendre,

On l’enferma dans mon sérail.

Je ne crois pas que de sa vie

Une fille ait jamais goûté

Le quart de la félicité

Qui combla mon âme ravie

Quand, dans un sérail de Lydie,

Je vis mon Grec à mon côté,

Et que je pus en liberté

Récompenser la nouveauté

D’une entreprise si hardie

Pour époux il fut accepté.

Les dieux seuls daignèrent paraître

A cet hymen précipité ;

Car il n’était point là de prêtre :

Et, comme vous pouvez penser,

Des valets on peut se passer

Quand on est sous les yeux du maître.

Le soir, le satrape amoureux,

Dans mon lit sans cérémonie,

Vint m’expliquer ses tendres vœux.

Il crut, pour apaiser ses feux,

N’avoir qu’une fille jolie ;

Il fut surpris d’en trouver deux.

« Tant mieux, dit-il, car votre amie,

Comme vous, est fort à mon gré.

J’aime beaucoup la compagnie :

Toutes deux je contenterai,

N’ayez aucune jalousie. »

Après sa petite leçon,

Qu’il accompagnait de caresses,

Il voulait agir tout de bon ;

Il exécutait ses promesses,

Et je tremblais pour Agathon.

Mais mon Grec, d’une main guerrière,

Le saisissant par la crinière,

Et tirant son estramaçon

Lui fit voir qu’il était garçon,

Et parla de cette manière :

« Sortons tous trois de la maison,

Et qu’on me fasse ouvrir la porte ;

Faites bien signe à votre escorte

De ne suivre en nulle façon.

Marchons tous les trois au rivage ;

Embarquons-nous sur un esquif.

J’aurai sur vous l’œil attentif :

Point de geste, point de langage :

Au premier signe un peu douteux

Au clignement d’une paupière,

A l’instant je vous coupe en deux,

Et vous jette dans la rivière. »

Le satrape était un seigneur

Assez sujet à la frayeur ;

Il eut beaucoup d’obéissance :

Lorsqu’on a peur on est fort doux.

Sur la nacelle, en diligence

Nous l’embarquâmes avec nous.

Sitôt que nous fûmes en Grèce,

Son vainqueur le mit à rançon :

Elle fut en sonnante espèce.

Elle était forte, il m’en fit don :

Ce fut ma dot et mon douaire.

Avouez qu’il a su plus faire

Que le bel esprit Lygdamon,

Et que j’aurais fort à me plaindre,

S’il n’avait songé qu’à me peindre,

Et qu’à me faire une chanson.

Les Grecs furent charmés de la voix douce et vive,

Du naturel aisé, de la gaieté naïve,

Dont la jeune Téone anima son récit.

La grâce, en s’exprimant, vaut mieux que ce qu’on dit.

On applaudit, on rit : les Grecs aimaient à rire.

Pourvu qu’on soit content, qu’importe qu’on admire ?

 

Apamis s’avança les larmes dans les yeux :

Ses pleurs étaient un charme, et la rendaient plus belle.

Les Grecs prirent alors un air plus sérieux,

Et, dès qu’elle parla, les cœurs furent pour elle.

Apamis raconta ses malheureux amours

En mètres qui n’étaient ni trop longs, ni trop courts.

Dix syllabes par vers, mollement arrangées,

Se suivaient avec art, et semblaient négligées.

Le rythme en est facile, il est mélodieux.

L’hexamètre est plus beau, mais parfois ennuyeux.

 

 

APAMIS.

 

 

 

L’astre cruel sous qui j’ai vu le jour

M’a fait pourtant naître dans Amathonte,

Lieux fortunés où la Grèce raconte

Que le berceau de la mère d’Amour

Par les Plaisirs fut apporté sur l’onde ;

Elle y naquit pour le bonheur du monde,

A ce qu’on dit, mais non pas pour le mien.

Son culte aimable et sa loi douce et pure

A ses sujets n’avaient fait que du bien,

Tant que sa loi fut celle de nature :

Le rigorisme a souillé ses autels :

Les dieux sont bons, les prêtres sont cruels.

Les novateurs ont voulu qu’une belle

Qui par malheur deviendrait infidèle

Allât finir ses jours au fond de l’eau

Où la déesse avait eu son berceau.

Si quelque amant ne se noyait pour elle.

Pouvait-on faire une loi si cruelle ?

Hélas ! faut-il le frein du châtiment

Aux cœurs biens nés pour aimer constamment ?

Et si jamais, à la faiblesse en proie,

Quelque beauté vient à changer d’amant,

C’est un grand mal ; mais faut-il qu’on la noie ?

Tendre Vénus, vous qui fîtes ma joie

Et mon malheur ; vous qu’avec tant de soin

J’avais servie avec le beau Bathyle,

D’un cœur si droit, d’un esprit si docile ;

Vous le savez, je vous prends à témoin,

Comme j’aimais, et si j’avais besoin

Que mon amour fût nourri par la crainte.

Des plus beaux nœuds la pure et douce étreinte

Faisait un cœur de nos cœurs amoureux.

Bathyle et moi nous respirions ces feux

Dont autrefois a brûlé la déesse.

L’astre des cieux, en commençant son cours,

En l’achevant, contemplait nos amours ;

La nuit savait quelle était ma tendresse.

Arénorax, homme indigne d’aimer,

Au regard sombre, au front triste, au cœur traître,

D’amour pour moi parut s’envenimer,

Non s’attendrir ; il le fit bien connaître.

Né pour haïr, il ne fut que jaloux.

Il distilla les poisons de l’envie ;

Il fit parler la noire calomnie.

O délateurs ! monstres de ma patrie,

Nés de l’enfer, hélas ! rentrez-y tous.

L’art contre moi mit tant de vraisemblance,

Que mon amant put même s’y tromper ;

Et l’imposture accabla l’innocence.

Dispensez-moi de vous développer

Le noir tissu de sa trame secrète ;

Mon tendre cœur ne peut s’en occuper,

Il est trop plein de l’amant qu’il regrette.

A la déesse en vain j’eus mon recours,

Tout me trahit ; je me vis condamnée

A terminer mes maux et mes beaux jours

Dans cette mer où Vénus était née.

On me menait au lieu de mon trépas :

Un peuple entier mouillait de pleurs mes pas,

Et me plaignait d’une plainte inutile,

Quand je reçus un billet de Bathyle.

Fatal écrit qui changeait tout mon sort !

Trop cher écrit, plus cruel que la mort !

Je crus tomber dans la nuit éternelle

Quand je l’ouvris, quand j’aperçus ces mots :

« Je meurs pour vous fussiez-vous infidèle. »

C’en était fait : mon amant dans les flots

S’était jeté pour me sauver la vie.

On l’admirait en poussant des sanglots.

Je t’implorais, ô mort, ma seule envie,

Mon seul devoir ! On eut la cruauté

De m’arrêter lorsque j’allais le suivre ;

On m’observa : j’eus le malheur de vivre ;

De l’imposteur la sombre iniquité

Fut mise au jour, et trop tard découverte.

Du talion il a subi la loi ;

Son châtiment répare-t-il ma perte ?

Le beau Bathyle est mort, et c’est pour moi !

Je viens à vous, ô juges favorables !

Que mes soupirs, que mes funèbres soins,

Touchent vos cœurs ; que j’obtienne du moins

Un appareil à des maux incurables.

A mon amant dans la nuit du trépas

Donnez le prix que ce trépas mérite ;

Qu’il se console aux rives du Cocyte

Quand sa moitié ne se console pas ;

Que cette main qui tremble et qui succombe,

Par vos bontés encor se ranimant,

Puisse à vos yeux écrire sur sa tombe :

« Athènes et moi couronnons mon amant. »

Disant ces mots, sans sanglots l’arrêtèrent ;

Elle se tut, mais ses larmes parlèrent.

Chaque juge fut attendri.

Pour Eglé d’abord ils penchèrent ;

Avec Téone ils avaient ri ;

J’ignore, et j’en suis bien marri,

Quel est le vainqueur qu’ils nommèrent.

 

 

 

Au coin du feu, mes chers amis,

C’est pour vous seuls que je transcris

Ces contes tirés d’un vieux sage.

Je m’en tiens à votre suffrage ;

C’est à vous de donner le prix :

Vous êtes mon aréopage.

 

 

 

 

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