TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE - Appendice
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TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE
A L’OCCASION DE LA MORT DE JEAN CALAS.
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APPENDICE.
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Au bout de sept ans d’attente, en janvier 1772, les Sirven obtinrent justice entière. Le parlement de Toulouse, devant lequel l’affaire était revenue, proclama leur innocence et condamna les premiers juges à payer les frais du procès criminel. Succès inouï !
La famille Calas, quoique réhabilitée depuis longtemps, n’eut pas un triomphe aussi complet. Invitée secrètement à ne pas prendre les juges coupables à partie, elle dut se contenter, comme indemnité réelle, de la somme offerte par le roi, de la vente des brochures de Voltaire et de celle d’une gravure les représentant tous groupés dans la prison autour du vieux Calas. On maria une des filles avec un gentilhomme, M. du Voisin ; le patriarche écrivit aux princes allemands pour leur recommander Donat Calas qui allait faire le commerce au-delà du Rhin ; et ce fut tout. Jusqu’à la Révolution on n’entend plus parler d’eux. Ce n’est qu’en 1791, au triomphe de Voltaire, que les demoiselles Calas réapparaissent, mais sans leurs frères, en tête du cortège qui accompagne au Panthéon les cendres du grand homme.
En 1793, au moment de la grande déprêtrisation, le nom de Calas, qui n’a cessé depuis deux ans de retenir au théâtre, est prononcé encore solennellement dans la Convention, et les demoiselles avec leur frère Louis, devenu jacobin, se montrent à la barre. Mais racontons cette scène.
Le 25 brumaire, Thuriot venait de faire lecture du décret qui anéantissait la sentence prononcée en 1766 contre La Barre et d’Etallonde, et l’on en avait adopté la rédaction quand Barère monta à la tribune et dit :
« Avant de vous présenter quelques rapports au nom du comité de salut public, qu’il me soit permis de représenter à l’assemblée qu’elle n’a rendu qu’une demi-justice aux victimes du fanatisme. Au moment où j’entrais le nom de La Barre a frappé mon oreille ; pourquoi donc Calas n’est-il par compris dans le décret que vous avez rendu ? Il fut aussi une victime du fanatisme. Ce furent les prêtres, les jongleries ecclésiastiques et les mascarades religieuses connues sous le nom de pénitents blancs, bleus et noirs, qui fanatisèrent le parlement déjà fanatique par lui-même, et le déterminèrent à rendre le jugement inique, si connu par son objet et par les réclamations énergiques du philosophe de Ferney. Vous devez réhabiliter aussi la mémoire de Calas, dont un rejeton se fait remarquer aux Jacobins par la pureté de son patriotisme ; vous devez penser, comme les législateurs de l’antiquité que les pères ne doivent pas tuer leurs enfants. (Vifs applaudissements.)
Je demande donc que vous rendiez, pour la mémoire de Calas, le même décret que vous avez rendu pour celle de La Barre, et que, pour honorer les mœurs nouvelles, vous fassiez élever sur la place où Calas mourut une colonne portant cette inscription : La Convention nationale à la Nature, à l’Amour paternel. (On applaudit.)
THURIOT : La réhabilitation de Calas a déjà été faite par un arrêté du parlement, sur les mémoires de Voltaire. »
La proposition de Barère fut décrétée.
Garan demanda que la mémoire de Sirven, accusé injustement aussi d’avoir tué sa fille, fût réhabilitée.
On renvoya au comité d’instruction publique pour présenter une loi générale.
Le 29 brumaire, Merlin faisait lecture de la rédaction du décret sur Calas :
« Art. Ier. La Convention nationale décrète qu’il sera élevé aux frais de la République, sur la place où le fanatisme a fait périr Calas, une colonne de marbre sur laquelle sera gravée l’inscription suivante :
La Convention nationale à la Nature,
à l’Amour paternel, à Calas, victime du fanatisme.
II. Le conseil exécutif, chargé de l’exécution du présent décret, fera construire la colonne des marbres arrachés au fanatisme par la raison dans les églises supprimées du département. »
Et la Convention adoptait cette proposition.
Puis le 11 frimaire, le citoyen Louis Calas et ses sœurs venaient remercier la Convention, et demander une indemnité pour payer les créanciers de leur père. La pétition qu’ils présentaient était renvoyée au comité de législation, et le rapporteur de ce comité, Bérard, prenait la parole le 23 pluviôse an II.
Citoyens, la nature, la loi, la justice, la vérité ont été outragées par la sanglante condamnation de Calas ; le fanatisme et l’erreur siégeaient avec ses juges et leur ont dicté son arrêt de mort. Vingt mille spectateurs ont frémi en voyant ce vieillard irréprochable sur l’échafaud. Ceux qui demandaient son supplice, pour venger la religion, ont répandu des larmes sur son bûcher, et l’Europe entière, dont ce procès célèbre avait fixé les regards, a été indignée.
La réhabilitation de sa mémoire sous le despotisme ne pouvait être une réparation suffisante. Il n’appartenait qu’aux représentants d’un peuple libre, juste et éclairé du flambeau de la raison, d’attester par un monument public, à la postérité la plus éloignée, l’innocence du plus malheureux des pères.
Vous avez rendu hommage à la nature et à la plus douce des vertus, au nom de tous les hommes libres, en déclarant solennellement, le 29 brumaire dernier, qu’il serait élevé, aux frais de la République, sur la place où le fanatisme a fait périr Calas, une colonne en marbre, sur laquelle serait gravée l’inscription suivante :
La Convention nationale à la Nature,
à l’Amour paternel, à Calas, victime du fanatisme.
Vous avez rendu hommage à la raison en décrétant que cette colonne serait construite du marbre arraché au fanatisme dans les églises supprimées.
Généreux, bienfaisants, comme les Français que vous représentez, vous avez été touchés de la ruine que le procès de Calas a occasionnée à ses enfants, et vous avez renvoyé à votre comité de législation la proposition d’indemniser cette famille malheureuse aux dépens de qui il appartiendrait.
Votre comité de législation se livrait à l’examen de cette proposition lorsque vous lui renvoyâtes la pétition de Louis, Anne-Rose et Anne Calas, qui étaient venus à votre barre, le 11 frimaire, vous porter l’hommage de leur reconnaissance et entrer dans quelques détails sur les circonstances qui ont précédé et suivi l’affreux événement dont ils gémissent encore.
Le décret semble en faire naître plusieurs, et elles ont toutes été discutées.
La famille Calas a-t-elle droit à une indemnité ? Les créanciers légitimes de Jean Calas seront-ils payés ? Est-ce aux dépens des capitouls et des jufes qui ont prononcé son arrêt de mort ? [illisible]….. aussi à des créanciers honnêtes, dont la fortune reposait sur le commerce de cet homme intègre, qu’ils ont été ruinés par le défaut de paiement ; à des enfants indigents que leurs pères sont morts insolvables, parce qu’ils n’ont pu recouvrer les créances qu’ils avaient sur la maison de commerce de Calas.
Ce monument serait imparfait si un seul Français pouvait dire à un autre Français ou à un étranger : Vois cette colonne que la Convention a fait élever à la mémoire d’un père tendre et pur ; je partage les malheurs de sa famille, car je languis dans la misère ; j’étais son créancier, je ne suis pas payé.
Citoyens, la réhabilitation entière de la mémoire de Calas exige l’acquit de ses dettes.
La quittance générale de ses créanciers est une inscription qui manque à la colonne. »
Bérard lit le projet de décret suivant :
« La Convention nationale, après avoir entendu son comité de législation, décrète :
Art. Ier. Les créanciers légitimes de Jean Calas, colloqués dans l’arrêt de distribution du ci-devant parlement de Toulouse, du 3 septembre 1763, seront payés par le trésor public des sommes qui leur restent dues.
II. A cet effet, expédition de l’arrêt de distribution et leurs titres de créances seront fournis dans le mois au bureau du liquidateur général, à peine de déchéance.
III. Ceux des enfants Calas qui sont dans le besoin sont renvoyés au comité des secours publics, qui fera son rapport incessamment. »
La Convention ordonne l’impression et l’ajournement de ce projet de décret.
C’est là le dernier cri en faveur des Calas. Quelques jours plus tard, la Révolution enrayait, et le projet de décret n’était pas voté. (G.A.)