FACÉTIE - POT-POURRI - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

FACÉTIE - POT-POURRI - Partie 1

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POT-POURRI.

 

 

 

- 1764 -

 

 

 

 

[Cette étrange facétie, pleine de gaietés antireligieuses, est une revue de toutes les choses qui se trouvaient, en 1764, à l’ordre du jour. Elle figure dans les Nouveaux mélanges de 1765.] (G.A.)

 

 

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§ I.

 

 

          Brioché fut le père de Polichinelle, non pas son propre père, mais père de génie. Le père de Brioché était Guillot Gorju, qui fut fils de Giles, qui fut fils de Gros-René, qui tirait son origine du Prince des sots et de la Mère sotte ; c’est ainsi que l’écrit l’auteur de l’Almanach de la Foire. M. Parfait (1), écrivain non moins digne de foi, donne pour père à Brioché Tabarin, à Tabarin Gros-Guillaume, à Gros-Guillaume Jean Boudin, mais en remontant toujours au Prince des sots. Si ces deux historiens se contredisent, c’est une preuve de la vérité du fait pour le P. Daniel, qui les concilie avec une merveilleuse sagacité et qui détruit par là le pyrrhonisme de l’histoire (2).

 

 

1 – Auteur de l’Histoire du Théâtre français, et de Mémoires pour servir à l’histoire des spectacles de la Foire. (G.A.)

2 – Ce premier paragraphe est une satire de la double généalogie de Jésus-Christ. (G.A.)

 

 

 

 

 

§ II.

 

 

 

          Comme je finissais ce premier paragraphe des cahiers de Merry Hissing (1) dans mon cabinet, dont la fenêtre donne sur la rue Saint-Antoine, j’ai vu passer les syndics des apothicaires, qui allaient saisir des drogues et du vert-de-gris que les jésuites de la rue Saint-Antoine vendaient en contrebande (2) ; mon voisin M. Husson, qui est une bonne tête, est venu chez moi et m’a dit : Mon ami, vous riez de voir les jésuites vilipendés ; vous êtes bien aise de savoir qu’ils sont jésuites vilipendés ; vous êtes bien aise de savoir qu’ils sont convaincus d’un parricide en Portugal et d’une rébellion au Paraguay ; le cri public qui s’élève en France contre eux, la haine qu’on leur porte, les opprobres multipliés dont ils sont couverts, semblent être pour vous une consolation ; mais sachez que, s’ils sont perdus comme tous les honnêtes gens le désirent, vous n’y gagnerez rien ; vous serez accablé par la faction des jansénistes. Ce sont des enthousiastes féroces, des âmes de bronze, pires que les presbytériens qui renversèrent le trône de Charles Ier. Songez que les fanatiques sont plus dangereux que les fripons. On ne peut jamais faire entendre raison à un énergumène ; les fripons l’entendent (3).

 

          Je disputai longtemps contre M. Husson ; je lui dis enfin : Monsieur, consolez-vous ; peut-être que les jansénistes seront un jour aussi adroits que les jésuites. Je tâchai de l’adoucir ; mais c’est une tête de fer qu’on ne fait jamais changer de sentiment.

 

 

1 – Persifleur et facétieux. (G.A.)

2 – 14 Mai 1760. Voyez aux POÉSIES une des notes du Russe à Paris. (G.A.)

3 – Voyez Balance égale. (G.A.)

 

 

 

 

 

§ III.

 

 

 

          Brioché voyant que Polichinelle était bossu par devant et par derrière, lui voulut apprendre à lire et à écrire. Polichinelle (1), au bout de deux ans, épela assez passablement ; mais il ne put jamais parvenir à se servir d’une plume. Un des écrivains de sa Vie remarque qu’il essaya un jour d’écrire son nom, mais que personne ne put le lire.

 

          Brioché était fort pauvre ; sa femme et lui n’avaient pas de quoi nourrir Polichinelle, encore moins de quoi lui faire apprendre un métier. Polichinelle leur dit : Mon père et ma mère, je suis bossu, et j’ai de la mémoire ; trois ou quatre de mes amis, et moi, nous pouvons établir des marionnettes ; je gagnerai quelque argent ; les hommes ont toujours aimé les marionnettes ; il y a quelquefois de la perte à en vendre de nouvelles, mais aussi il y a de grands profits.

 

          Monsieur et madame Brioché admirèrent le bon sens du jeune homme ; la troupe se forma, et elle alla établir ses petits tréteaux dans une bourgade suisse, sur le chemin d’Appenzel à Milan.

 

          C’était justement dans ce village que les charlatans d’Orviète avaient établi le magasin de leur orviétan. Ils s’aperçurent qu’insensiblement la canaille allait aux marionnettes et qu’ils vendaient dans le pays la moitié moins de savonnettes et d’onguent pour la brûlure. Ils accusèrent Polichinelle de plusieurs mauvais déportements et portèrent leurs plaintes devant le magistrat. La requête disait que c’était un ivrogne dangereux ; qu’un jour il avait donné cent coups de pied dans le ventre, en plein marché, à des paysans qui vendaient des nèfles.

 

          On prétendit aussi qu’il avait molesté un marchand de coqs d’Inde ; enfin ils l’accusèrent d’être sorcier. M. Parfaict, dans son Histoire du Théâtre, prétend qu’il fut avalé par un crapaud ; mais le P. Daniel pense ou du moins parle autrement. On ne sait pas ce que devint Brioché (2). Comme il n’était que le père putatif de Polichinelle, l’historien n’a pas jugé à propos de nous dire de ses nouvelles.

 

 

1 – Toujours Jésus. (G.A.)

2 – Les Evangiles, en effet, ne parlent pas de la mort de Joseph. (G.A.)

 

 

 

 

§ IV.

 

 

 

          Feu M. Dumarsais (1) assurait que le plus grand des abus était la vénalité des charges. C’est un grand malheur pour l’Etat, disait-il, qu’un homme de mérite, sans fortune, ne puisse parvenir à rien. Que de talents enterrés et que de sots en place ! Quelle détestable politique d’avoir éteint l’émulation ! M. Dumarsais, sans y penser, plaidait sa propre cause ; il a été réduit à enseigner le latin, et il aurait rendu de grands services à l’Etat s’il avait été employé. Je connais des barbouilleurs de papier qui eussent enrichi une province s’ils avaient été à la place, il faut être fils d’un riche qui vous laisse de quoi acheter une charge, un office, et ce qu’on appelle une dignité. Dumarsais assurait qu’un Montaigne, un Charron, un Descartes, un Gassendi, un Bayle, n’eussent jamais condamné aux galères des écoliers soutenant thèse contre la philosophie d’Aristote, ni n’auraient fait brûler le curé Urgain Grandier, le curé Gaufridi, et qu’ils n’eussent point, etc., etc. (2).

 

 

 

1 – C’est le célèbre grammairien. (G.A.)

2 – Voyez sur ces arrêts l’Histoire du Parlement. (G.A.)

 

 

 

 

 

§ V.

 

 

 

          Il n’y a pas longtemps que le chevalier Roginante, gentilhomme ferrarois, qui voulait faire une collection de tableaux de l’école flamande, alla faire des emplettes dans Amsterdam. Il marchanda un assez beau christ chez le sieur Vandergru. Est-il possible, dit le Ferrarois au Batave, que vous qui n’êtes pas chrétien (car vous êtes Hollandais) vous ayez chez vous un Jésus ? Je suis chrétien et catholique, répondit M. Vandergru sans se fâcher ; et il vendit son tableau assez cher. Vous croyez donc Jésus-Christ Dieu ? lui dit Roginante. Assurément, dit Vandergru.

 

          Un autre curieux logeait à la porte attenante, c’était un socinien ; il lui vendit une Sainte-Famille. Que pensez-vous de l’enfant ? dit le Ferrarois. Je pense, répondit l’autre, que ce fut la créature la plus parfaite que Dieu ait mise sur la terre (1).

 

          De là le Ferrarois alla chez Moïse Mansebo, qui n’avait que de beaux paysages et point de Sainte-Famille. Roginante  lui demanda pourquoi on ne trouvait pas chez lui de pareils sujets. C’est, dit-il, que nous avons cette famille en exécration.

 

          Roginante passa chez un fameux anabaptiste qui avait les plus jolis enfants du monde ; il leur demanda dans quelle église ils avaient été baptisés. Fi donc ! monsieur, lui dirent les enfants ; grâce à Dieu, nous ne sommes point encore baptisés.

 

          Roginante n’était pas au milieu de la rue, qu’il avait déjà vu une douzaine de sectes entièrement opposées les unes aux autres. Son compagnon de voyage, M. Sacrito, lui dit : Enfuyons-nous vite, voilà l’heure de la Bourse ; tous ces gens-ci vont s’égorger, sans doute, selon l’antique usage, puisqu’ils pensent tous diversement ; et la populace nous assommera, pour être sujets du pape.

 

          Ils furent bien étonnés quand ils virent toutes ces bonnes gens-là sortir de leurs maisons avec leurs commis, se saluer civilement et aller à la Bourse de compagnie. Il y avait ce jour-là, de compte fait, cinquante-trois religions sur la place, en comptant les arminiens et les jansénistes. On fit pour cinquante-trois millions d’affaires le plus paisiblement du monde, et le Ferrarois retourna dans son pays, où il trouva plus d’agnus Dei que de lettres de change.

 

          On voit tous les jours la même scène à Londres, à Hambourg, à Dantzick, à Venise même, etc. Mais ce que j’ai vu de plus édifiant, c’est à Constantinople.

 

          J’eus l’honneur d’assister, il y a cinquante ans, à l’installation d’un patriarche grec, par le sultan Achmet III, dont Dieu veuille avoir l’âme. Il donna à ce prêtre chrétien l’anneau et le bâton fait en forme de béquille. Il y eut ensuite une procession de chrétiens dans la rue Cléobule ; deux janissaires marchèrent à la tête de la procession. J’eus le plaisir de communier publiquement dans l’église patriarcale, et il ne tint qu’à moi d’obtenir un canonicat.

 

          J’avoue qu’à mon retour à Marseille, je fus fort étonné de ne point y trouver de mosquée. J’en marquai ma surprise à monsieur l’intendant et à monsieur l’évêque. Je leur dis que cela était fort incivil, et que si les chrétiens avaient des églises chez les musulmans, on pouvait au moins faire aux Turcs la galanterie de quelques chapelles. Ils me promirent tous deux qu’ils en écriraient en cour : mais l’affaire en demeura là, à cause de la constitution Unigenitus (2).

 

          O mes frères les jésuites ! vous n’avez pas été tolérants, et on ne l’est pas pour vous. Consolez-vous ; d’autres (3) à leur tour deviendront persécuteurs, et à leur tour ils seront abhorrés.

 

 

1 – Les sociniens ne croyaient pas à Jésus fils de Dieu. (G.A.)

2 – Voyez le chapitre XXXVII du Siècle de Louis XIV. (G.A.)

3 – Les jansénistes. (G.A.)

 

 

 

 

 

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