DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - E comme ÉLÉGANCE

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - E comme ÉLÉGANCE

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E comme ÉLÉGANCE.

 

 

 

 

 

 

          Ce mot, selon quelques-uns, vient d’électus, choisi. On ne voit pas qu’aucun autre mot latin puisse être son étymologie : en effet, il y a du choix dans tout ce qui est élégant. L’élégance est un résultat de la justesse et de l’agrément.

 

          On emploie ce mot dans la sculpture et dans la peinture. On opposait elegans signum à signum rigens ; une figure proportionnée, dont les contours arrondis étaient exprimés avec mollesse, à une figure trop roide et mal terminée.

 

          La sévérité des anciens Romains donna à ce mot, élegantia, un sens odieux. Ils regardaient l’élégance en tout genre comme une afféterie, comme une politesse recherchée, indigne de la gravité des premiers temps : Vitii, non laudis fuit, dit Aulu-Gelle. Ils appelaient un homme élégant à peu près ce que nous appelons aujourd’hui un petit-maître, bellus homuncio, et ce que les Anglais appellent un beau ; mais vers le temps de Cicéron, quand les mœurs eurent reçu le dernier degré de politesse, elegans était toujours une louange. Cicéron se sert en cent endroits de ce mot pour exprimer un homme, un discours poli ; on disait même alors un repas élégant, ce qui ne se dirait guère parmi nous.

 

          Ce terme est consacré en français, comme chez les anciens Romains, à la sculpture, à la peinture, à l’éloquence, et principalement à la poésie. Il ne signifie pas, en peinture et en sculpture, précisément la même chose que grâce.

 

          Ce terme de grâce se dit particulièrement du visage, et on ne dit pas un visage élégant,  comme des contours élégants ; la raison en est que la grâce a toujours quelque chose d’animé, et c’est dans le visage que paraît l’âme ; ainsi on ne dit pas une démarche élégante, parce que la démarche est animée.

 

          L’élégance d’un discours n’est pas l’éloquence, c’en est une partie : ce n’est pas la seule harmonie, le seul nombre ; c’est la clarté, le nombre et le choix des paroles.

 

          Il y a des langues en Europe dans lesquelles rien n’est si rare qu’un discours élégant : des terminaisons rudes, des consonnes fréquentes, des verbes auxiliaires nécessairement redoublés dans une même phrase, offensent l’oreille même des naturels du pays.

 

          Un discours peut être élégant sans être un bon discours, l’élégance n’étant en effet que le mérite des paroles ; mais un discours ne peut être absolument bon sans être élégant.

 

          L’élégance est encore plus nécessaire à la poésie que l’éloquence, parce qu’elle est une partie de cette harmonie si nécessaire aux vers.

 

          Un orateur peut convaincre, émouvoir même sans élégance, sans pureté, sans nombre ; un poème ne peut faire d’effet s’il n’est élégant. C’est un des principaux mérites de Virgile : Horace est bien moins élégant dans ses satires, dans ses épîtres ; aussi est-il moins poète, sermoni propior.

 

          Le grand point dans la poésie et dans l’art oratoire, c’est que l’élégance ne fasse jamais tort à la force ; et le poète, en cela comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l’orateur ; car, l’harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes ; il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l’élégance de l’expression : c’est une gêne que l’orateur n’éprouve jamais.

 

          Il est à remarquer que si l’élégance a toujours l’air facile, tout ce qui est facile et naturel n’est cependant pas élégant. Il n’y a rien de si facile, de si naturel que

 

                              La cigale ayant chanté

                                         Tout l’été,

 

Et,

 

                              Maître corbeau, sur un arbre perché…

 

          Pourquoi ces morceaux manquent-ils d’élégance ? C’est que cette naïveté est dépourvue de mots choisis et d’harmonie.

 

                              Amants,  heureux amants, voulez-vous voyager ?

                                         Que ce soit aux rives prochaines.

 

                                                   La Fontaine, livre IX, fable II.

 

et cent autres traits ont, avec d’autres mérites, celui de l’élégance.

 

          On dit rarement d’une comédie qu’elle est écrite élégamment : cependant la plupart des vers de l’Amphitryon de Molière, excepté deux de pure plaisanterie, sont élégants. Le mélange des dieux et des hommes dans cette pièce unique en son genre, et les vers irréguliers qui forment un grand nombre de madrigaux, en sont peut-être la cause.

 

          Un madrigal doit bien plutôt être élégant qu’une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, et que l’épigramme tient du comique ; l’un est fait pour exprimer un sentiment délicat, et l’autre un ridicule.

 

          Dans le sublime, il ne faut pas que l’élégance se remarque ; elle l’affaiblirait. Si on avait loué l’élégance du Jupiter Olympien de Phidias, c’eût été en faire une satire : l’élégance de la Vénus de Praxitèle pouvait être remarquée.

 

 

 

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