SATIRE - Le pauvre diable - Partie 2
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LE PAUVRE DIABLE,
(Partie 2)
Quel fut le prix de ma plate manie ?
Je fus connu, mais par mon infamie,
Comme un gredin que la main de Thémis
A diapré de nobles fleurs de lis
Par un fer chaud gravé sur l’omoplate.
Triste et honteux,je quittai mon pirate,
Qui me vola, pour fruit de mon labeur,
Mon honoraire, en me parlant d’honneur.
M’étant ainsi sauvé de sa boutique,
Et n’étant plus compagnon satirique,
Manquant de tout, dans mon chagrin poignant,
J’allai trouver Le Franc de Pompignan (1),
Ainsi que moi natif de Montauban,
Lequel jadis a brodé quelque phrase
Sur la Didon qui fut de Métastase ;
Je lui contai tous les tours du croquant :
« Mon cher pays, secourez-moi, lui dis-je,
Fréron me vole, et pauvreté m’afflige. »
« De ce bourbier vos pas seront tirés,
Dit Pompignan ; votre dur cas me touche :
Tenez, prenez mes cantiques sacrés ;
Sacrés ils sont, car personne n’y touche (2) ;
Avec le temps un jour vous les vendrez :
Plus, acceptez mon chef-d’œuvre tragique
De Zoraïd (3) ; la scène est en Afrique :
A la Clairon vous le présenterez ;
C’est un trésor : allez, et prospérez. »
Tout ranimé par son ton didactique,
Je cours en hâte au parlement comique,
Bureau de vers, où maint auteur pelé
Vend mainte scène à maint acteur sifflé.
J’entre, je lis d’une voix fausse et grêle
Le triste drame écrit pour la Denèle (4).
Dieu paternel, quels dédains, quel accueil !
De quelle œillade altière, impérieuse,
La Dumesnil rabattit mon orgueil !
La Dangeville est plaisante et moqueuse :
Elle riait ; Grandval me regardait
D’un air de prince, et Sarrazin dormait ;
Et, renvoyé penaud par la cohue,
J’allai gronder et pleurer dans la rue.
De vers, de prose, et de honte étouffé,
Je rencontrai Gresset dans un café ;
Gresset doué du double privilège (5)
D’être au collège un bel esprit mondain,
Et dans le monde un homme de collège :
Gresset dévot, longtemps petit badin,
Sanctifié par ses palinodies,
Il prétendait avec componction
Qu’il avait fait jadis des comédies,
Dont à la Vierge il demandait pardon.
– Gresset se trompe, il n’est pas si coupable ;
Un vers heureux et d’un tour agréable
Ne suffit pas, il faut une action ;
De l’intérêt, du comique, une fable,
Des mœurs du temps un portrait véritable,
Pour consommer cette œuvre du démon.
Mais que fit-il dans ton affliction ?
– Il me donna les conseils les plus sages :
« Quittez,dit-il, les profanes ouvrages ;
Faites des vers moraux contre l’amour ;
Soyez dévot, montrez-vous à la cour. »
Je crois mon homme, et je vais à Versailles :
Maudit voyage ! hélas ! chacun se raille
En ce pays d’un pauvre auteur moral ;
Dans l’antichambre il est reçu bien mal,
Et les laquais insultent sa figure
Par un mépris pire encor que l’injure.
Plus que jamais confus, humilié,
Devers Paris je m’en revins à pied.
L’abbé Trublet alors avait la rage (6)
D’être à Paris un petit personnage ;
Au peu d’esprit que le bonhomme avait
L’esprit d’autrui par supplément servait.
Il entassait adage sur adage ;
Il compilait, compilait, compilait ;
On ne voyait sans cesse écrire, écrire
Ce qu’il avait jadis entendu dire,
Et nous lassait sans jamais se lasser :
Il me choisit pour l’aider à penser.
Ttrois mois entiers ensemble nous pensâmes,
Lûmes beaucoup, et rien n’imaginâmes.
L’abbé Trublet m’avait pétrifié ;
Mais un bâtard du sieur de La Chaussée
Vint ranimer ma cervelle épuisée,
Et tous les deux nous fîmes par moitié
Un drame court et non versifié,
Dans le grand goût du larmoyant comique,
Roman moral, roman métaphysique.
– Eh bien ! mon fils, je ne te blâme pas.
Il est bien vrai que je fais peu de cas
De ce faux genre, et j’aime assez qu’on rie ;
Souvent je bâille au tragique bourgeois,
Aux vains efforts d’un auteur amphibie
Qui défigure et qui brave à la fois,
Dans son jargon, Melpomène et Thalie.
Mais après tout, dans une comédie,
On peut parfois se rendre intéressant
En empruntant l’art de la tragédie,
Quand par malheur on n’est point né plaisant.
Fus-tu joué ? ton drame hétéroclite
Eut-il l’honneur d’un peu de réussite,
– Je cabalai ; je fis tant qu’à la fin
Je comparus au tripot d’Arlequin (7).
J’y fus hué : ce dernier coup de grâce
M’allait sans vie étendre sur la place ;
On me porta dans un logis voisin,
Près d’expirer de douleur et de faim,
Les yeux tournés, et plus froid que ma pièce.
– Le pauvre enfant ! son malheur m’intéresse ;
Il est naïf. Allons, poursuis le fil
De tes récits : ce logis quel est-il ?
– Cette maison d’une nouvelle espèce,
Où je restai longtemps inanimé,
Etait un antre, un repaire enfumé,
Où s’assemblait six fois en deux semaines
Un reste impur de ces énergumènes (8),
De Saint-Médard effrontés charlatans,
Trompeurs, trompés, monstres de notre temps.
Missel en main, la cohorte infernale
Psalmodiait en ce lieu de scandale,
Et s’exerçait à des contorsions,
Qui feraient peur aux plus hardis démons.
Leurs hurlements en sursaut m’éveillèrent ;
Dans mon cerveau mes esprits remontèrent ;
Je soulevai mon corps sur mon grabat,
Et m’avisai que j’étais au sabbat.
Un gros rabbin de cette synagogue,
Que j’avais vu ci-devant pédagogue,
Me reconnut : le bouc s’imagina.
Qu’avec ses saints je m’étais coulé là.
Je lui contai ma honte et ma détresse.
Maître Abraham (9), après cinq ou six mots
De compliment, me tint ce beau propos :
« J’ai comme toi croupi dans la bassesse,
Et c’est le lot des trois quarts des humains :
Mais notre sort est toujours dans nos mains.
Je me suis fait auteur, disant la messe,
Persécuteur, délateur, espion ;
Chez les dévots je forme des cabales :
Je cours, j’écris, j’invente des scandales,
Pour les combattre et pour me faire un nom,
Pieusement semant la zizanie,
Et l’arrosant d’un peu de calomnie.
Imite-moi, mon art est assez bon ;
Suis, comme moi, les méchants à la piste :
Crie à l’impie, à l’athée, au déiste,
Au géomètre ; et surtout prouve bien
Qu’un bel esprit ne peut être chrétien ;
Du rigorisme embouche la trompette :
Sois hypocrite, et ta fortune est faite. »
A ce discours, saisi d’émotion,
Le cœur encore aigri de ma disgrâce,
Je répondis en lui couvrant la face
De mes cinq doigts, et la troupe en besace,
Qui fut témoin de ma vive action,
Crut que c’était une convulsion.
A la faveur de cette opinion,
Je m’esquivai de l’antre de Mégère.
– C’est fort bien fait : si ta tête est légère,
Je m’aperçois que ton cœur est fort bon.
Où courus-tu présenter ta misère ?
– Las ! où courir dans mon destin maudit !
N’ayant ni pain, ni gîte, ni crédit,
Je résolus de finir ma carrière
Ainsi qu’on fait au fond de la rivière
Des gens de bien, lesquels n’en ont rien dit.
O changement ! ô fortune bizarre !
J’apprends soudain qu’un oncle trépassé,
Vieux janséniste et docteur de Navarre,
Des vieux docteurs certes le plus avare,
Ab intestat, malgré lui, m’a laissé
D’argent comptant un immense héritage.
Bientôt changeant de mœurs et de langage,
Je me décrasse ; et m’étant dérobé
A cette fange où j’étais embourbé,
Je prends mon vol, je m’élève, je plane ;
Je veux tâter des plus brillants emplois,
Etre officier, signaler mes exploits,
Puis de Thémis endosser la soutane,
Et moyennant vingt mille écus tournois,
Etre appelé le tuteur de nos rois (10).
J’ai des amis, je leur fais grande chère ;
J’ai de l’esprit alors, et tous mes vers
Ont comme moi l’heureux talent de plaire :
Je suis aimé des dames que je sers.
Pour compléter tant d’agréments divers,
On me propose un très bon mariage ;
Mais les conseils de mes nouveaux amis,
Un grain d’amour ou de libertinage,
La vanité, le bon air, tout m’engage
Dans les filets de certaine Laïs
Que Belzébuth fit naître en mon pays,
Et qui depuis a brillé dans Paris.
Elle dansait à ce tripot lubrique (11)
Que de l’Eglise un ministre impudique
(Dont Marion fut servie assez mal) (12)
Fit élever près du Palais-Royal.
Avec éclat j’entretins donc ma belle ;
Croyant l’aimer, croyant être aimé d’elle,
Je prodiguais les vers et les bijoux ;
Billets de change étaient mes billets doux :
Je conduisais ma Laïs triomphante,
Les soirs d’été, dans la lice éclatante
De ce rempart, asile des amours,
Par Outrequin rafraîchi tous les jours (13).
Quel beau vernis brillait sur sa voiture !
Un petit peigne orné de diamants
De son chignon surmontait la parure ;
L’Inde a grands frais tissut ses vêtements ;
L’argent brillait dans la cuvette ovale
Où sa peau blanche et ferme, autant qu’égale,
S’embellissait dans des eaux de jasmin.
A son souper, un surtout de Germain
Et trente plats chargeaient sa table ronde
Des doux tributs des forêts et de l’onde.
Je voulus vivre en fermier-général :
Que voulez-vous, hélas ! que je vous dise,
Je payai cher ma brillante sottise :
En quatre mois je fus à l’hôpital.
Voilà mon sort, il faut que je l’avoue.
Conseillez-moi. – Mon ami, je te loue
D’avoir enfin déduit sans vanité
Ton cas honteux, et dit la vérité ;
Prête l’oreille à mes avis fidèles.
Jadis l’Egypte eut moins de sauterelles
Que l’on ne voit aujourd’hui dans Paris
De malotrus, soi-disant beaux esprits,
Qui, dissertant sur les pièces nouvelles,
En font encor de plus sifflables qu’elles :
Tous l’un de l’autre ennemis obstinés,
Mordus, mordants, chansonneurs, chansonnés,
Nourris de vent au temple de mémoire,
Peuple crotté qui dispense la gloire.
J’estime plus ces honnêtes enfants
Qui de Savoie arrivent tous les ans ;
Et dont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie ;
J’estime plus celle qui, dans un coin,
Tricote en paix le bas dont j’ai besoin ;
Le cordonnier qui vient de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure,
Que le métier de tes obscurs Frérons.
Maître Abraham, et ses vils compagnons,
Sont une espèce encor plus odieuse.
Quant aux catins, j’en fais assez de cas ;
Leur art est doux, et leur vie est joyeuse :
Si quelquefois leurs dangereux appas
A l’hôpital mènent un pauvre diable,
Un grand benêt, qui fait l’homme agréable,
Je leur pardonne, il l’a bien mérité.
Ecoute, il faut avoir un poste honnête.
Les beaux projets dont tu fus tourmenté
Ne trouvent plus ta ridicule tête ;
Tu ne veux plus devenir conseiller ;
Tu n’as point l’air de te faire officier,
Ni courtisan, ni financier, ni prêtre.
Dans mon logis il me manque un portier :
Prends ton parti, réponds-moi, veux-tu l’être ?
– Oui-dà, monsieur. – Quatre fois dix écus
Seront par an ton salaire ; et de plus,
D’assez bon vin chaque jour une pinte
Rajustera ton cerveau qui te tinte ;
Va dans ta loge ; et surtout garde-toi
Qu’aucun Fréron n’entre jamais chez moi.
– J’obéirai sans réplique à mon maître,
En bon portier ; mais en secret peut-être,
J’aurai choisi, dans mon sort malheureux,
D’être plutôt le portier des Chartreux (14).
1 – L’homme dont il s’agit ici était d’ailleurs un magistrat et un homme de lettres et de mérite. Il eut le malheur de prononcer à l’Académie un discours peu mesuré et même très offensant. Il est vrai que sa tragédie de Didon est faite sur le modèle de celle de Metastasio ; mais aussi il y a de beaux morceaux qui sont à l’auteur français. Il faut avouer qu’en général la pièce est mal écrite. Il n’y a qu’à voir le commencement :
Tous mes ambassadeurs irrités et confus,
Trop souvent de la reine ont subi les refus.
Voisin de ses Etats, faibles dans leur naissance,
Je croyais que Didon, redoutant ma vengeance,
Se résoudrait sans peine à l’hymen glorieux
D’un monarque puissant, fils du maître des dieux.
Je contiens cependant la fureur qui m’anime ;
Et, déguisant encor mon dépit légitime,
Pour la dernière fois, en proie à ses hauteurs,
Je viens sous le faux nom de mes ambassadeurs,
Au milieu de la cour d’une reine étrangère,
D’un refus obstiné pénétrer le mystère ;
Que sais-je ? … n’écouter qu’un transport amoureux.
Des ambassadeurs ne subissent point des refus ; on essuie, on reçoit des refus.
Si tous ses ambassadeurs irrités et confus ont subi des refus, comment ce Jarbe pouvait-il croire que Didon se soumettrait sans peine à cet hymen glorieux ? Jarbe d’ailleurs a-t-il envoyé tous ses ambassadeurs ensemble ou l’un après l’autre ?
Il contient cependant la fureur qui l’anime, et il déguise encore son dépit légitime. S’il déguise ce dépit légitime, et s’il est si furieux, il ne croit donc pas que Didon l’épousera sans peine. Epouser quelqu’un sans peine, et déguiser son dépit légitime, ne sont pas des expressions bien nobles, bien tragiques, bien élégantes.
Il vient, sous le faux nom de ses ambassadeurs, être en proie à des hauteurs ! Comment vient-on sous le faux nom de ses ambassadeurs ? On peut venir sous le nom d’un autre ; mais on ne vient point sous le nom de plusieurs personnes. De plus, si on vient sous le nom de quelqu’un, on vient à la vérité sous un faux nom, puisqu’on prend un nom qui n’est pas le sien, mais on ne prend pas le faux nom d’un ambassadeur, quand on prend le véritable nom de cet ambassadeur même.
Il veut pénétrer le mystère d’un refus obstiné. Qu’est-ce que le mystère d’un refus si net et déclaré avec tant de hauteur ? Il peut y avoir du mystère dans des délais, dans des réponses équivoques, dans des promesses mal tenues ; mais quand on a déclaré avec des hauteurs à tous vos ambassadeurs qu’on ne veut point de vous, il n’y a certainement là aucun mystère.
Que sais-je ? …. N’écouter qu’un transport amoureux. Que sait-il ? il n’écoutera qu’un transport, il sera terrible dans le tête à tête.
Le grand malheur de tant d’auteurs est de n’employer presque jamais le mot propre ; ils sont contents pourvu qu’ils riment ; mais les connaisseurs ne sont pas contents. (1771.) – Voyez encore aux FACÉTIES la Lettre sur Didon.
2 – Vers célèbre ; mais il est à remarquer qu’il pèche par la rime. (G.A.)
3 – Zoraïde était une tragédie africaine du même auteur. Les comédiens le prièrent de leur faire une seconde lecture pour y corriger quelque chose ; il leur écrivit cette lettre :
« Je suis fort surpris, messieurs, que vous exigiez une seconde lecture d’une tragédie telle que Zoraïde. Si vous ne vous connaissez pas en mérite, je me connais en procédés, et je me souviendrai assez longtemps des vôtres pour ne plus m’occuper d’un théâtre où l’on distingue si peu les personnes et les talents. Je suis, messieurs, autant que vous méritez que je le sois, votre, etc. » (1771.) – Voyez dans la CORRESPONDANCE, une lettre aux comédiens, novembre 1735. (G.A.)
4 – Quinault-Denèle était dans ce temps-là une assez bonne comédienne, pour qui principalement Zoraïde avait été faite. Les noms qui suivent sont les noms des comédiens de ce temps-là. (1771.)
5 – Gresset, auteur du petit poème de Ver-Vert, d’autres ouvrages dans ce goût, et de quelques comédies. Il y a des vers très heureux dans tout ce qu’il a fait. Il était jésuite quand il fit imprimer son Ver-Vert. Le contraste de son état et des termes de b….. et f….. qu’on voyait dans ce petit poème, fit un très grand éclat dans le monde, et donna à l’auteur une grande réputation. Ce poème n’était fondé à la vérité que sur des plaisanteries de couvent, mais il promettait beaucoup ; l’auteur fut obligé de sortir des jésuites. Il donna la comédie du Méchant, pièce un peu froide, mais dans laquelle il y a des scènes extrêmement bien écrites. Revenu depuis à la dévotion, il fit imprimer une Lettre dans laquelle il avertissait le public qu’il ne donnerait plus de comédies, de peur de se damner. Il pouvait cesser de travailler pour le théâtre sans le dire. Si tous ceux qui ne font point de comédies en avertissaient tout le monde, il y aurait trop d’avertissements imprimés. Cet avis au public fut plus sifflé que ne l’aurait été une pièce nouvelle, tant le public est malin. (1771.)
6 – L’abbé Trublet, auteur de quatre tomes d’Essais de littérature. Ce sont de ces livres inutiles, où l’on ramasse de prétendus bons mots qu’on a entendu dire autrefois, des sentences rebattues, des pensées d’autrui délayées dans de longues phrases, de ces livres enfin dont on pourrait faire douze tomes avec le seul secours du Polyanthe. (1771.) – Le Polyanthe est un recueil de pensées, maximes, etc., d’auteurs célèbres. (G.A.)
7 – Voltaire désigne ainsi le comité de la Comédie italienne. (G.A.)
8 – Il y avait en effet alors, auprès de l’hôtel de la Comédie italienne, une maison où s’assemblaient tous les convulsionnaires, et où ils faisaient des miracles. Ils étaient protégés par un président au parlement, nommé Du Bois, après l’avoir été par un Carré de Mongeron, conseiller au même parlement. Cette secte de convulsionnaires, celle des moraves, des ménonistes, des piétistes, font voir comment certaines religions peuvent aisément s’établir dans la populace, et gagner ensuite les classes supérieures. Il y avait alors plus de six mille convulsionnaires à Paris. Plusieurs d’entre eux faisaient des choses très extraordinaires. On rôtissait des filles sans que leur peau fût endommagée ; on leur donnait des coups de bûche sur l’estomac sans les blesser ; et cela s’appelait donner des secours. Il y eut des boiteux qui marchèrent droit, et des sourds qui entendirent. Tous ces miracles commençaient par un psaume qu’on récitait en langue vulgaire : on était saisi du Saint-Esprit, on prophétisait ; et quiconque dans l’assemblée se serait permis de rire aurait couru risque d’être lapidé. Ces farces ont duré vingt ans chez les Welches. (1771.)
9 – C’est Abraham Chaumeix, vinaigrier et théologien, dont on a parlé ailleurs. (1771.) – Voyez le Russe à Paris. (G.A.)
10 – C’était la prétention des parlementaires. (G.A.)
11 – L’Opéra, situé alors sur un emplacement voisin de la cour des Fontaines actuelle. (G.A.)
12 – Marion de Lorme, courtisane du temps du cardinal de Richelieu, et qui fit une assez grande fortune avec ce ministre, qui était fort généreux. (1771.)
13 – La mode était alors de se promener en carrosse ou à pied sur les boulevards de Paris, que M. Outrequin avait soin de faire arroser tous les jours pendant l’été. Les jeunes gens se piquaient d’y faire paraître leurs maîtresses dans les voitures les plus brillantes. On y voyait des filles de l’opéra couvertes de diamants : elles renouaient leurs cheveux avec des peignes où il y avait autant de diamants que de dents. Les boulevards étaient bordés de cafés, de boutiques de marionnettes, de joueurs de gobelets, de danseurs de corde, et de tout ce qui peut amuser la jeunesse. (1771.)
14 – Le Portier des Chartreux est un livre qui n’est pas de la morale la plus austère. On y trouve un portrait de l’abbé Desfontaines, plus hardi que tous ceux qu’on lit dans Pétrone. Cet ouvrage est de l’auteur de la petite comédie intitulée le B….. L’auteur était d’ailleurs aussi savant dans l’antiquité que dans l’histoire des mœurs modernes ; et il a composé des discours sérieux pour des personnages très graves, qui ne savaient pas les faire eux-mêmes (1771 et 1775.) – Voltaire veut désigner ici le comte de Caylus ; mais c’est l’avocat Latouche qui est l’auteur du Portier des Chartreux. (G.A.)