FACÉTIE - Supplément du discours aux Welches

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FACÉTIE - Supplément du discours aux Welches

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SUPPLÉMENT DU DISCOURS AUX WELCHES.

 

 

 

 

[Ce Supplément parut au mois de mai 1764, avec une lettre du libraire de l’Année littéraire (Panckoucke) à M. de V., et la réponse de M. de V. à cette lettre. On trouvera ces deux dernières pièces dans la CORRESPONDANCE.] (G.A.)

 

 

_________

 

 

 

AVERTISSEMENT.

 

 

(1)

 

 

          Tout le monde sait que Guillaume et Antoine Vadé étaient frères (2), et cependant d’esprit et de caractère très différents. Guillaume (3) était gai, plaisant, et léger, ainsi que le témoignent des opéras-comiques, et qu’on le verra dans le Vadiana, qu’un de nos plus illustre académiciens rédige actuellement, dans le goût du Fontenelliana, et qui ne sera pas moins intéressant (4).

 

          Antoine, au contraire, était grave, profond et sérieux, comme le prouve son Discours aux Welches ; il n’aimait à s’occuper que de choses utiles. La gloire de la nation et le bien public l’intéressaient par-dessus tout ; il s’affligeait des abus qui empêchent l’un et l’autre, et plus encore de ce que ceux qui voulaient les réformer ne commençaient pas par se réformer eux-mêmes. Il disait que quiconque veut corriger les autres doit se souvenir de l’oracle d’Apollon, et qu’il ne sied pas, lorsqu’on laisse brûler sa maison, de dire des injures à son voisin parce que le feu prend à la sienne.

 

          On ajoute même qu’il travaillait, depuis plusieurs années, à un grand ouvrage sur les dangers de la libre sortie des grains à l’étranger, dans lequel il prouvait invinciblement qu’il en doit être des blés du pays de Frankreich, comme il en était autrefois des figues d’Athènes, et qu’il vaut infiniment mieux, pour les Welches, mourir de faim sur les blés entassés par monceaux, que de souffrir qu’ils soient achetés, payés, et mangés par les étrangers (5).

 

          On ne peut assez regretter la perte de cet ouvrage, qui était fort avancé lorsque Antoine Vadé est mort. Il serait d’un grand secours aujourd’hui pour désabuser certains esprits de travers, entichés des avantages de cette liberté, et qui croient qu’il ne peut y avoir aucun inconvénient à permettre qu’une nation s’enrichisse par le commerce des productions de son sol ; mais malheureusement mademoiselle Catherine Vadé, qui en a trouvé le manuscrit, ne sachant pas ce que c’était, en a fait des patrons de manchettes, et ne nous a donné que le Discours aux Welches.

 

          C’est à l’occasion d’un de ces Discours qu’un de mes amis, qui l’a toujours été comme il le dit lui-même, de la famille Vadé m’a envoyé le récit suivant d’une conversation à laquelle il s’est trouvé, et qui peut servir de supplément au Discours.

 

          Les Welches qui ne sont pas Welches ne seront point fâchés de voir ce supplément, et peut-être inspirera-t-il à ceux qui le sont encore le désir de cesser de l’être.

 

          Au reste, mademoiselle Catherine Vadé assure que son cousin Antoine pensait que les Welches étaient les ennemis de la raison et les calomniateurs ; que les philosophes, la bonne compagnie, les véritables gens de lettres, les artistes, les gens aimables enfin, étaient les Français, et que c’était à eux à se moquer des autres, quoiqu’ils ne fussent pas les plus nombreux. Cette déclaration doit justifier pleinement la mémoire de notre illustre auteur, des reproches qu’on lui faisait de nous avoir dit nos vérités avec trop peu de ménagement.

 

          J’ai toujours été fort attaché à la famille des Vadé, et surtout à mademoiselle Catherine Vadé, chez qui je me trouvais avec quelques amis, le jour que feu Antoine Vadé nous lut son Discours aux Welches. « Vous avez bien de l’humeur, mon cousin, lui dit Catherine. Il est vrai que je suis en colère, répondit Antoine ; je trouverai toujours un cul-de-sac horriblement welche, et je ne m’apaiserai que quand on aura substitué quelque mot français honnête à cette expression grossière. Et comment voulez-vous qu’une nation puisse subsister avec honneur, quand on imprime je croyois, j’octroyois, et qu’on prononce, je croyais, j’octroyais ? Comment un étranger pourra-t-il deviner que le premier o se prononce comme un o, et le second comme un a ? Pourquoi ne pas écrire comme on parle ? Cette contradiction ne se trouve ni dans l’espagnol, ni dans l’italien, ni dans l’allemand, c’est ce qui m’a le plus choqué ; car il m’importe peu que ce soit un Allemand ou un Chinois qui ait inventé la poudre, et que je doive des remerciements à Goia de Melfi ou à Roger Bacon pour les lunettes que je porte sur le nez ; mais un cul-de-sac et tous ces termes populaires qui défigurent une langue me donnent un mortel chagrin. »

 

          Catherine Vadé, voyant qu’il s’échauffait, lui promit que le gouvernement mettrait ordre à ces abus, et qu’il ne se passerait pas trois cents ans avant qu’ils fussent réformés. Cela consola le bon Antoine. Il était comme l’abbé de Saint-Pierre, qui se croyait payé de toutes ses peines, quand on lui laissait entrevoir qu’un de ses projets pouvait être exécuté dans sept ou huit siècles. Jérôme Carré (6), le voyant apaisé, lui dit : « Mon cher Antoine, ne vous plaignez plus que les belles inventions ne viennent pas de vos compatriotes : nous avons un excellent citoyen (7) qui a promis de dessaler l’eau de la mer ; et quand il n’y parviendrait pas, il serait toujours beau de le tenter. Un autre a inventé un carrosse suspendu par l’impériale, ce qui sera aussi commode qu’agréable. Un grand naturaliste est venu à bout, au commencement du siècle, de faire une paire de gants avec une toile d’araignée (8). Ce n’est qu’avec le temps que les arts se perfectionnent. » Le visage d’Antoine, à ce discours, parut resplendir d’une joie douce et sereine, car il aimait tendrement sa patrie ; et s’il était un peu fâché contre des auteurs trop préoccupés, qui appelaient leur nation la première nation de l’univers, c’était par la crainte que les autres nations ne fussent choquées de cette petite rodomontade.

 

          Ce fut alors que toute la compagnie traita cette grande question : « Lequel vaut le mieux de l’esprit inventif ou de l’esprit aimable ? » M. Laffichard (9), dont le nom est si connu dans la république des lettres, ami de tout temps, comme moi, de la famille Vadé, soutint que le génie de l’invention est le premier de tous, et que celui qui a trouvé le secret de faire des épingles est infiniment au-dessus de tous ceux qui ont fait parmi nous de jolies chansons, et même des opéras. Mademoiselle Vadé, au contraire, prétendit que celle qui attachait une épingle avec grâce l’emportait infiniment sur l’inventeur. Ces opinions furent débattues avec toute la sagacité et toute la profondeur qu’elles méritaient ; et je suis bien fâché de n’avoir retenu qu’une faible partie des raisons de Catherine. « Celui qui sait plaire, disait-elle, est au-dessus d’Archimède. Imaginez une ville d’inventeur ; l’un fera une machine pneumatique, l’autre cherchera les propriétés d’une courbe, celui-ci fera un chariot à roues et à voiles, celui-là inventera le vertugadin pour les dames ; ils ne converseront avec personne ; ils ne s’entendront pas même entre eux : la ville des inventeurs sera la plus triste du monde entier. Auprès de cette ville d’ateliers, placez-en une où l’on ne cherche que le plaisir : qu’arrivera-t-il à la longue ? tous les habitants de la première se réfugieront dans la seconde. »

 

          Catherine appuya cette supposition de raisonnements si fins, et de tours si délicats, que toute la compagnie fut de son avis. Ce succès l’enhardit ; et voyant qu’Antoine était de bonne humeur, elle tourna la conversation sur des choses plus sérieuses. « Vous vous désolez, dit-elle, mon pauvre Antoine, de ce qu’on appelle une partie de la Champagne où vous êtes né, pouilleuse (10). Ah ! le mot est ignoble et odieux, dit Antoine. Vous avez raison, mon cousin : mais quel est le pays qui n’ait pas des terrains rebelles et incultivables ? Vous vous plaignez des landes de Bordeaux ; mais sachez qu’on va les défricher, et qu’une compagnie s’y est déjà ruinée. Vous vous affligez que dans certaines provinces vos compatriotes portent des sabots ; ils auront des souliers avant qu’il soit peu ; ils ne paieront pas même le trop bu, et ils auront soif impunément ; c’est à quoi l’on travaille dès à présent avec une application merveilleuse. Est-il possible ? dit Antoine avec transport. Il n’y a rien de plus vrai, dit Catherine ; prenez donc courage, et que votre esprit ne soit plus abattu, parce que les Cimbres sont venus autrefois à Dijon, les Visigoths à Toulouse, et les Normands à Rouen, comme les Maures sont venus en Espagne. Tous les peuples ont éprouvé des révolutions ; mais la nation avec laquelle on aime le mieux vivre est celle qui mérite la préférence. »

 

          Je pris la liberté de parler à mon tour dans cette savante assemblée. Je voulus prouver que chaque peuple sur la terre avait été conquérant, ou conquis, ou absurde, ou industrieux, ou ignorant, selon qu’il avait suivi plus ou moins certains principes que j’expliquai fort au long ; et je m’aperçus même, en les approfondissant, que j’ennuyais beaucoup la compagnie. Heureusement je fus interrompu par Jérôme Carré : « J’avais, dit-il, il y a quelques années, une cousine fort jolie qui voulait m’épouser : on me demanda sept mille et deux cents livres que je devais envoyer par delà les monts, pour impétrer la liberté d’aimer loyalement ma cousine (11) : je manquai cette grande affaire faute de cinq cents écus. Mon frère, qui n’avait rien, ayant obtenu un petit bénéfice, s’est ruiné en empruntant d’un juif de quoi payer aussi par delà les monts la première année de son revenu. Ces abus, mon cher, sont insupportables : il ne s’agit point ici de philosophie et de théologie, il est question d’argent comptant et je n’entends pas raillerie là-dessus. »

 

          Alors on calcula combien de temps cet abus durerait, et l’on trouva par l’évaluation des probabilités, que les ridicules qui ne coûtent rien augmenteraient toujours, et que les ridicules pour lesquels il faut payer diminueraient bien vite. On établit enfin qu’il y a entre les nations, comme entre les particuliers, une compensation de grandeur et de faiblesse, de science et d’ignorance, de bons et de mauvais usages, d’industrie et de nonchalance, d’esprit et d’absurdité, qui les rend toutes à la longue à peu près égales.

 

          Le résultat de cette savante conversation fut qu’on devait donner le nom de Francs aux pillards, le nom de Welches aux pillés et aux sots, et celui de Français à tous les gens aimables.

 

 

 

1 – Cet Avertissement est de Voltaire. (G.A.)

 

2 – Voyez aux POÉSIES, la Préface de Catherine Vadé pour les Contes de Guillaume Vadé. (G.A.)

 

3 – C’est la Vadé des halles (Jean-Joseph) que Voltaire peint ici sous le nom de Guillaume. (G.A.)

 

4 – Il n’y avait alors ni Vadiana, ni Fontenelliana. (G.A.)

 

5 – La libre circulation des grains était la grosse question mise à l’ordre du jour par les économistes. (G.A.)

 

6 – Voyez Du Théâtre anglais, par Jérôme Carré, et, la Requête aux Parisiens en tête de l’Ecossaise. (G.A.)

 

7 – Poissonnier. Un anonyme attaqua Voltaire dans le Mercure parce qu’il avait eu l’air de plaisanter Poissonnier. (G.A.)

 

8 – Voyez Zadig, chap. III. (G.A.)

 

9 – Auteur de la Foire comme Vadé. (G.A.)

 

10 – Voyez le Discours aux Welches. (G.A.)

 

11 – Voyez le Discours aux Welches. (G.A.)

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