DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : M comme MESSIE - Partie 2
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M comme MESSIE.
- Partie 2 -
Le rabbin Kimchi, qui vivait aussi au douzième siècle, annonçait que le Messie, dont il croyait la venue trop prochaine, chasserait de la Judée les chrétiens qui la possédaient pour lors ; il est vrai que les chrétiens perdirent la Terre-Sainte, mais ce fut Saladin qui les vainquit ; pour peu que ce conquérant eût protégé les Juifs, et se fût déclaré pour eux, il est vraisemblable que dans leur enthousiasme ils en auraient fait leur Messie.
Les auteurs sacrés, et notre Seigneur Jésus lui-même, comparent souvent le règne du Messie et l’éternelle béatitude à des jours de noces, à des festins ; mais les talmudistes ont étrangement abusé de ces paraboles ; selon eux, le Messie donnera à son peuple rassemblé dans la terre de Canaan, un repas dont le vin sera celui qu’Adam lui-même fit dans le paradis terrestre, et qui se conserve dans de vastes celliers, creusés par les anges au centre de la terre.
On servira pour entrée le fameux poisson appelé le grand Léviathan, qui avale tout d’un coup un poisson moins grand que lui, lequel ne laisse pas d’avoir trois cents lieues de long ; toute la masse des eaux est portée sur Léviathan. Dieu au commencement en créa un mâle et un autre femelle ; mais de peur qu’ils ne renversassent la terre, et qu’ils ne remplissent l’univers de leurs semblables, Dieu tua la femelle, et la sala pour le festin du Messie.
Les rabbins ajoutent qu’on tuera pour ce repas le taureau Béhémoth, qui est si gros qu’il mange chaque jour le foin de mille montagnes : la femelle de ce taureau fut tuée au commencement du monde, afin qu’une espèce si prodigieuse ne se multipliât pas, ce qui n’aurait pu que nuire aux autres créatures ; mais ils assurent que l’Eternel ne la sala pas, parce que la vache salée n’est pas si bonne que la léviathane. Les Juifs ajoutent encore si bien foi à toutes ces rêveries rabbiniques, que souvent ils jurent sur leur part du bœuf Béhémoth, comme quelques chrétiens impies jurent sur leur part du paradis.
Après des idées si grossières sur la venue du Messie et sur son règne, faut-il s’étonner si les Juifs tant anciens que modernes, et plusieurs même des premiers chrétiens, malheureusement imbus de toutes ces rêveries n’ont pu s’élever à l’idée de la nature divine de l’oint du Seigneur, et n’ont pas attribué la qualité de dieu au Messie ? Voyez comme les Juifs s’expriment là-dessus dans l’ouvrage intitulé Judœi Lusitani Quœtiones ad Christianos. « Reconnaître, disent-ils, un homme-dieu, c’est s’abuser soi-même, c’est se forger un monstre, un centaure, le bizarre composé de deux natures qui ne sauraient s’allier. » Ils ajoutent que les prophètes n’enseignent point que le Messie soit homme-dieu, qu’ils distinguent expressément entre Dieu et David, qu’ils déclarent le premier maître, et le second serviteur, etc…
Lorsque le Sauveur parut, les prophéties, quoique claires, furent malheureusement obscurcies par les préjugés sucés avec le lait. Jésus-Christ lui-même, ou par ménagement ou pour ne pas révolter les esprits, paraît extrêmement réservé sur l’article de sa divinité : « Il voulait, dit saint Chrysostoôme, accoutumer insensiblement ses auditeurs à croire un mystère si fort élevé au-dessus de la raison. » S’il prend l’autorité d’un Dieu en pardonnant les péchés, cette action soulève tous ceux qui en sont les témoins ; ses miracles les plus évidents ne peuvent convaincre de sa divinité ceux mêmes en faveur desquels il les opère. Lorsque devant le tribunal du souverain sacrificateur il avoue, avec un modeste détour, qui est le fils de Dieu, le grand-prêtre déchire sa robe et crie au blasphème. Avant l’envoi du Saint-Esprit, les apôtres ne soupçonnent pas même la divinité de leur cher maître ; il les interroge sur ce que le peuple pense de lui ; ils répondent que les uns le prennent pour Elie, les autres pour Jérémie, ou pour quelque autre prophète. Saint Pierre a besoin d’une révélation particulière pour connaître que Jésus-Christ est le Christ, le fils du Dieu vivant.
Les Juifs révoltés contre la divinité de Jésus-Christ, ont eu recours à toutes sortes de voies pour détruire ce grand mystère ; ils détournent le sens de leurs propres oracles, ou ne les appliquent pas au Messie ; ils prétendent que le nom de Dieu, Eloi, n’est pas particulier à la Divinité, et qu’il se donne même par les auteurs sacrés aux juges, aux magistrats, en général à ceux qui sont élevés en autorité ; ils citent en effet un très grand nombre de passages des saintes Ecritures, qui justifient cette observation, mais qui ne donnent aucune atteinte aux termes exprès des anciens oracles qui regardent le Messie.
Enfin ils prétendent que si le Sauveur, et après lui les évangélistes, les apôtres et les premiers chrétiens, appellent Jésus le fils de Dieu, ce terme auguste ne signifiait, dans les temps évangéliques, autre chose que l’opposé de fils de Bélial ; c’est-à-dire homme de bien, serviteur de Dieu, par opposition à un méchant, un homme qui ne craint point Dieu (1).
Si les Juifs ont contesté à Jésus-Christ la qualité de Messie et sa divinité, ils n’ont rien négligé aussi pour le rendre méprisable, pour jeter sur sa naissance, sa vie et sa mort, tout le ridicule et tout l’opprobre qu’a pu imaginer leur criminel acharnement.
De tous les ouvrages qu’a produits l’aveuglement des Juifs, il n’en est point de plus odieux et de plus extravagant que le livre ancien intitulé Sepher Toldos Jeschut, tiré de la poussière par M. Vagenseil dans le second tome de son ouvrage intitulé Tela ignea Satanœ,etc.
C’est dans ce Sepher Toldos Jeschut qu’on lit une histoire monstrueuse de la vie de notre Sauveur, forgée avec toute la passion et la mauvaise foi possibles. Ainsi, par exemple, ils ont osé écrire qu’un nommé Panther ou Pandera, habitant de Bethléem, était devenu amoureux d’une jeune femme mariée à Jokanan. Il eut ce commerce impur un fils qui fut nommé Jesua ou Jesu. Le père de cet enfant fut obligé de s’enfuir, et se retira à Babylone. Quant au jeune Jesu, on l’envoya aux écoles ; mais, ajoute l’auteur, il eut l’insolence de lever la tête et de se découvrir devant les sacrificateurs, au lieu de paraître devant eux la tête baissée et le visage couvert, comme c’était la coutume ; hardiesse qui fut vivement tancée ; ce qui donna lieu d’examiner sa naissance, qui fut trouvée impure, et l’exposa bientôt à l’ignominie.
Ce détestable livre Sepher Toldos Jeschut était connu dès le second siècle ; Celse le cite avec confiance, et Origène le réfute au chapitre neuvième.
Il y a un autre livre intitulé aussi Toldos Jeschut, publié l’an 1705 par M. Huldric, qui suit de plus près l’Evangile de l’enfance, mais qui commet à tout moment les anachronismes les plus grossiers ; il fait naître et mourir Jésus-Christ sous le règne d’Hérode-le-Grand ; il veut que ce soit à ce prince qu’aient été faites les plaintes sur l’adultère de Panther et de Marie mère de Jésus.
L’auteur, qui prend le nom de Jonathan, qui se dit contemporain de Jésus-Christ et demeurant à Jérusalem, avance qu’Hérode consulta sur le fait de Jésus-Christ les sénateurs d’une ville dans la terre de Césarée : nous ne suivrons pas un auteur aussi absurde dans toutes ses contradictions.
Cependant c’est à la faveur de toutes ces calomnies que les Juifs s’entretiennent dans leur haine implacable contre les chrétiens et contre l’Evangile ; ils n’ont rien négligé pour altérer la chronologie du vieux Testament, et pour répandre des doutes et des difficultés sur le temps de la venue de notre Sauveur.
Ahmed-ben-Cassum-la-Andacousi, maure de Grenade, qui vivait sur la fin du seizième siècle, cite un ancien manuscrit arabe qui fut trouvé avec seize lames de plomb, gravées en caractères arabes, dans une grotte près de Grenade. Don Pedro y Quinones, archevêque de Grenade, en a rendu lui-même témoignage. Ces lames de plomb, qu’on appelle de Grenade, ont été depuis portées à Rome, où, après un examen de plusieurs années, elles ont enfin été condamnées comme apocryphes sous le pontificat d’Alexandre VII ; elles ne renferment que des histoires fabuleuses touchant la vie de Marie et de son fils.
Le nom de Messie, accompagné de l’épithète de faux, se donne encore à ces imposteurs qui dans divers temps ont cherché à abuser la nation juive. Il y eut de ces faux messies avant même la venue du véritable oint de Dieu. Le sage Gamaliel parle d’un nommé Théodas, dont l’histoire se lit dans les Antiquités judaïques de Josèphe, liv. XX, ch. II. Il se vantait de passer le Jourdain à pied sec ; il attira beaucoup de gens à sa suite : mais les Romains étant tombés sur sa petite troupe la dissipèrent, coupèrent la tête au malheureux chef, et l’exposèrent dans Jérusalem.
Gamaliel parle aussi de Judas le Galiléen, qui est sans doute le même dont Josèphe fait mention dans le douzième chapitre du second livre de la guerre des Juifs. Il dit que ce faux prophète avait ramassé près de trente mille hommes ; mais l’hyperbole est le caractère de l’historien juif.
Dès les temps apostoliques, l’on vit Simon surnommé le Magicien qui avait su séduire les habitants de Samarie, au point qu’ils le considéraient comme la vertu de Dieu.
Dans le siècle suivant, l’an 178 et 179 de l’ère chrétienne sous l’empire d’Adrien, parut le faux messie Barchochébas, à la tête d’une armée. L’empereur envoya contre lui Julius Severus, qui, après plusieurs rencontres, enferma les révoltés dans la ville de Bither ; elle soutint un siège opiniâtre, et fut emportée : Barchochébas y fut pris et mis à mort. Adrien crut ne pouvoir mieux prévenir les continuelles révoltes des Juifs qu’en leur défendant par un édit d’aller à Jérusalem ; il établit même des gardes aux portes de cette ville, pour en défendre l’entrée aux restes du peuple d’Israël.
On lit dans Socrate, historien ecclésiastique (2) ; que l’an 434 il parut dans l’île de Candie un faux messie qui s’appelait Moïse. Il se disait l’ancien libérateur des Hébreux, ressuscité pour les délivrer encore.
Un siècle après, en 530, il y eut dans la Palestine un faux Messie nommé Julien ; il s’annonçait comme un grand conquérant qui, à la tête de sa nation, détruirait par les armes tout le peuple chrétien ; séduits par ses promesses, les Juifs armés massacrèrent plusieurs chrétiens. L’empereur Justinien envoya des troupes contre lui ; on livra bataille au faux Christ ; il fut pris et condamné au dernier supplice.
Au commencement du huitième siècle, Serenus, juif espagnol, se porta pour messie, prêcha, eut des disciples et mourut comme eux dans la misère.
Il s’éleva plusieurs faux messies dans le douzième siècle. Il en parut un en France sous Louis-le-Jeune ; il fut pendu lui et ses adhérents, sans qu’on ait jamais su les noms ni du maître ni des disciples.
Le treizième siècle fut fertile en faux messies ; on en compte sept ou huit qui parurent en Arabie, en Perse, dans l’Espagne, en Moravie : l’un d’eux, qui se nommait David el Re, passe pour avoir été un très grand magicien ; il séduisit les Juifs, et se vit à la tête d’un parti considérable ; mais ce messie fut assassiné.
Jacques Zieglerne, de Moravie, qui vivait au milieu du seizième siècle, annonçait la prochaine manifestation du Messie né, à ce qu’il assurait, depuis quatorze ans ; il l’avait vu, disait-il, à Strasbourg, et il gardait avec soin une épée et un sceptre pour les lui mettre en main dès qu’il serait en âge d’enseigner.
L’an 1624, un autre Zieglerne confirma la prédiction du premier.
L’an 1666, Sabatei-Sévi, né dans Alep, se dit le Messie prédit par les Zieglernes. Il débuta par prêcher sur les grands chemins et au milieu des campagnes ; les Turcs se moquaient de lui, pendant que ses disciples l’admiraient. Il paraît qu’il ne mit pas d’abord dans ses intérêts le gros de la nation juive, puisque les chefs de la synagogue de Smyrne portèrent contre lui une sentence de mort ; mais il en fut quitte pour la peur et le bannissement.
Il contracta trois mariages, et l’on prétend qu’il n’en consomma point, disant que cela était au-dessous de lui. Il s’associa un nommé Nathan-Lévi : celui-ci fit le personnage du prophète Elie qui devait précéder le Messie. Ils se rendirent à Jérusalem, et Nathan y annonça Sabatei-Sévi comme le libérateur des nations. La populace juive se déclara pour eux ; mais ceux qui avaient quelque chose à perdre les anathématisèrent.
Sévi, pour fuir l’orage, se retira à Constantinople, et de là à Smyrne ; Nathan-Lévi lui envoya quatre ambassadeurs, qui le reconnurent et le saluèrent publiquement en qualité de messie ; cette ambassade en imposa au peuple, et même à quelques docteurs qui déclarèrent Sabatei-Sévi messie et roi des Hébreux. Mais la synagogue de Smyrne condamna son roi à être empalé.
Sabatei se mit sous la protection du cadi de Smyrne et eut bientôt pour lui tout le peuple juif ; il fit dresser deux trônes, un pour lui et l’autre pour son épouse favorite ; il prit le nom de roi des rois, et donna à Joseph Sévi son frère celui de roi de Juda. Il promit aux Juifs la conquête de l’empire ottoman assurée. Il poussa même l’insolence jusqu’à faire ôter de la liturgie juive le nom de l’empereur et à y faire substituer le sien.
On le fit mettre en prison aux Dardanelles ; les Juifs publièrent qu’on n’épargnait sa vie que parce que les Turcs savaient bien qu’il était immortel. Le gouverneur des Dardanelles s’enrichit des présents que les Juifs lui prodiguèrent pour visiter leur roi, leur messie prisonnier, qui dans les fers conservait toute sa dignité et se faisait baiser les pieds.
Cependant le sultan, qui tenait sa cour à Andrinople, voulut faire finir cette comédie ; il fit venir Sévi, et lui dit que s’il était messie il devait être invulnérable ; Sévi en convint. Le grand-seigneur le fit placer pour but aux flèches de ses icoglans ; le messie avoua qu’il n’était point invulnérable et protesta que Dieu ne l’envoyait que pour rendre témoignage à la sainte religion musulmane. Fustigé par les ministres de la loi, il se fit mahométan et il vécut et mourut également méprisé des Juifs et des musulmans ; ce qui a si fort décrédité la profession de faux messie, que Sévi est le dernier qui ait paru (3).
1 – Le nom de Maschiah étant un titre d’honneur donné aux rois, l’usage s’introduisit peu à peu de l’appliquer au futur libérateur qui devait sortir de la race et s’asseoir sur le trône de David. Puis, à côté de cette image ancienne, une autre se produisit d’un caractère plus général et beaucoup plus mystique. Le type s’en trouve surtout dans le personnage du Fils de l’homme que célèbre le livre de Daniel, et ce type a son origine dans les croyances des Perses qui, pendant la captivité, se mêlent aux croyances mosaïques. Voyez d’Eichthal, Evangiles. (G.A.)
2. – Socr., Hist. Eccl., I. II, c. XXXVIII.
3 – Voyez l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, où l’histoire de Sévi est plus détaillée. (K.)