DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : F comme FIGURE - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : F comme FIGURE - Partie 3

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F comme FIGURE.

 

 

(Partie 3)

 

 

 

 

 

FIGURES SYMBOLIQUES.

 

 

 

          Toutes les nations s’en sont servies, comme nous l’avons dit à l’article EMBLÈME ; mais qui a commencé ? Sont-ce les Egyptiens ? il n’y a pas d’apparence. Nous croyons avoir prouvé plus d’une fois que l’Egypte est un pays tout nouveau, et qu’il a fallu plusieurs siècles pour préserver la contrée des inondations et pour la rendre habitable. Il est impossible que les Egyptiens aient inventé les signes du zodiaque, puisque les figures qui désignent les temps de nos semailles et de nos moissons ne peuvent convenir aux leurs. Quand nous coupons nos blés, leur terre est couverte d’eau ; quand nous semons, ils voient approcher le temps de recueillir. Ainsi le bœuf de notre zodiaque, et la fille qui porte des épis, ne peuvent venir d’Egypte (1).

 

           C’est une preuve évidente de la fausseté de ce paradoxe nouveau que les Chinois sont une colonie égyptienne. Les caractères ne sont point les mêmes ; les Chinois marquent la route du soleil par vingt-huit constellations, et les Egyptiens, d’après les Chaldéens, en comptent douze ainsi que nous.

 

          Les figures qui désignent les planètes sont à la Chine et aux Indes toutes différentes de celles d’Egypte et de l’Europe, les signes des métaux différents, la manière de conduire la main en écrivant non moins différente. Donc rien ne paraît plus chimérique que d’avoir envoyé les Egyptiens peupler la Chine.

 

          Toutes ces fondations fabuleuses faites dans les temps fabuleux ont fait perdre un temps irréparable à une multitude prodigieuse de savants, qui se sont tous égarés dans leurs laborieuses recherches et qui auraient pu être utiles au genre humain dans des arts véritables.

 

          Pluche, dans son Histoire ou plutôt dans sa fable du ciel nous certifie que Cham, fils de Noé, alla régner en Egypte, où il n’y avait personne ; que son fils Menès fut le plus grand des législateurs, que Thaut était son premier ministre.

 

          Selon lui et selon ses garants, ce Thaut ou un autre institua des fêtes en l’honneur du déluge, et les cris de joie Io Bacché, si fameux chez les Grecs, étaient des lamentations chez les Egyptiens. Bacché  venait de l’hébreu beke, qui signifie sanglots, et cela dans un temps où le peuple hébreu n’existait pas. Par cette explication joie veut dire tristesse, et chanter signifie pleurer.

 

          Les Iroquois sont plus sensés ; ils ne s’informent point de ce qui se passa sur le lac Ontario il y a quelques milliers d’années : ils vont à la chasse au lieu de faire des systèmes.

 

          Les mêmes auteurs assurent que les sphinx dont l’Egypte était ornée signifiaient la surabondance, parce que des interprètes ont prétendu qu’un mot hébreu spang voulait dire un excès ; comme si la langue hébraïque, qui est en grande partie dérivée de la phénicienne, avait servi de leçon à l’Egypte ; et quel rapport d’un sphinx à une abondance d’eau ? Les scoliastes futurs soutiendront un jour, avec plus de vraisemblance, que nos mascarons qui ornent la clef des cintres de nos fenêtres sont des emblèmes de nos mascarades, et que ces fantaisies annonçaient qu’on donnait le bal dans toutes les maisons décorées de mascarons.

 

 

 

 

 

FIGURE, SENS FIGURÉ, ALLÉGORIQUE,

MYSTIQUE, TROPOLOGIQUE, TYPIQUE, etc.

 

 

 

          C’est souvent l’art de voir dans les livres tout autre chose que ce qui s’y trouve. Par exemple, que Romulus fasse périr son frère Rémus, cela signifiera la mort du duc de Berri frère de Louis XI ; Régulus prisonnier à Carthage, ce sera saint Louis captif à la Massoure.

 

          On remarque très justement dans le grand Dictionnaire encyclopédique que plusieurs Pères de l’Eglise ont poussé peut-être un peu trop loin ce goût des figures allégoriques ; ils sont respectables jusque dans leurs écarts.

 

          Si les saints Pères ont quelquefois abusé de cette méthode, on pardonne à ces petits excès d’imagination en faveur de leur saint zèle.

 

          Ce qui peut les justifier encore, c’est l’antiquité de cet usage, que nous avons vu pratiqué par les premiers philosophes. Il est vrai que les figures symboliques employées par les Pères sont dans un goût différent.

 

          Par exemple, lorsque saint Augustin veut trouver les quarante-deux générations de la généalogie de Jésus, annoncées par saint Matthieu qui n’en rapporte que quarante et une, Augustin dit qu’il faut compter deux fois Jéconias, parce que Jéconias est la pierre angulaire, qui appartient à deux murailles ; que ces deux murailles figurent l’ancienne loi et la nouvelle, et que Jéconias, étant ainsi pierre angulaire, figure Jésus-Christ qui est la vraie pierre angulaire.

 

          Le même saint, dans le même sermon, dit que le nombre de quarante doit dominer, et il abandonne Jéconias et la pierre angulaire comptée pour deux générations. Le nombre de quarante, dit-il signifie la vie ; car dix sont la parfaite béatitude, étant multipliés par quatre qui figurent le temps en comptant les quatre saisons.

 

          Dans le même sermon encore, il explique pourquoi saint-Luc donne soixante et dix-sept ancêtres à Jésus-Christ, cinquante-six jusqu’au patriarche Abraham, et vingt et un d’Abraham à Dieu même. Il est vrai que selon le texte hébreu il n’y en aurait que soixante et seize, car la Bible hébraïque ne compte point un Caïnan qui est interpolé dans la Bible grecque appelée des Septante.

 

          Voici ce que dit saint Augustin :

 

          « Le nombre de soixante et dix-sept figures l’abolition de tous les péchés par le baptême…. le nombre dix signifie justice et béatitude résultant de la créature qui est sept avec la Trinité qui fait trois. C’est par cette raison que les commandements de Dieu sont au nombre de dix. Le nombre onze signifie le péché, parce qu’il transgresse dix… Ce nombre de soixante et dix-sept est le produit de onze figures du péché multiplié par sept et non par dix ; car le nombre sept est le symbole de la créature. Trois représentent l’âme qui est quelque image de la Divinité, et quatre représentent le corps à cause de ses quatre qualités, etc. »

 

          On voit dans ces explications un reste des mystères de la cabale et du quaternaire de Pythagore. Ce goût fut très longtemps en vogue.

 

          Saint Augustin va plus loin sur les dimensions de la matière. La largeur, c’est la dilatation du cœur qui opère de bonnes œuvres ; la longueur, c’est la persévérance ; la hauteur, c’est l’espoir des récompenses. Il pousse très loin cette allégorie ; il l’applique à la croix, et en tire de grandes conséquences.

 

          L’usage de ces figures avait passé des Juifs aux chrétiens, longtemps avant saint Augustin. Ce n’est pas à nous de savoir dans quelles bornes on devait s’arrêter.

 

          Les exemples de ce défaut sont innombrables. Quiconque a fait de bonnes études ne hasardera de telles figures ni dans la chaire ni dans l’école. Il n’y en a point d’exemple chez les Romains et chez les Grecs, pas même dans les poètes.

 

          On trouve seulement dans les Métamorphoses d’Ovide des inductions ingénieuses tirées des fables qu’on donne pour fables.

 

          Pyrrha et Deucalion ont jeté des pierres entre leurs jambes par derrière, des hommes en sont nés. Ovide dit (Met.I, 414) :

 

Inde genus durum sumus, experiensque laborum ;

Et documenta damus qua simus origine nati.

 

Formés par des cailloux, soit fable ou vérité,

Hélas ! le cœur de l’homme en a la dureté.

 

          Apollon aime Daphné, et Daphné n’aime point Apollon ; c’est que l’amour a deux espèces de flèches, les unes d’or et perçantes, et les autres de plomb et écachées.

 

          Apollon a reçu dans le cœur une flèche d’or, Daphné une de plomb.

 

Deque sagittifera prompsit duo tela pharetra

Diversorum operum ; fugat hoc, facit illud amorem.

Quod facit auratum est, et cuspide fulget acuta ;

Quod fugat obtusum est, et habet sub arundine plumbum.

 

OVID., Met., I, 468.

 

Fatal Amour, tes traits sont différents :

Les uns sont d’or, ils sont doux et perçants,

Ils font qu’on aime ; et d’autres au contraire

Sont d’un vil plomb qui rend froid et sévère.

O dieu d’amour, en qui j’ai tant de foi,

Prends tes traits d’or pour Aminte et pour moi.

 

 

          Toutes ces figures sont ingénieuses et ne trompent personne. Quand on dit que Vénus, la déesse de la beauté, ne doit point marcher sans les grâces, on dit une vérité charmante. Ces fables qui étaient dans la bouche de tout le monde, ces allégories si naturelles avaient tant d’empire sur les esprits, que peut-être les premiers chrétiens voulurent les combattre en les imitant. Ils ramassèrent les armes de la mythologie pour la détruire ; mais ils ne purent s’en servir avec la même adresse : ils ne songèrent pas que l’austérité sainte de notre religion ne leur permettait pas d’employer ces ressources, et qu’une main chrétienne aurait mal joué sur la lyre d’Apollon.

 

          Cependant, le goût de ces figures typiques et prophétiques était si enraciné, qu’il n’y eut guère de prince, d’homme d’Etat, de pape, de fondateur d’ordre, auquel on n’appliquât des allégories, des allusions prises de l’Ecriture sainte. La flatterie et la satire puisèrent à l’envi dans la même source.

 

          On disait au pape Innocent II : « Innocens eris a maledictione, » Quand il fit une croisade sanglante contre le comte da Toulouse.

 

          Lorsque François Martorillo de Paule fonda les minimes, il se trouva qu’il était prédit dans la Genèse : « Minimus cum patre nostro ; »

 

          Le prédicateur qui prêcha devant Jean d’Autriche, après la célèbre bataille de Lépante, prit pour son texte. « Fuit homo missus a Deo cui nomen erat Johannes ; » et cette allusion était fort belle si les autres étaient ridicules. On dit qu’on la répéta pour Jean Sobieski, après la délivrance de Vienne ; mais le prédicateur n’était qu’un plagiaire.

 

          Enfin, ce fut un usage si constant, qu’aucun prédicateur de nos jours n’a jamais manqué de prendre une allégorie pour son texte. Une des plus heureuses est le texte de l’Oraison funèbre du duc de Candale, prononcée devant sa sœur, qui passait pour un modèle de vertu : « Dic quia soror mea es, ut mihi bene eveniat propter te. » « Dites que vous êtes ma sœur, afin que je sois bien traité à cause de vous. »

 

          Il ne faut pas être surpris si les cordeliers poussèrent trop loin ces figures en faveur de saint François d’Assise, dans le fameux et très peu connu livre des Conformités de saint François d’Assise avec Jésus-Christ. On y voit soixante et quatre prédictions de l’avènement de saint François, tant dans l’ancien Testament que dans le nouveau, et chaque prédiction contient trois figures qui signifient la fondation des cordeliers. Ainsi ces pères se trouvent prédits cent quatre-vingt-douze fois dans la Bible.

 

          Depuis Adam jusqu’à saint Paul tout a figuré le bienheureux François d’Assise. Les Ecritures ont été données pour annoncer à l’univers les sermons de François aux quadrupèdes, aux poissons et aux oiseaux, ses ébats avec sa femme de neige, ses passe-temps avec le diable, ses aventures avec frère Elie et frère Pacifique.

 

          On a condamné ces pieuses rêveries qui allaient jusqu’au blasphème. Mais l’ordre de Saint-François n’en a point pâti ; il a renoncé à ces extravagances, trop communes dans les siècles de barbarie.

 

 

1 – Voyez l’Essai sur les mœurs.

 

 

 

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