DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : F comme FIGURE - Partie 2
Photo de PAPAPOUSS
F comme FIGURE.
(Partie 2)
FIGURÉ, EXPRIMÉ EN FIGURE.
(1)
On dit un ballet figuré, qui représente ou qu’on croit représenter une action, une passion, une saison, ou qui simplement forme des figures par l’arrangement des danseurs deux à deux, quatre à quatre : copie figurée, parce qu’elle exprime précisément l’ordre et la disposition de l’original : vérité figurée par une fable, par une parabole : l’Eglise figurée par la jeune épouse du Cantique des cantiques : l’ancienne Rome figurée par Babylone : style figuré par les expressions métaphoriques qui figurent les choses dont on parle, et qui les défigurent quand les métaphores ne sont pas justes.
L’imagination ardente, la passion, le désir, souvent trompés, produisent le style figuré. Nous ne l’admettons point dans l’histoire, car trop de métaphores nuisent à la clarté ; elles nuisent même à la vérité, en disant plus ou moins que la chose même.
Les ouvrages didactiques réprouvent ce style. Il est bien moins à sa place dans un sermon que dans une oraison funèbre ; parce que le sermon est une instruction dans laquelle on annonce la vérité, l’oraison funèbre une déclamation dans laquelle on exagère.
La poésie d’enthousiasme, comme l’épopée, l’ode, est le genre qui reçoit le plus ce style. On le prodigue moins dans la tragédie, où la dialogue doit être aussi naturel qu’élevé ; encore moins la comédie, dont le style doit être plus simple.
C’est le goût qui fixe les bornes qu’on doit donner au style figuré dans chaque genre qui reçoit le plus ce style. On le prodigue moins dans la tragédie, où le dialogue doit être aussi naturel qu’élevé ; encore moins la comédie, dont le style doit être plus simple.
C’est le goût qui fixe les bornes qu’on doit donner au style figuré dans chaque genre. Balthazar Gratian dit que « les pensées partent des vastes côtes de la mémoire, s’embarquent sur la mer de l’imagination, arrivent au port de l’esprit, pour être enregistrées à la douane de l’entendement. » C’est précisément le style d’Arlequin. Il dit à son maître : « La balle de vos commandements a rebondi sur la raquette de mon obéissance. » Avouons que c’est là souvent le style oriental qu’on tâche d’admirer.
Un autre défaut du style figuré est l’entassement des figures incohérentes. Un poète, en parlant de quelques philosophes, les a appelés (2) :
D’ambitieux pygmées,
Qui sur leurs pieds vainement redressés.
Et sur des monts d’arguments entassés,
De jour en jour, superbes Encelades,
Vont redoublant leurs folles escalades.
Quand on écrit contre les philosophes, il faudrait mieux écrire. Comment des pygmées ambitieux, redressés sur leurs pieds, sur des montagnes d’arguments, continuent-ils des escalades ? Quelle image fausse et ridicule ! quelle platitude recherchée !
Dans une allégorie du même auteur, intitulée la Liturgie de Cythère, vous trouvez ces vers-ci :
De toutes parts, autour de l’inconnue
Il voit tomber comme grêle menue
Moisson de cœurs sur la terre jonchés,
Et des dieux même à son char attachés…
Oh ! par Vénus nous verrons cette affaire.
Si s’en retourne aux cieux dans son sérail
En ruminant comment il pourra faire
Pour attirer la brebis au bercail.
« Des moissons de cœurs jonchés sur la terre comme de la grêle menue ; et parmi ces cœurs palpitants à terre, des dieux attachés au char de l’inconnue ; l’Amour qui va de par Vénus ruminer dans son sérail au ciel comment il pourra faire pour attirer au bercail cette brebis entourée de cœurs jonchés ! » Tout cela forme une figure si fausse, si puérile à la fois et si grossière, si incohérente, si dégoûtante, si extravagante, si platement exprimée, qu’on est étonné qu’un homme qui faisait bien des vers dans un autre genre, et qui avait du goût, ait pu écrire quelque chose de si mauvais.
On est encore plus surpris que ce style appelé marotique ait eu pendant quelque temps des approbateurs. Mais on cesse d’être surpris quand on lit les épîtres en vers de cet auteur ; elles sont presque toutes hérissées de ces figures peu naturelles, et contraires les unes aux autres.
Il y a une épître à Marot qui commence ainsi :
Ami Marot, honneur de mon pupitre,
Mon premier maître, acceptez cette épître
Que vous écrit un humble nourrisson
Qui sur Parnasse a pris votre écusson,
Et qui jadis en maint genre d’escrime
Vint chez vous seul étudier la rime.
Boileau avait dit dans son épître à Molière :
Dans les combats d’esprit savant maître d’escrime.
Sat. II, 6.
Du moins la figure était juste. On s’escrime dans un combat ; mais on n’étudie point la rime en s’escrimant. On n’est point l’honneur du pupitre d’un homme qui s’escrime. On ne prend point sur le Parnasse un écusson pour rimer à nourrisson. Tout cela est incompatible, tout cela jure.
Une figure beaucoup plus vicieuse est celle-ci :
Au demeurant assez haut de stature,
Large de croupe, épais de fourniture,
Flanqué de chair, gabionné de lard,
Tel en un mot que la nature et l’art,
En maçonnant les remparts de son âme,
Songèrent plus au fourreau qu’à la lame.
Jean-Baptiste ROUSSEAU, allégorie intitulée Midas.
« La nature et l’art qui maçonnent les remparts d’une âme, ces remparts maçonnés qui se trouvent être une fourniture de chair et un gabion de lard. » sont assurément le comble de l’impertinence. Le plus vil faquin travaillant pour la foire Saint-Germain aurait fait des vers plus raisonnables. Mais quand ceux qui sont un peu au fait se souviennent que ce ramas de sottises fut écrit contre un des premiers hommes de la France par sa naissance, par ses places et par son génie, qui avait été le protecteur de ce rimeur, qui l’avait secouru de son crédit et de son argent, et qui avait beaucoup plus d’esprit, d’éloquence et de science que son détracteur ; alors on est saisi d’indignation contre le misérable arrangeur de vieux mots impropres rimés richement ; et en louant ce qu’il a de bon, l’on déteste cet horrible abus du talent.
Voici une figure du même auteur non moins fausse et non moins composées d’images qui se détruisent l’une l’autre :
Incontinent vous l’allez voir s’enfler
De tout le vent que peut faire souffler,
Dans les fourneaux d’une tête échauffée,
Fatuité sur sottise greffée.
Jean-Baptiste ROUSSEAU, épître au P. Brunoy.
Le lecteur sent assez que la fatuité, devenue un arbre greffé sur l’arbre de la sottise, ne peut être un soufflet, et que la tête ne peut être un fourneau. Toutes ces contorsions d’un homme qui s’écarte ainsi du naturel ne ressemblent point assurément à la marche décente, aisée et mesurée de Boileau. Ce n’est pas là l’art poétique.
Y a-t-il un amas de figures plus incohérentes, plus disparates, que cet autre passage du même poète :
. . . . Tout auteur qui veut, sans perdre haleine,
Boire à longs traits aux sources d’Hippocrène,
Doit s’imposer l’indispensable loi
De s’éprouver, de descendre chez soi,
Et d’y chercher ces semences de flamme,
Dont le vrai seul doit embraser notre âme ;
Sans quoi jamais le plus fier écrivain
Ne peut atteindre à cet essor divin.
Epître au baron de Breteuil.
Quoi ! pour boire à longs traits il faut descendre dans soi, et y chercher des semences de feu dont le vrai embrase, sans quoi le plus fier écrivain n’atteindra point à un essor ? Quel monstrueux assemblage ! quel inconcevable galimatias !
On peut dans une allégorie ne point employer les figures, les métaphores, dire avec simplicité ce qu’on a inventé avec imagination. Platon a plus d’allégories encore que de figures ; il les exprime souvent avec élégance et sans faste.
Presque toutes les maximes des anciens Orientaux et des Grecs sont dans un style figuré. Toutes ces sentences sont des métaphores, de courtes allégories, et c’est là que le style figuré fait un très grand effet, en ébranlant l’imagination et en se gravant dans la mémoire.
Nous avons vu que Pythagore dit : Dans la tempête adorez l’écho, pour signifier, « Dans les troubles civils retirez-vous à la campagne ; » N’attisez pas le feu avec l’épée, pour dire, « N’irritez pas les esprits échauffés. »
Il y a dans toutes les langues beaucoup de proverbes communs qui sont dans le style figuré.
FIGURE, EN THÉOLOGIE.
Il est très certain, et les hommes les plus pieux en conviennent, que les figures et les allégories ont été poussées trop loin. On ne peut nier que le morceau de drap rouge mis par la courtisane Rahab à sa fenêtre pour avertir les espions de Josué, regardé par quelques Pères de l’Eglise comme une figure du sang de Jésus-Christ, ne soit un abus de l’esprit qui veut trouver du mystère à tout.
On ne peut nier que saint Ambroise, dans son livre de Noé et de l’Arche, n’ait fait un très mauvais usage de son goût pour l’allégorie, en disant que la petite porte de l’arche était une figure de notre derrière, par lequel sortent les excréments.
Tous les gens sensés ont demandé comment on peut prouver que ces mots hébreux maher-salal-has-bas, prenez vite les dépouilles, sont une figure de Jésus-Christ ? comment Moïse étendant les mains pendant la bataille contre les Madianites peut-il être la figure de Jésus-Christ ? comment Juda qui lie son ânon à la vigne, et qui lave son manteau dans le vin, est-il aussi une figure ? comment Ruth se glissant dans le lit de Booz peut-elle figurer l’Eglise ? comment Sara et Rachel sont-elles l’Eglise, et Agar et Lia la synagogue ? comment les baisers de la Sulamite sur la bouche figurent-ils le mariage de l’Eglise ?
On ferait un volume de toutes ces énigmes, qui ont paru aux meilleurs théologiens des derniers temps plus recherchées qu’édifiantes.
Le danger de cet abus est parfaitement reconnu par l’abbé Fleury, auteur de l’Histoire ecclésiastique. C’est un reste de rabbinisme, un défaut dans lequel le savant saint Jérôme n’est jamais tombé ; cela ressemble à l’explication des songes, à l’onéiromancie. Qu’une fille voie de l’eau bourbeuse en rêvant, elle sera mal mariée ; qu’elle voie de l’eau claire, elle aura un bon mari ; une araignée signifie de l’argent, etc.
Enfin, la postérité éclairée pourra-t-elle le croire ? on a fait pendant plus de quatre mille ans une étude sérieuse de l’intelligence des songes.
1 – A paru dans l’Encyclopédie. Voltaire écrit à d’Alembert, 28 déc. 1755 : « Voilà Figuré, plus correct ; Force, dont vous prendrez ce qu’il vous plaira ; Faveur, de même ; Franchise et Fleuri, item. Tout cela ne demande, à mon gré, que de petits articles. » (G.A.)
2 – Vers d’une épître de Jean-Baptiste Rousseau à Louis Racine, fils de Jean Racine. – Voilà la citation exacte :
D’ingénieux pygmées
Qui sur des monts d’arguments entassés,
Contre le ciel burlesquement hausses.
Et le reste comme le dit Voltaire. (G.A.)