CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 37

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 37

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à M. Damilaville.

 

6 Décembre 1763.

 

 

          Je croyais que vous aviez des Tolérances, mon très cher frère. Un jeune M. Turrettin de Genève s’est chargé d’un paquet pour vous. Il est digne de voir les frères, quoiqu’il soit petit-fils d’un célèbre prêtre de Baal. Il est réservé, mais décidé, ainsi que sont la plupart des Génevois. Calvin commence dans nos cantons à n’avoir pas plus de crédit que le pape. Le bon grain lève de tous côtés, malgré l’abominable ivraie qui couvre nos campagnes depuis si longtemps.

 

          Vous avez sans doute vu la petite Lettre du Quaker. Je connaissais depuis longtemps le livre attribué à Saint-Evremond (1). Ce n’est pas assurément son style, et Saint-Evremond d’ailleurs n’était pas assez savant pour composer un tel ouvrage. Il est de Dumarsais ; mais il est fort tronqué et détestablement imprimé. Quand trouvera-t-on quelque bonne âme qui donne une jolie édition du Meslier, du Sermon, et du Catéchisme de l’honnête Homme ? Ne pourrait-on pas en faire tenir, sans se compromettre, au bon Merlin ? Je ne voudrais pas qu’un de nos frères hasardât la moindre chose ; mais quand on peut servir son prochain sans risque, on est coupable devant Dieu de se tenir les bras croisés.

 

          Il doit vous arriver une Tolérance par une autre voie que celle que je prends pour vous écrire. Je suis zélé ; mais j’aime à prendre quelques petites précautions, afin de ne point donner d’ombrage à la poste par de trop gros paquets portant le timbre de Genève. On dit que toutes les affaires financières et parlementaires vont s’arranger.

 

          Dieu soit béni !

 

Et vive le roi, et Pompignan !

 

          Ecr. l’inf…

 

 

1 – L’Analyse de la Religion chrétienne. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

7 Décembre 1763.

 

 

          Mon cher frère, permettez que je vous envoie ces deux lettres ouvertes pour M. Cromelin et pour M. Mariette (1) avec un gros mémoire pour vous, que je vous supplie de faire lire à M. Cromelin, quand vous l’aurez lu.

 

          Je me flatte que vous avez reçu tout ce qui ne vous était pas encore parvenu, et que vous avez même Ce qui plaît aux Dames. Je vous embrasse le plus tendrement du monde. Ecr. l’inf…

 

 

1 – On n’a pas ces lettres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Légat de Furcy.

 

A Ferney, 7 Décembre 1763 (1).

 

 

          Le suffrage de madame Denis, monsieur, doit vous être plus précieux que le mien. Souffrez pourtant que je joigne mes remerciements à son approbation. Vous faites parvenir le bon goût et le plaisir jusqu’au pied des Alpes. Nous ne nous attendions pas qu’un homme qui réussit à la cour daignât songer à nos déserts. Jugez combien nous sommes flattés de l’honneur que vous nous avez fait.

 

          Recevez, monsieur, les sensibles remerciements de votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François.

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

A Ferney, 8 Décembre 1763.

 

 

          J’ai cru, mon cher monsieur, devoir écrire à M. de Mulinen ; je vous renouvelle mes sincères remerciements, et vous prie toujours de les présenter à la société. J’espère bientôt pouvoir vous envoyer la Tolérance ; M. Cramer m’a promis qu’il vous ferait tenir une Histoire générale : je voudrais pouvoir vous apporter tout cela moi-même.

 

          J’ai écrit à monseigneur l’électeur palatin. Ne doutez jamais ni de mon zèle ni de mon amitié. Ne m’oubliez point, je vous en supplie, auprès de nos amis.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

11 Décembre 1763.

 

 

          Vous devez à présent, mon cher frère, avoir reçu quelques Tolérances. Il est vrai qu’elles ont été bien reçues des personnes principales (1) à qui les premiers exemplaires ont été adressés, dans le temps que M. Turrettin était chargé de votre paquet. Je crois même vous l’avoir déjà dit ; mais il faudra bien du temps pour que ce grain lève et ne soit pas étouffé par l’ivraie.

 

          Vous savez sans doute que le livre attribué à Saint-Evremond est de Dumarsais, l’un des meilleurs encyclopédistes. Il est bien à désirer qu’on en fasse une édition nouvelle plus correcte. Je n’aime point le titre : Par permission de Jean, etc. L’ouvrage est sérieux et sage ; il ne lui faut pas un titre comique.

 

          Je vous supplie de vouloir bien m’envoyer encore un exemplaire, car j’ai marginé tout le mien, suivant ma louable coutume.

 

          Un libraire de Rouen, nommé Besongne, m’a bien la mine d’avoir imprimé cet ouvrage ; si on le lui renvoyait corrigé, il pourrait en faire une édition plus supportable.

 

          Je reçois exactement ce qu’on m’envoie de Paris ; mais je crois m’apercevoir que le timbre de Genève n’est pas toujours respecté chez vous. Les livres vous arrivent très difficilement par la poste, à moins qu’ils ne parviennent sous l’adresse des ministres ; et c’est une liberté qu’on ne peut prendre que très rarement.

 

          Vous avez dû recevoir, mon cher frère, un petit paquet pour amuser frère Thieriot.

 

          Vous ai-je mandé que j’avais été fort content de Warnick, et que je conçois de grandes espérances de son auteur ?

 

          Ne pourriez-vous pas, mon cher frère, charger Merlin de me faire avoir le Droit ecclésiastique (2), composé par M. Boucher d’Argis ? On dit que c’est un fort bon livre, et qu’il y a beaucoup à profiter. La nouvelle déclaration du roi, que vous avez eu la bonté de m’envoyer, doit faire renaître la confiance, et rendre le roi et le ministère plus chers à la nation : il est évident que le roi ne veut que ce qui est juste et raisonnable ; il veut payer les dettes de l’Etat, et soulager le peuple. J’ose espérer que cette déclaration donnera du crédit aux effets publics.

 

          Mon cher frère, recevez mes tendres embrassements, et embrassez moi les frères. Ecr. l’inf…

 

 

1 – Praslin, Choiseul, la Pompadour, etc. (G.A.)

 

2 – Institutions au droit ecclésiastique, par l’abbé Fleury, avec notes et deux lettres par M. Boucher d’Argis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

13 Décembre 1763.

 

 

          Il doit vous arriver, mon cher frère, une Tolérance par Besançon, que vous ne recevrez que quelques jours après ce billet, et dont je vous prie de m’accuser la réception.

 

          Il est arrivé un grand malheur : les Cramer avaient envoyé leur ballot à Lyon ; vous pouvez juger s’il y avait des exemplaires pour vous et pour vos amis. Un M. Bourgelat (1), chargé de l’entrée des livres, n’a pas voulu laisser passer cette cargaison. On dit pourtant que ce Bourgelat est philosophe et ami de M. d’Alembert. Serait-il possible qu’il y eût de faux frères parmi les frères ! Excitez bien vivement le zèle de Protagoras. Mandez-moi si la Tolérance n’excite point quelques murmures.

 

          Les Cramer ont été obligés de faire prendre à leur ballot un détour (2) de cent lieues, qui est aussi périlleux que long.

 

          Je vous embrasse dans la communion des fidèles.

 

          Ecr. l’inf…

 

 

1 – Claude Bourgelat, créateur de l’hippiatrique en France. (G.A.)

2 – Par mer. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

15 Décembre, jeudi au soir.

 

 

          Je reçois une lettre céleste et bien consolante de mes anges, du 8 Décembre. Je ne me plains plus, je ne crains plus ; mais je n’ai plus de Quakers. Il faudrait engager quelque honnête libraire à imprimer ce salutaire ouvrage à Paris.

 

          Je rêverai à Olympie. Je demande quinze jours ou trois semaines ; car actuellement je suis surchargé, et les yeux me font beaucoup de mal.

 

          J’avertis par avance que maman (1) n’est point de l’avis de M. de Thibouville ; mais je prierai Dieu qu’il m’inspire, et s’il me vient quelque bonne pensée, je la soumettrai à votre hiérarchie.

 

          Songeons d’abord aux conjurés et aux roués. Je commence à n’être pas si mécontent de cette besogne, et je crois que si mademoiselle Dumesnil jouait bien Fulvie, et mademoiselle Clairon pathétiquement Julie, la pièce pourrait faire assez d’effet. Cependant j’ai toujours sur le cœur l’ordre qu’on donne à Julie, au quatrième acte, d’aller prier Dieu dans sa chambre ; c’est un défaut irrémédiable. Mais où n’y a-t-il pas des fautes ? Peut-être cet endroit défectueux rebutera mademoiselle Clairon : elle aimera mieux le rôle de Fulvie : en ce cas, Julie serait, je crois, à mademoiselle Dubois, et cet arrangement vaudrait peut-être bien l’autre.

 

          Je suis enchanté que l’affaire de la Gazette littéraire soit terminée (2) ; mais je crains bien d’être inutile à cette entreprise ; il faut lire plusieurs livres, et je deviens aveugle ; heureusement un aveugle peut faire des tragédies ; et, si les roués ne me découragent pas, vous entendrez parler de moi l’année prochaine.

 

          Laissons là Icile, je vous en supplie ; c’est un point sur un i. Ne me parlez point d’une engelure, quand le renvoi de Julie dans sa chambre me donne la fièvre double tierce.

 

          Le Corneille est entièrement fini depuis longtemps ; on l’aura probablement sur la fin de Janvier. La petite-nièce à Pierre avance dans sa grossesse, tantôt chantant, tantôt souffrant. Notre petite famille est composée d’elle, de son mari, d’une sœur, et d’un jésuite ; voilà un plaisant assemblage ; c’est une colonie à faire pouffer de rire. Je souhaite que celle de M. le duc de Choiseul, à la Guyane (qui est, ne vous déplaise, le pays d’Eldorado), soit aussi unie et aussi gaie. La nôtre se met toujours à l’ombre de vos ailes, et je vous adore du culte d’hyperdulie ; et si les roués réussissent, j’irai jusqu’à latrie. Mettez-moi, je vous en conjure, aux pieds de M. le duc de Praslin pour l’année prochaine, et pour toutes celles où je pourrai exister.

 

 

1 – Madame Denis. (G.A.)

2 – Les auteurs du Journal des Savants, protégés par le duc de Choiseul, s’opposaient à la publication de la Gazette littéraire, protégée par le duc de Praslin. (Beuchot.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

16 Décembre 1763.

 

 

          Mon cher frère, je n’en ai plus (1) : voilà mon reste. Puisse quelque zélé serviteur de Dieu et de monseigneur du Puy en Velay, quelque Merlin, quelque Besongne, imprimer à Paris cette correction fraternelle !

 

          Si je puis trouver des Tolérances, je vous en ferai parvenir. Il faut espérer que le débit n’en sera pas défendu, puisque les ministres approuvent l’ouvrage, et que madame de Pompadour en a été très contente. Un ministre (2) même a dit que tôt ou tard cette semence porterait son fruit. Je ne sais pas quel est le saint homme auteur de ce petit traité ; mais il me semble qu’il ne peut que rendre les hommes plus doux et plus sociables. Je défie même Omer de Fleury de faire un réquisitoire contre cette homélie.

 

          Il est vrai que Ce qui plaît aux Dames fait un assez plaisant contraste avec le livre de la Tolérance : aussi je vous ai adressé ce livre théologique comme à un de nos saints apôtres, et Ce qui plaît aux Dames, à frère Thieriot, qui n’est pas si zélé, et qu’il a fallu réveiller par un conte.

 

          J’ai communiqué à frère Gabriel Cramer le contenu de votre dernière lettre ; il vous rendra compte probablement, par cet ordinaire, du paquet dont vous lui parlez.

 

          Il faut que vous sachiez d’ailleurs que je suis à deux lieues de Genève, que nous sommes quelquefois assiégés de neige, et que nous n’avons pas toujours nos lettres de bonne heure.

 

          Conservez-moi votre amitié ; embrassez tous les frères. Ecra. L’inf…

 

 

1 – Il s’agit d’exemplaires de la Lettre d’un Quaker. (G.A.)

2 – Le duc de Choiseul. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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