CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 34

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 34

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à M. Damilaville.

 

29 Octobre 1763.

 

 

          J’ai reçu, mon cher frère, l’inlisible ouvrage du digne frère du sieur Le Franc de Pompignan : je sais bien qu’il ne mérite pas de réponse ; cependant on m’assure qu’on en fera une qui sera courte, et qu’on tâchera de rendre plaisante (1). Tout ce qui est à craindre, c’est que le public ne soit las de se moquer des sieurs Le Franc de Pompignan.

 

          Heureux nos frères que leurs ennemis soient si ennuyeux !

 

          Je vous demande en grâce de vouloir bien envoyer le paquet ci-joint à son adresse.

 

          Frère Protagoras (2) se contente de rire de l’infâme, il ne l’écrase pas, et il faut l’écraser.

 

          Ecr. l’inf…, vous dis-je.

 

 

1 – Instruction pastorale de l’humble évêque d’Alétopolis. Voyez aux FACÉTIES. (G.A.)

2 – D’Alembert. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Chauvelin.

 

A Ferney, 3 Novembre 1763.

 

 

          J’avais bien deviné, et vos deux excellences doivent être fort contentes. Je me réjouis d’un bonheur que je ne connais qu’en idée ; c’est à de vieux laboureurs comme moi qu’il faudrait des enfants ; un ambassadeur n’en a pas tant besoin. Ne pouvant en avoir par moi-même, j’en fais faire par d’autres ; mademoiselle Corneille, que j’ai méritée, va me rendre ce petit service, et me fera grand-père dans quelques mois.

 

          Je voudrais bien, monsieur, avoir quelque chose de prêt pour amuser madame l’ambassadrice, lorsqu’elle sera quitte de toutes les suites de couche, et surtout de visites, de compliments. Je ne vous ai envoyé que  de l’histoire. Un Anglais, qui doit passer par Turin, vous aura sans doute remis un petit paquet.

 

          On fit partir il y a six semaines, par les muletiers, quelques volumes ; mais comme vous ne m’en avez jamais accusé la réception, je commence à douter que les muletiers aient été fidèles. On dit même qu’il y a dans Turin des gens plus infidèles que les muletiers qui saisissent tous les livres, sans respecter l’adresse ; mais je suis bien éloigné de croire qu’on ose ainsi violer le droit des gens. A tout hasard, ma ressource est dans les Anglais. Il y en a un qui part dans quinze jours, et qui vous apportera encore de la prose.

 

          Toujours de la prose ! me direz-vous ; oui sans doute, car nous ne sommes pas en 1764. Et pourquoi attendre l’année 1764 ? c’est que les vers ne se font pas si aisément qu’on pense ; c’est qu’il faut du temps pour les corriger ; c’est qu’on pense ; c’est qu’il faut du temps pour les corriger ; c’est qu’on ambitionne extrêmement de vous plaire, et que, pour y réussir, on lime autant qu’on le peut son ouvrage. Pardonnez la lenteur aux vieillards, c’est leur apanage. Ne croyez point qu’on fasse des vers comme vous faites des enfants. Vous avez choisi pour vos ouvrages le plus beau sujet du monde. Il n’en est pas de même de moi ; je lutte contre les difficultés ; j’ai plus tôt planté mille arbres que je n’ai fait mille vers. Voilà mon papier fini, mes yeux refusent le service.

 

          Mille tendres respects.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

4 Novembre 1763.

 

 

          Mon cher frère et mes chers frères, vous avez bien raison de dire que les peuples du Nord l’emportent aujourd’hui sur ceux du Midi ; ils nous battent et ils nous instruisent. M. d’Alembert se trouve dans une position qui me paraît embarrassante ; le voilà entre l’impératrice de Russie et le roi de Prusse, et je le défie de me dire qui a le plus d’esprit des deux. Jean-Jacques, dans je ne sais lequel de ses ouvrages (1), avait dit que la Russie redeviendrait esclave, malheureuse, et barbare. L’impératrice l’a su ; elle me fait l’honneur de me mander que tant qu’elle vivra elle donnera très impoliment un démenti à Jean-Jacques (2). Ne trouvez-vous pas comme moi cet impoliment fort joli ? Sa lettre est charmante ; je ne doute pas qu’en n’en écrive à M. d’Alembert de plus spirituelles encore, attendu qu’elle sait très bien se proportionner.

 

          Gardez-vous bien, je vous en supplie, de solliciter mademoiselle Clairon pour faire jouer Olympie ; c’est assez qu’on la joue dans toute l’Europe, et qu’on la traduise dans plusieurs langues ; on vient de la représenter à Amsterdam et à La Haye avec un succès semblable à celui de Mérope ; on va la jouer à Pétersbourg. Laissez aux Parisiens l’Opéra-Comique et les réquisitoires. La France est au comble de la gloire, il faut lui laisser ses lauriers. Le Mandement du digne frère de Pompignan m’a paru un ouvrage digne du siècle. On m’a montré pourtant une petite réponse (3) d’un évêque son confrère ; il me paraît que ce confrère n’entre pas assez dans les détails ; apparemment qu’il les a respectés, et que l’évêque du Puy s’étant retiré dans le sanctuaire, on n’a pas voulu l’y souffleter.

 

          Mes chers frères, écr. L’inf…

 

 

1 – Contrat social, liv. II, chap. VIII. (G.A.)

2 – Voyez la Correspondance avec Catherine II. (G.A.)

3 – L’Instruction pastorale de l’évêque Alétopolis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

6 Novembre 1763.

 

 

          Mon cher frère, je vous prie de me mander si vous avez reçu quelques paquets depuis deux mois. Il me semble que vous avez dû en recevoir deux. On me parle toujours d’une réponse d’un évêque à l’évêque du Puy. Je ne sais pas ce que c’est ; mais si elle me tombe entre les mains, je ne manquerai pas de vous l’envoyer.

 

          Permettez qu’en attendant je vous adresse ce paquet qui regarde le temporel ; je vous demande en grâce de l’envoyer à M. Mariette après l’avoir lu.

 

          J’ai bien plus à cœur les progrès de la raison humaine. Je me flatte qu’on a fait rendre à madame de Boufflers, à madame de Chaulnes (1), et même à mademoiselle Clairon, certains petits ouvrages : il faut cultiver tout doucement la vigne du Seigneur.

 

          J’embrasse mon frère et mes frères. Ecr. l’inf…

 

 

1 – Duchesse de Chaulnes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

 

 

          Autre importunité pour cher frère.

 

          Autre mémoire pour M. Mariette dans mon affaire contre la sainte Eglise.

 

          Il y a pour mon cher frère un paquet chez M. d’Argental. La vigne se cultive. Ecr. l’inf…

 

 

 

 

 

à M. Colini.

 

A Ferney, 7 Novembre 1763.

 

 

          Mon cher ami, je suis actuellement très affligé des yeux. On n’a pas soixante-dix ans impunément dans un pays de montagnes. L’honneur dont vous me dites que S.A.E. pourrait me gratifier serait une consolation pour moi dans ma chétive vieillesse ; je serais plus flatté du titre de votre confrère que d’aucun autre (1). Je vous supplie de présenter mon profond respect et ma reconnaissance à monseigneur l’électeur. Je lui ai écrit (2) pour lui dire combien j’admire son établissement, mais je n’ai pas osé lui demander d’en être.

 

          L’édition de Pierre Corneille, dont j’ai été obligé de corriger toutes les épreuves pendant deux années, m’a retenu indispensablement à Ferney et aux Délices. Ce travail assidu, qui n’a pas été le seul, n’a pas peu contribué à la fluxion Cicéron, de Senectute, la fin de la vie est toujours un peu triste. Je vous embrasse.

 

 

1 – Je lui avais mandé que l’électeur venait d’établir à Manheim une académie des sciences, et que ce souverain désirait qu’il en fût membre honoraire. Son altesse électorale avait daigné m’y admettre. (Note de Colini.)

2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

7 Novembre 1763.

 

 

          Il ne s’agit pas tous les jours, mes divins anges, de conspirations et d’assassinats. Je mets pour cette fois à l’écart les Grecs et les Romains, et je ne songe qu’aux dîmes.

 

          Voici une lettre de M. le premier président du parlement de Bourgogne, qui sans doute est conforme à celle qu’il a écrite à M. le duc de Praslin. J’ignore s’il est convenable que le roi fasse enregistrer aujourd’hui au parlement de Bourgogne les traités de Henri IV. Tout ce que je sais, c’est que je demande la protection de M. le duc de Praslin, et qu’il est nécessaire que notre cause soit remise par devant le conseil, qui ci-devant l’avait évoquée à lui. Les enregistrements n’empêcheraient pas probablement le parlement de juger selon le droit commun. Il pourrait dire : Nous avons déjà jugé cette affaire depuis plus de cent ans ; le conseil s’en est emparé depuis ; nous nous en tenons à notre premier arrêt, antérieur d’un siècle à l’enregistrement que nous faisons aujourd’hui, et cet enregistrement ne peut préjudicier au droit commun, qui décide en faveur des curés contre les seigneurs.

 

          Vous m’avouerez qu’alors ma cause, qui est très importante, serait très hasardée. Il est plus simple, plus court, plus naturel, que le conseil d’Etat retienne à lui l’affaire qui était entre ses mains, et qui n’en est sortie que par un arrêt par défaut subrepticement obtenu.

 

          C’est sur quoi, mes anges, je vous demande votre protection auprès de M. le duc de Praslin, et j’écris en conformité à M. Mariette, mon avocat au conseil.

 

          Vous me direz que voilà un vrai style de dépêches, et que je suis un étrange homme : voilà trois parlements du royaume que j’ai un peu saboulés, Paris, Toulouse, et Dijon ; cependant aucun n’a donné encore de décret de prise de corps contre moi, comme contre le beau Dumesnil (1).

 

          Cette aventure de M. Dumesnil n’est-elle pas bien singulière ? et ne sommes-nous pas dans le siècle du ridicule, après avoir été, dans le temps de Louis XIV, dans le siècle de la gloire ? De grâce, donnez-moi un petit mot de consolation, en me parlant de vos roués et de vos assassinats. Mes anges, vivez heureux.

 

          Respect et tendresse.

 

 

1 – Avocat. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

8 Novembre 1763.

 

 

          Mon frère, vous pouvez avoir eu des convulsions à Paris, mais sûrement vous n’êtes pas devenu convulsionnaire. Je me flatte qu’à présent votre corps se porte aussi bien que votre âme.

 

          Les Lettres de Henri IV, que vous m’envoyez, sont conformes à mon manuscrit. Elles sont très curieuses, et figureront à merveille dans l’histoire de ce monde.

 

          Le plat libelliste (1) qui se déchaîne contre cette histoire ne ressemble guère à un docteur de Sorbonne ; il a tout l’air d’un Patouillet et d’un Caveyrac. Comment ce cuistre aurait-il imprimé sa guenille à Avignon ? comment un sorboniqueur aurait-il pris le parti du jésuite Daniel ? En tout cas, si on lit le libelle, tout ce qui concerne les faits mérite une réponse, et elle est faite. Si on ne lit pas, ma réponse est inutile.

 

          Nous avons joué le Droit du Seigneur, et très bien, et en bonne compagnie. Vous devriez vous remuer, si vous pouvez, pour le faire jouer à Paris. Je voudrais que vous m’eussiez vu faire le bailli et le prêtre, car j’ai été hiérophante dans Olympie. Cette dernière pièce m’a plus coûté à faire qu’à jouer, et l’ouvrage de six jours est devenu l’ouvrage d’une année entière. On la représentera à Paris quand M. d’Argental le décidera : je ne suis pas pressé. Les Cramer impriment à présent le second volume de Pierre-le-Grand, sans oublier Pierre Corneille. Je vous dis toutes les nouvelles de l’école. S’il y en a de Paris, souvenez-vous de votre frère. Madame Denis et Cornélie-Chiffon vous font mille compliments. Je vous prie instamment de m’envoyer une note des petits déboursés que mon frère Damilaville a bien voulu faire pour moi. Je me flatte que Dieu vous a fait la grâce de placer en bonnes mains les choses édifiantes dont vous étiez chargé en partant du pays des infidèles. Ne soyez ni paresseux ni tiède.

 

 

1 – Nonotte, auteur des Erreurs de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

9 Novembre 1763.

 

 

          Voici ce qu’on a donné à un frère pour amuser les frères (1). Ne citons jamais aucun frère ; vivons unis en Platon, en Bayle, en Marc-Antoine, et surtout écr. L’inf…

 

 

1 – L’Instruction de l’humble évêque d’Alétopolis. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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