ARTICLES DE JOURNAUX - Œuvres de Middleton
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ARTICLES DE JOURNAUX.
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ŒUVRES DE MIDDLETON.
Gazette littéraire, 9 Mai 1764.
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On nous mande qu’on prépare à Cambridge une magnifique édition in-4° de tous les ouvrages du docteur Middleton (1). C’est un des plus savants hommes et des meilleurs écrivains de l’Angleterre ; il a été mis par beaucoup de gens au nombre des incrédules ; nous sommes bien éloignés d’adopter aveuglément ces accusations d’impiété, intentées si aisément aujourd’hui, et avec autant de maladresse que d’atrocité, contre tous ceux qui écrivent avec quelque liberté ; mais nous ne pouvons dissimuler que ce théologien n’ait eu des opinions très difficiles à concilier avec les vrais principes du christianisme.
Il a fait une dissertation pour prouver que plusieurs des cérémonies augustes de l’Eglise romaine avaient été pratiquées par les païens. Jurieu et plusieurs autres protestants s’étaient déjà exercés sur cet objet ; mais que prouve-t-elle, sinon que l’Eglise a sanctifié des pratiques communes à beaucoup de religions ? Toutes les cérémonies sont indifférentes par elles-mêmes ; c’est l’objet et le motif qui les rendent saintes ou impies : on se prosterne dans tous les temples du monde ; il ne s’agit que de savoir devant quel être on doit se prosterner. Que la plupart des cérémonies et des lois des Hébreux aient été prises des Egyptiens, comme le prétend le savant Marsham (2), l’économie mosaïque n’en sera pas moins d’institution divine.
Dans un traité célèbre sur les Miracles, Middleton prétend que le don des miracles a commencé à s’affaiblir dès le second siècle, et qu’ils sont devenus moins fréquents parce qu’ils devenaient moins nécessaires. Il embrasse et fortifie autant qu’il peut l’opinion de Scaliger, que saint Pierre n’est jamais venu à Rome. Il avance ailleurs que le premier chapitre de la Genèse est purement allégorique. Nous n’avons garde d’adopter ou de justifier ces paradoxes, et il ne nous appartient pas de les discuter ; mais nous rendrons justice à l’érudition, à la candeur, et surtout à la modération du théologien anglais. Quoique par sa naissance, par sa profession, et par les serments qu’il avait prêtés à l’Etat et à l’université de Cambridge dont il était membre, il fût ennemi de l’Eglise romaine, il n’en parle jamais ni avec dérision ni avec aigreur. Il examine les monuments de Rome ancienne et moderne, non-seulement en antiquaire, mais encore en philosophe qui sait combien les usages tiennent aux opinions et aux mœurs.
Sa Vie de Cicéron est très connue parmi nous par la traduction qu’en a donnée l’abbé Prévost. Les éloges continuels qu’il y fait de Cicéron ont trouvé bien des contradicteurs. Ceux qui ont voulu flétrir la mémoire de ce grand homme se sont fondés sur l’autorité de Dion Cassius, écrivain très postérieur. Les panégyristes s’appuient sur le témoignage de Plutarque et des contemporains mêmes de Cicéron. Il faut avouer que la plupart des principaux personnages dont l’histoire romaine fait mention sont peints, pour ainsi dire, comme Janus, avec deux visages dont l’un ne ressemble point à l’autre. Quelques écrivains ne donnent à Jules César que des vertus, les autres que des vices. Ici, Auguste est regardé comme un bon prince ; là, comme un tyran aussi heureux que méchant, débauché, lâche, et cruel dans sa jeunesse, habile dans un âge avancé, et ne cessant de faire des crimes que quand les crimes cessaient de lui être nécessaires. Philon, qui avait vu Tibère, nous dit que c’était un bon et sage prince : Suétone, qui ne vivait pas du temps de cet empereur, en fait un monstre. Peut-être ces opinions contraires sont-elles également fondées sur les faits, parce que les hommes ont souvent des qualités contraires, et que la vie de la plupart des hommes d’Etat a été un mélange continuel de bonnes et de mauvaises actions, de vices et de vertus, de grandeur et de faiblesse. Il semble que, pour bien juger les hommes publics, on pourrait s’en rapporter aux monuments secrets et non suspect qui restent d’eux, comme les lettres dans lesquelles ils ouvrent leur cœur à leurs amis ; mais c’est dans les lettres mêmes de Cicéron que ses admirateurs et ses détracteurs trouvent également les preuves de leurs éloges et de leurs censures. Tout cela prouve combien il est difficile, et peut-être même inutile, de chercher la vérité dans les détails de l’histoire. Quoi qu’il en soit des vertus patriotiques de Cicéron, la postérité admirera toujours en lui l’orateur, l’homme d’Etat, et le philosophe.
1 – Elle n’a jamais paru. (G.A.)
2 – Dans son Canon chronicus œgyptiacus, hœbraïcus, grœcus, 1662. (G.A.)