DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : G comme GENÈSE - Partie 2
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G comme GENÈSE.
- Partie 2 -
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« Le Seigneur leur fit des tuniques de peau. »
Ce passage prouve bien que les Juifs croyaient un Dieu corporel. Un rabbin nommé Eliézer a écrit que Dieu couvrit Adam et Eve de la peau même du serpent qui les avait tentés ; et Origène prétend que cette tunique de peau était une nouvelle chair, un nouveau corps que Dieu fit à l’homme. Il vaut mieux s’en tenir au texte avec respect.
« Et le Seigneur dit : Voilà Adam qui est devenu comme l’un de nous. »
Il semblerait que les Juifs admirent d’abord plusieurs dieux. Il est plus difficile de savoir ce qu’ils entendent par ce mot Dieu, Eloïm. Quelques commentateurs ont prétendu que ce mot, l’un de nous, signifie la Trinité ; mais il n’est pas assurément question de la Trinité dans la Bible. La Trinité n’est pas un composé de plusieurs dieux, c’est le même Dieu triple ; et jamais les Juifs n’entendirent parler d’un Dieu en trois personnes. Par ces mots, semblable à nous, il est vraisemblable que les Juifs entendaient les anges, Etoïm. C’est ce qui fit penser à plusieurs doctes téméraires que ce livre ne fut écrit que quand ils adoptèrent la créance de ces dieux inférieurs ; mais c’est une opinion condamnée.
« Le Seigneur le mit hors du jardin de volupté, afin qu’il cultivât la terre. »
Mais le Seigneur, disent quelques-uns, l’avait mis dans le jardin de volupté, afin qu’il cultivât ce jardin. Si Adam de jardinier devint laboureur, ils disent qu’en cela son état n’empira pas beaucoup : un bon laboureur vaut bien un bon jardinier. Cette solution nous semble trop peu sérieuse. Il vaut mieux dire que Dieu punit la désobéissance par le bannissement du lieu natal.
Toute cette histoire en général se rapporte, selon des commentateurs trop hardis, à l’idée qu’eurent tous les hommes, et qu’ils ont encore, que les premiers temps valaient mieux que les nouveaux. On a toujours plaint le présent et vanté le passé. Les hommes surchargés de travaux ont placé le bonheur dans l’oisiveté, ne songeant pas que le pire des états est celui d’un homme qui n’a rien à faire. On se vit souvent malheureux, et on se forgea l’idée d’un temps où tout le monde avait été heureux. C’est à peu près comme si on disait : Il fut un temps où il ne périssait aucun arbre ; où nulle bête n’était ni malade, ni faible, ni dévorée par une autre ; où jamais les araignées ne prenaient de mouches. De là l’idée du siècle d’or, de l’œuf percé par Arimane, du serpent qui déroba à l’âne la recette de la vie heureuse et immortelle, que l’homme avait mise sur son bât ; de là ce combat de Typhon contre Osiris, d’Ophionée contre les dieux, et cette fameuse boîte de Pandore, et tous ces vieux contes dont quelques-uns sont ingénieux, et dont aucun n’est instructif. Mais nous devons croire que les fables des autres peuples sont des imitations de l’histoire hébraïque, puisque nous avons l’ancienne histoire des Hébreux, et que les premiers livres des autres nations sont presque tous perdus. De plus, les témoignages en faveur de la Genèse sont irréfragables.
« Et il mit devant le jardin de volupté un chérubin avec un glaive tournoyant et enflammé pour garder l’entrée de l’arbre de vie. »
Le mot kerub signifie bœuf. Un bœuf armé d’un sabre enflammé fait, dit-on une étrange figure à une porte. Mais les Juifs représentèrent depuis des anges en forme de bœufs et d’éperviers, quoiqu’il leur fût défendu de faire aucune figure. Ils prirent visiblement ces bœufs et ces éperviers des Egyptiens, dont ils imitèrent tant de choses. Les Egyptiens vénérèrent d’abord le bœuf comme le symbole de l’agriculture, et l’épervier comme celui des vents : mais ils ne firent jamais un portier d’un bœuf. C’est probablement une allégorie ; et les Juifs entendaient par kerub la nature. C’était un symbole composé d’une tête de bœuf, d’une tête d’homme, d’un corps d’homme, et d’ailes d’épervier.
« Et le Seigneur mit un signe à Caïn. »
Quel seigneur ! disent les incrédules. Il accepte l’offrande d’Abel, et il rejette celle de Caïn son aîné, sans qu’on en rapporte la moindre raison. Par là le Seigneur devient la cause de l’inimitié entre les deux frères. C’est une instruction morale, à la vérité, et une instruction prise dans toutes les fables anciennes, qu’à peine le genre humain exista, qu’un frère assassine son frère : mais ce qui paraît aux sages du monde contre toute morale, contre toute justice, contre tous les principes du sens commun, c’est que Dieu ait damné à toute éternité le genre humain, et ait fait mourir inutilement son propre fils pour une pomme, et qu’il pardonne un fratricide. Que dis-je, pardonner ? il prend le coupable sous sa protection. Il déclare que quiconque vengera le meurtre d’Abel sera puni sept fois plus que Caïn ne l’aurait été. Il lui met un signe qui lui sert de sauvegarde. C’est, disent les impies, une fable aussi excécrable qu’absurde. C’est le délire de quelque malheureux Juif, qui écrivit ces infâmes inepties à l’imitation des contes que les peuples voisins prodiguaient dans la Syrie. Ce Juif insensé attribua ces rêveries atroces à Moïse, dans un temps où rien n’était plus rare que les livres. La fatalité, qui dispose de tout, a fait parvenir ce malheureux livre jusqu’à nous : des fripons l’ont exalté, et des imbéciles l’ont cru. Ainsi parle une foule de théistes qui, en adorant Dieu, osent condamner le Dieu d’Israël, et qui jugent de la conduite de l’Être éternel par les règles de notre morale imparfaite et de notre justice erronée. Ils admettent Dieu pour le soumettre à nos lois. Gardons-nous d’être si hardis, et respectons, encore une fois, ce que nous ne pouvons comprendre. Crions ô altitudo ! de toutes nos forces.
« Les dieux Eloïm, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour épouses celles qu’ils choisirent. »
Cette imagination fut encore celle de tous les peuples. Il n’y a aucune nation, excepté peut-être la Chine, où quelque dieu ne soit venu faire des enfants à des filles. Ces dieux corporels descendaient souvent sur la terre pour visiter leurs domaines ; ils voyaient nos filles, ils prenaient pour eux les plus jolies : les enfants nés du commerce de ces dieux et des mortelles devaient être supérieurs aux autres hommes ; aussi la Genèse ne manque pas de dire que ces dieux qui couchèrent avec nos filles produisirent des géants. C’est encore se conformer à l’opinion vulgaire.
« Et je ferai venir sur la terre les eaux du déluge (1). »
Je remarquerai seulement ici que saint Augustin, dans sa Cité de Dieu, n° 8, dit : Maximum illud diluvium grœa nec latina novit historia : ni l’histoire grecque ni la latine ne connaissent ce grand déluge. En effet on n’avait jamais connu que ceux de Deucalion et d’Ogygèse, en Grèce. Ils sont regardés comme universels dans les fables recueillies par Ovide, mais totalement ignorés dans l’Asie orientale. Saint Augustin ne se trompe donc pas en disant que l’histoire n’en parle point.
« Dieu dit à Noé : Je vais faire alliance avec vous et avec votre semence après vous, et avec tous les animaux. »
Dieu faire alliance avec les bêtes ! quelle alliance ! s’écrient les incrédules. Mais s’il s’allie avec l’homme, pourquoi pas avec la bête ? elle a du sentiment, et il y a quelque chose d’aussi divin dans le sentiment que dans la pensée la plus métaphysique. D’ailleurs les animaux sentent mieux que la plupart des hommes ne pensent. C’est apparemment en vertu de ce pacte que François d’Assise, fondateur de l’ordre séraphique, disait aux cigales et aux lièvres : Chantez, ma sœur la cigale ; broutez, mon frère le levraut. Mais quelles ont été les conditions du traité ? que tous les animaux se dévoreraient les uns les autres ; qu’ils se nourriraient de notre chair et nous de la leur ; qu’après les avoir mangés, nous nous exterminerions avec rage, et qu’il ne nous manquerait plus que de manger nos semblables égorgés par mes mains. S’il y avait eu un tel pacte, il aurait été fait avec le diable.
Probablement tout ce passage ne veut dire autre chose sinon que Dieu est également le maître absolu de tout ce qui respire. Ce pacte ne peut être qu’un ordre, et le mot d’alliance n’est là que par extension. Il ne faut donc pas s’effaroucher des termes, mais adorer l’esprit, et remonter aux temps où l’on écrivait ce livre, qui est un scandale aux faibles et une édification aux forts.
« Et je mettrai mon arc dans les nuées, et il sera un signe de mon pacte, etc. »
Remarquez que l’auteur ne dit pas : J’ai mis mon arc dans les nuées ; il dit : Je mettrai. Cela suppose évidemment que l’opinion commune était que l’arc-en-ciel n’avait pas toujours existé. C’est un phénomène causé nécessairement par la pluie, et on le donne ici comme quelque chose de surnaturel qui avertit que la terre ne sera plus inondée. Il est étrange de choisir le signe de la pluie pour assurer qu’on ne sera pas noyé. Mais aussi on peut répondre que dans le danger de l’inondation on est rassuré par l’arc-en-ciel.
« Or le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les enfants d’Adam bâtissaient ; et il dit : Voilà un peuple qui n’a qu’une langue. Ils ont commencé à faire cela ; et ils ne s’en désisteront point jusqu’à ce qu’ils aient achevé. Venez donc, descendons, confondons leur langue, afin que personne n’entende son voisin (2). »
Observez seulement ici que l’auteur sacré continue toujours à se conformer aux opinions populaires. Il parle toujours de Dieu comme d’un homme qui s’informe de ce qui se passe, qui veut voir par ses yeux ce qu’on fait dans ses domaines, qui appelle les gens de son conseil pour se résoudre avec eux.
« Et Abraham, ayant partagé ses gens (qui étaient trois cent dix-huit), tomba sur les cinq rois, les défit, et les poursuivit jusqu’à Hoba à la gauche de Damas. »
Du bord méridional du lac de Sodome jusqu’à Damas, on compte quatre-vingt lieues ; et encore faut-il franchir le Liban et l’Anti-Liban. Les incrédules triomphent d’une telle exagération. Mais, puisque le Seigneur favorisait Abraham, rien n’est exagéré.
« Et sur le soir les deux anges arrivèrent à Sodome, etc. »
Toute l’histoire des deux anges, que les Sodomites voulurent violet, est peut-être la plus extraordinaire que l’antiquité ait rapportée. Mais il faut considérer que presque toute l’Asie croyait qu’il y avait des démons incubes et succubes ; que de plus ces deux anges étaient des créatures plus parfaites que les hommes, et qu’ils devaient être plus beaux, et allumer plus de désirs chez un peuple corrompu que des hommes ordinaires. Il se peut que ce trait d’histoire ne soit qu’une figure de rhétorique pour exprimer les horribles débordements de Sodome et de Gomorrhe. Nous ne proposons cette solution aux savants qu’avec une extrême défiance de nous-mêmes.
Pour Loth qui propose ses deux filles aux Sodomites à la place des deux anges, et la femme de Loth changée en statue de sel, et tout le reste de cette histoire, qu’oserons-nous dire ? L’ancienne fable arabique de Cinyra et de Myrrha a quelque rapport à l’inceste de Loth et de ses filles ; et l’aventure de Philémon et de Baucis n’est pas sans ressemblance avec les deux anges qui apparurent à Loth et à sa femme. Pour la statue de sel, nous ne savons pas à quoi elle ressemble : est-ce à l’histoire d’Orphée et d’Eurydice ?
Bien des savants pensent, avec le grand Newton et le docte Leclerc, que le Pentateuque fut écrit par Samuel lorsque les Juifs eurent un peu appris à lire et à écrire, et que toutes ces histoires sont des imitations des fables syriennes.
Mais il suffit que tout cela soit dans l’Ecriture sainte pour que nous le révérions, sans chercher à voir dans ce livre autre chose que ce qui est écrit par l’Esprit saint. Souvenons-nous toujours que ces temps-là ne sont pas les nôtres ; ne manquons pas de répéter, après tant de grands hommes, que l’ancien Testament est une histoire véritable, et que tout ce qui a été inventé par le reste de l’univers est fabuleux.
Il s’est trouvé quelques savants qui ont prétendu qu’on devait retrancher des livres canoniques toutes ces choses incroyables qui scandalisent les faibles ; mais on a dit que ces savants étaient des cœurs corrompus, des hommes à brûler, et qu’il est impossible d’être honnête homme si on ne croit pas que les Sodomites voulurent violer deux anges. C’est ainsi que raisonne une espèce de monstres qui veut dominer sur les esprits.
Il est vrai que plusieurs célèbres Pères de l’Eglise ont eu la prudence de tourner toutes ces histoires en allégories, à l’exemple des Juifs, et surtout de Philon. Des papes plus prudents encore voulurent empêcher qu’on ne traduisît ces livres en langue vulgaire, de peur qu’on ne mît les hommes à portée de juger ce qu’on leur proposait d’adorer.
On doit certainement en conclure que ceux qui entendent parfaitement ce livre doivent tolérer ceux qui ne l’entendent pas ; car si ceux-ci n’y entendent rien, ce n’est pas leur faute : mais ceux qui n’y comprennent rien doivent tolérer aussi ceux qui comprennent tout.
Les savants trop remplis de leur science ont prétendu qu’il était impossible que Moïse eût écrit la Genèse. Une de leurs grandes raisons est que, dans l’histoire d’Abraham, il est dit que ce patriarche paya la caverne pour enterrer sa femme en argent monnayé, et que le roi de Gérare donna mille pièces d’argent à Sara, lorsqu’il la rendit, après l’avoir enlevée pour sa beauté à l’âge de soixante et quinze ans. Ils disent qu’ils ont consulté tous les anciens auteurs, et qu’il est avéré qu’il n’y avait point d’argent monnayé dans ce temps-là. Mais on voit bien que ce sont là de pures chicanes, puisque l’Eglise a toujours cru fermement que Moïse fut l’auteur du Pentateuque. Ils fortifient tous les doutes élevés par Aben-Hesra, et par Baruch Spinosa. Le médecin Astruc, beau-père du contrôleur général Silhouette, dans son livre, devenu très-rare, intitulé Conjectures sur la Genèse, ajoute de nouvelles objections insolubles à la science humaine ; mais elles ne le sont pas à la piété humble et soumise. Les savants osent contredire chaque ligne, et les simples révèrent chaque ligne. Craignons de tomber dans le malheur de croire notre raison ; soyons soumis d’esprit et de cœur (3).
« Et Abraham dit que Sara était sa sœur ; et le roi de Gérare la prit pour lui. »
Nous avouons, comme nous l’avons dit à l’article ABRAHAM, que Sara avait alors quatre-vingt-dix ans ; qu’elle avait été déjà enlevée par un roi d’Egypte ; et qu’un roi de ce même désert affreux de Gérare enleva encore depuis la femme d’Isaac, fils d’Abraham. Nous avons parlé aussi de la servante Agar à qui Abraham fit un enfant, et de la manière dont ce patriarche renvoya cette servante et son fils. On sait à quel point les incrédules triomphent de toutes ces histoires ; avec quel sourire dédaigneux ils en parlent ; comme ils mettent fort au-dessous des Mille et une Nuits l’histoire d’un Abimélech amoureux de cette même Sara qu’Abraham avait fait passer pour sa sœur, et d’un autre Abimélech, amoureux de Rebecca, qu’Isaac fait aussi passer pour sa sœur. On ne peut trop redire que le grand défaut de tous ces savants critiques est de vouloir tout ramener aux principes de notre faible raison, et de juger des anciens Arabes comme ils jugent de la cour de France et de celle d’Angleterre.
« Et l’âme de Sichem, fils du roi Hemor, fut conglutinée avec l’âme de Dina ; et il charma sa tristesse par des caresses tendres ; et il alla à Hemor son père, et lui dit : Donnez-moi cette fille pour femme. »
C’est ici que les savants se révoltent plus que jamais. Quoi ! disent-ils, le fils d’un roi veut bien faire à la fille d’un vagabond l’honneur de l’épouser ; le mariage se conclut ; on comble de présents Jacob le père et Dina la fille ; le roi de Sichem daigne recevoir dans sa ville ces voleurs errants qu’on appelle patriarches ; il a la bonté incroyable, incompréhensible, de se faire circoncire, lui, son fils, sa cour et son peuple, pour condescendre à la superstition de cette petite horde, qui ne possède pas une demi-lieue de terrain en propre ! Et pour prix d’une si étonnante bonté, que font nos patriarches sacrés ? ils attendent le jour où la plaie de la circoncision donne ordinairement la fièvre. Siméon et Lévi courent par toute la ville le poignard à la main ; ils massacrent le roi, le prince son fils, et tous les habitants. L’horreur de cette Saint-Barthélémy n’est sauvée que parce qu’elle est impossible. C’est un roman abominable, mais c’est évidemment un roman ridicule. Il est impossible que deux hommes aient égorgé tranquillement tout un peuple. On a beau souffrir un peu de son prépuce entamé, on se défend contre deux scélérats, on s’assemble, on les entoure, on les fait périr par les supplices qu’ils méritent.
Mais il y a encore une impossibilité plus palpable : c’est que, par la supputation exacte des temps, Dina, cette fille de Jacob, ne pouvait alors être âgée que de trois ans, et que, si on veut forcer la chronologie, on ne pourra lui en donner que cinq tout au plus : c’est sur quoi on se récrie. On dit : Qu’est-ce qu’un livre d’un peuple réprouvé ; un livre inconnu si longtemps de toute la terre ; un livre où la droite raison et les mœurs sont outragées à chaque page, et qu’on veut nous donner pour irréfragable, pour saint, pour dicté par Dieu même ? n’est-ce pas une impiété de le croire ? n’est-ce pas une fureur d’anthropophages de persécuter les hommes sensés et modestes qui ne le croient pas ?
A cela nous répondons : l’Eglise dit qu’elle le croit. Les copistes ont pu mêler des absurdités révoltantes à des histoires respectables. C’est à la sainte Eglise seule d’en juger. Les profanes doivent se laisser conduire par elle. Ces absurdités, ces horreurs prétendues n’intéressent point le fond de notre religion. Où en seraient les hommes, si le culte et la vertu dépendaient de ce qui arriva autrefois à Sichem et à la petite Dina ?
« Voici les rois qui régnèrent dans le pays d’Edom avant que les enfants d’Israël eussent un roi. »
C’est ici le passage fameux qui a été une des grandes pierres d’achoppement. C’est ce qui a déterminé le grand Newton, le pieux et sage Samuel Clarke, le profond philosophe Bolingbroke, le docte Leclerc, le savant Fréret, et une foule d’autres savants, à soutenir qu’il était impossible que Moïse fût l’auteur de la Genèse.
Nous avouons qu’en effet ces mots ne peuvent avoir été écrits que dans le temps où les Juifs eurent des rois.
C’est principalement ce verset qui détermina Astruc à bouleverser toute la Genèse, et à supposer des mémoires dans lesquels l’auteur avait puisé. Son travail est ingénieux, il est exact, mais il est téméraire. Un concile aurait à peine osé l’entreprendre. Et de quoi a servi ce travail ingrat et dangereux d’Astruc ? à redoubler les ténèbres qu’il a voulu éclaircir. C’est là le fruit de l’arbre de la science dont nous voulons tous manger. Pourquoi faut-il que les fruits de l’arbre de l’ignorance soient plus nourrissants et plus aisés à digérer ?
Mais que nous importe, après tout, que ce verset, que ce chapitre ait été écrit par Moïse, ou par Samuel, ou par le sacrificateur qui vint à Samarie, ou par Esdras, ou par un autre ? En quoi notre gouvernement, nos lois, nos fortunes, notre morale, notre bien-être, peuvent-ils être liés avec les chefs ignorés d’un malheureux pays barbare, appelé Edom ou Idumée, toujours habité par des voleurs ? Hélas ! ces pauvres Arabes qui n’ont pas de chemises ne s’informent jamais si nous existons ; ils pillent des caravanes et mangent du pain d’orge ; et nous nous tourmentons pour savoir s’il y a eu des roitelets dans ce canton de l’Arabie-Pétrée, avant qu’il y en eût dans un canton voisin, à l’occident du lac de Sodome !
O miseras hominum mentes ! o pectora cæca !
LUCRET., II, v. 14.
1 – Voyez l’article DÉLUGE.
2 – Voyez sur ce passage l’article BABEL.
3 – Voyez l’article MOÏSE.